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samedi, 05 janvier 2019

1997

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Si je ne devais garder qu’une année, je pense que ce serait 1997.

Il est difficile de véritablement expliquer pourquoi la décennie 90s marque autant notre culture depuis près de dix ans maintenant. Pourquoi nous sommes incapables de nous en extirper, vivant continuellement dans le souvenir de la robe métallisée de Rose McGowan.

A l’époque, j’avais dix balais. Pas forcément un beau souvenir de mon enfance. Pourtant, si demain tu me donnes la possibilité d’y retourner, je suis la première à m’y réinstaller. Je crois que je suis attachée à toute la mythologie que j’ai pu me créer. Le monde dans lequel je vivais et qui rendait l’ensemble un tant soit peu respirable. Je suis nostalgique de la presque perfection que j’avais réussi à mettre sur pied. Vous savez, on trouve une place, on ne veut plus la lâcher. La nostalgie, ça reste quand même dans l’ensemble une saloperie. L’idée d’un idéal qu’on réinvestit toujours un peu plus dans le mensonge. Que voulez-vous, parfois j’aime bien m’enfuir.

Les 90s, c’était mon bordel parfait. Tout ce qui se faisait de plus sombre remontait à la surface. Les weirdos jaillissaient de partout, devenant progressivement les normes que nous connaissons aujourd’hui. Tous et toutes cohabitaient dans le plus grand des calmes sans que ça choque vraiment quiconque, si ce n’est les quelques irrépressibles puristes. Courtney Love faisait des papouilles à Céline Dion sur le red carpet des Oscars tandis que Madonna sortait son Ray of light après avoir pris des cours de chant. Il y avait comme une grâce naturelle dans l’air. Aussi soyeuse qu’une petite robe à bretelles de chez Calvin Klein. Le minimalisme s’imprégnait à tous les étages. Epurer le décor comme un cliché de Mario Testino. La mélancolie frayait déjà son chemin dans mes mirettes.

Les plans séquences de Sofia Coppola en black and white. 8mm home movie footage. Les adolescentes qui s’ennuient ferme, mâchent du chewing-gum bouche grande ouverte. Allongées dans l’herbe, ça grille les clopes à la chaîne, en repensant à ce crétin de Kevin ou je ne sais quel autre nom. Tous les mêmes. Sonic Youth en bande son. Kim Gordon, marraine la fée. L’adolescence laborieuse qui se traîne comme un filet de voix à la Richard Ashcroft. Bittersweet Symphony. Bousculer les passants sans prendre la peine de s’excuser. La liberté de faire la gueule. Comme une marque de fabrique. Les sourires n’étaient pas les bienvenues et au final qui s’en plaignait?

Je repense encore avec émotion à Meredith Brooks, la plus célèbre des bitches tournoyant dans les airs. La couv women of rock du mois de novembre même si elle puait le quota histoire de les faire taire. Sheryl Crow reprenant Hallelujah au West 54th. Bjork m’arrache mes premières larmes à l’écoute de Bachelorette. Et puis Eliott Smith qui chante Between the Bars.

L’Amérique pleure et moi aussi.

La naissance puis la mort quasi instantanée de Dominique Swain, Lolita Eternal. Souviens-toi…l’été dernier avec une Sarah Michelle Gellar, la seule reine de bal digne d’intérêt. Image cotonneuse dans le sordide. J’ai toujours aimé les antagonismes.

C’est que ça commençait à vriller sec. Le corps enfantin de Kate Moss allait dézinguer tous les models superstars. Son silence devenait de l’or, dans une époque où ça l’ouvrait trop sur les photoshoots. Campbell et autres Schiffer font un tour et puis s’en vont. Le catwalk devient industriel. Mêmes corps frêles. Effets voluptueux sur corps décharnés. Twiggy renaissant de ses cendres, en pire, à l’orée d’une décennie 2000 paumée, marquée par les crises de nerfs et les sessions cocaine d’une nouvelle génération de gamines balancées sous nos yeux comme de la chaire à canon.

1997, c’était une année étrangement légère, presque flottante, le rugissement tapis dans l’ombre. Il y avait comme une sorte de victoire, on pensait les choses prenaient le bon chemin. Les vestiges de l’insouciance de début de décennie. Les rave party où tu te disais que tout était possible s’acoquinaient au chic de la bourgeoisie. Les grands chapeaux d’Isabella Blow. La démesure dans la mesure. Tout était presque parfait. Vraiment. Ni trop, ni pas assez, tout en restant singulier. Une élégance de l’étrange, où chaque mèche de Gwyneth Paltrow était étudiée comme un Vinci tout en restant de l’ordre du possible.

Sous les flashs des photographes, les premières prenaient des allures de soirée casual où l’on s’apprête à déguster des pâtes à la bolognaise accompagnées d’un verre de vin blanc plus qu’à un boulot de promo. Un marketing dans le secret, où les couples se faisaient et se défaisaient à la une des magazines sans que l’on sache si les regards complices échangés étaient la vérité ou la continuité d’une prise de vue dont nous n’avions pas les codes à l’époque.

Avec du recul, j’aimais cette naïveté crétine dont je pouvais faire preuve, tout en ayant hâte d’être une trentenaire fringuée à la Carolyn Bessette Kennedy. Aujourd’hui, mon cynisme est tellement grand qu’aucun move de pubard ne me fait marcher.

Ne pas cacher la supercherie de la chose à coups de grands discours. Je crois que j’aimais toute cette caste ennuyée car elle montrait sa profonde inutilité au monde. Ses galas de charité qui n’en finissaient pas. Son hypocrisie crasse. Comme le témoin des prémices d’une jetée dans le précipice. Tout le monde s’aime mais se déteste. On balançait les sales histoires suivi d’un petit clin d’oeil complice. On épinglait comme on pouvait, dans une industrie du spectacle qui commençait à se renfermer dangereusement sur elle-même. On exposait furtivement, subtilement, comme une bouteille à la mer qu’on espérait voir faire le chemin. Une conscience latente qui ne s’appelait pas, mais qu’on essayait tant bien que mal de faire tenir sur ses frêles guiboles.

stenia

Stenia est née en 1987 et a une affection particulière pour ses chaussons chauffants. Passionnée de punk et de chanteuses gueulardes, on avait repéré son super boulot de journaliste sur twitter et on s'est permis de lui écrire un petit mail un peu suppliant (on a pas de face, kesstuveux). On est ravies que cette plume douée ait rejoint l'équipe, parce qu'on apprend toujours des trucs, et on les apprend de manière chouette, quand on lit les papelards de Stenia.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com