lundi 12 mars 2012

MIRACLE DE LA NAISSANCE par Pierre Jouan



Pour des raisons à la fois pratiques et philosophiques, j’ai décidé, une bonne fois pour toutes, de ne pas avoir d’enfants. 

A moi la fin de race, le terme de l’évolution, le grand coup de ciseau dans le ruban génétique qui me relie aux premières bactéries ! Cela dit, moi, on ne m’emmerde pas trop avec le sujet, contrairement à vous, Anna, Elsa, Marine, Ophélie, mes vaillantes rédactrices de RETARD, qui serez confrontées un jour ou l’autre au problème. Loin de moi l’idée de vous donner un quelconque conseil en la matière, vous ferez comme tout le monde - c’est-à-dire comme vous le sentez. Oh, je sais très bien ce qui vous attend : les yeux humidifiés par la joie de vos parents reconnaissants, ou l’opprobre familiale (et sociale), mais ça, je vous laisse le découvrir. Ce à quoi je veux vous préparer, c’est aux arguments natalistes que vous entendrez, ressassés ad nauseam, dans la bouche de vos amis devenus trentenaires - une tare générationnelle comparable aux poussées d’acnée de l’adolescence.

Ambrose Bierce s’était livré, il y a un plus d’un siècle, à un travail hautement sanitaire dans son Dictionnaire du diable (1911) : choisissant des mots ou des expressions courantes, souvent connotées positivement, il en donnait une définition à la fois critique et humoristique. A la manière des moralistes (Swift, Chamfort, Thackeray), il débusquait le vice derrière la vertu, la laideur contenue dans la prétendue beauté, l’idiotie déguisée en intelligence, le son creux renvoyé par les idoles du moment, et la bêtise contenue dans les expressions toutes faites. On trouve ainsi des définitions comme :

ACCOUCHEUR : pourvoyeur du diable.

ANNÉE : période de 365 désillusions.

NAISSANCE : la première et la plus terrible des catastrophes.
Un ton désespéré et drôle qui sera repris en 2010 par Stéphane Legrand, dans son Dictionnaire du pire (éd. Inculte) :

PROGÉNITURE, nf. : Enfants, que leurs parents aiment généralement un peu, mais manifestement pas assez pour s'être abstenu de leur donner naissance.

Chaque fois qu’on me parle des bienfaits de la reproduction, je me mets en mode « Ambrose Bierce » : derrière les manifestations bruyantes de joie, je n’arrive pas à m’empêcher de penser que l’on me cache quelque chose. Une chose beaucoup moins glorieuse, mais qui ne se dit pas, et qu’il faut recouvrir à tout prix de témoignages d’allégresse, pour ne pas divulguer le Grand Mensonge, l’Illusion Fondamentale qui conditionne la perpétuité de l’Espèce.
Voici donc la signification réelle des expressions suivantes, débarrassées de leur vernis hypocrite (certaines définitions ont déjà été testées sur facebook, avec un certain, hm, succès) :

«- Et puis savoir qu’il y a un enfant qui se développe à l’intérieur, c’est formidable. Des fois je pose simplement ma main sur son ventre, et je le sens bouger. Ca vaut tout l’or du monde.»
GROSSESSE, nf. : Moment paradoxal durant lequel la femme ressent les envies les plus fantasques tout en étant incapable, en raison de son apparence physique, de les susciter chez son amant. La grossesse à répétition est, par ailleurs, une ingénieuse façon, dans les pays sous-développés, de compatir avec les nations riches en partageant leurs problèmes de surpoids. Etat succédant immédiatement à celui où la femme pouvait être désirable, la grossesse est néanmoins la période durant laquelle elle jouit pour la dernière fois de son temps, de la libre disposition d’elle-même, et d’un air intelligent, faisant figure a posteriori, en dépit de ses inconvénients, de petit paradis perdu.

«- Je l’accompagne à la relaxation. C’est sympa, en fait.»
RELAXATION, nf. : Technique de contrôle de soi, par laquelle on essaie d’alléger le poids sur la conscience d’un acte qui consiste à projeter dans la matière, de façon irréversible, un être non-volontaire, qui errait jusque là dans le doux anonymat de l’incréé, pour lui infliger les souffrances liées à la sensibilité (douleur, privation, dégradation) et à l’intelligence (conscience de ses limitations, du néant qui encadre l’existence, de la périssabilité de toute chose), tout en le propulsant vers une mort certaine. Où l’on apprend que la fuite devant la plus haute des responsabilités s’effectue par le contrôle du souffle et la position du Lotus (une leçon à méditer pour les criminels de guerre). De même que le premier meurtre est toujours le plus difficile dans la carrière d’un tueur, la relaxation devient inutile à partir de plusieurs grossesses.

SMS : « Ce matin à 4h42 s’est produit un petit miracle : Mathis est né. »
MIRACLE (DE LA NAISSANCE), nm. : Evènement parfaitement prévu par la nature, présenté sans les détails de l’accouchement.
« - Ca s’est très bien passé, oui. »

PARTURITION, nf. : Grand moment d’hilarité. On distingue la parturition de la torture au fait que, dans la première, le sujet est considéré comme volontaire. Grâce aux positions du pape en matière d’IVG, on peut toutefois faire l’économie de ce subtil distinguo.

FÉLICITATIONS, npl. : Encouragements hypocrites à reproduire la même erreur, savoir baiser sans capote. «- Oh, qu’il est beau ! »

BAUDELAIRE, np. : Poète français qui, bien que resté sans enfants, a bien dû en fréquenter quelques-uns, lui qui était capable d’apercevoir la beauté dans la laideur. Le fait que nous nous forcions à faire la même chose chaque fois que nous nous réunissons autour d’un berceau dans une clinique, prouve quelle figure éminente de notre patrimoine culturel est devenu Baudelaire.

« - Il va falloir s’en occuper jusqu’au bout maintenant, ahaha ! »
INTERMINABLE, adj. : Qualifie le temps d’existence moyen d’un être humain, mesuré à l’aune de notre patience.

« - Samedi soir ? Le samedi du nouvel-an qui vient, là ? Ah non, on ne peut pas, on garde bébé. Soirée en famille, quoi. Crois-moi, on ne perd pas au change ! »
BÉBÉ, nm.: Agent corrupteur de l'eau du bain, à cause duquel on est obligé de jeter celle-ci sans parvenir à se débarrasser de celui-là.

« - Mais arrête, toi aussi tu y viendras. Et tu ne regretteras pas. »
RESSENTIMENT, nm. : Besoin de se venger émanant des jeunes parents, et prenant la forme de divers reproches. La technique la plus connue consiste à faire croire aux autres que la parentalité est la dernière qualité qui leur manque, et surtout celle qui leur permettra de sentir l'odeur de la merde dans laquelle ils se sont eux-mêmes foutus (parce que y'a pas de raison).

« - Mais qu’est-ce que tu en sais ? De toute façon, tu ne peux en parler légitimement, puisque tu ne sais pas ce que cela fait. Arrête tes balivernes. »
BALIVERNES, nf, p. : divagations absurdes, à la limite de la pensée magique, que l'on balaie d'un revers de main avec la certitude bien ancrée d'être du bon côté du manche, émises par des égoïstes arrogants qui pressentent que, peut-être, pour leur part, la parentalité n'est pas une bonne idée. D'un point de vue méthodologique, il s'agit de faire aussi peu de cas de ce pressentiment que des théories d'un bantou illettré en matière d'astrophysique. On répond en général aux "balivernes" par un argument sûr et parfaitement rationnel : "tu verras quand tu y seras". Ainsi la logique implacable de la Providence Harmonieuse, qui a fait ce monde aussi aimable que possible, est-elle respectée.

« - C’est la durée du voyage ».
DURÉE (DU VOYAGE), nf. : Justification exclusive, quoiqu’utilisée en alternance avec la chaleur, le froid, la fatigue, la faim, la soif, le besoin d’uriner, la propreté de la couche, le confort des sièges, l’âge du conducteur, et la présence de Jupiter dans Saturne, aux hurlements d’un enfant qui vous a pourri les cinq heures du Paris-Toulouse.
Voilà. Vous faites comme vous voulez, maintenant.

2 commentaires:

  1. Groumph. et syouth trapeass... C'est pour le second, ce que j ai eu a taper pour prouver que je n 'etais pas un robot...

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  2. J'aurais bien défendu le point de vue des parents en démontant une à une ces définitions ridicules mais avec mes 2 gamins en bas âge je n'ai pas trouvé le temps.

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