Daejeon.
L'organisateur se pointe avec deux chaussures de couleurs
différentes, et mâche son chewing gum parce qu'il est trop cool,
perdu au milieu de la Corée, il ressemble à un De Niro déglingué,
et me fait un peu flipper. Nous sommes perdus dans cette ville
étrange, et cherchons notre chemin. On demande à des ados timides
équipés d’Iphones, mais rien n’y fait. Soudain un homme sort de
l’ombre et, affable, propose de nous aider. Il nous révèle qu'il
est détective privé, et qu'il cherche un "bad man" dans
le quartier. La pluie commence, on ne trouve toujours pas. Le mec de
la salle vient enfin nous chercher : c’est Freddie Mercury en
appareil dentaire. Un mec qui trainaît autour de nous dans une
grosse bagnole noire nous tend des parapluies, tandis que la version
coréenne de Clark Kent prend mes claviers pourris d'un air
concentré. Les yeux de la ville derrière nous, on avance patiemment
sous la pluie, sans trop savoir à quelle sauce on va être mangés.
Superman me révèle qu'il fait de la boxe, je commence à penser que
c'est vraiment superman. Et Daejeon sous la pluie devient l'image
brouillée de la ville des Cat's Eyes.
*****
C'est
quelque chose comme une grande claque bien sentie, physique surtout,
et mentale.
Au
retour, tu te sens longtemps en altitude. Les vapeurs de l'alcool
aidant, une tournée, il faut le dire, c'est n'importe quoi. Si
quelqu'un peut m'expliquer, je n’ai pas toujours compris ce qui
m'atterrissait en pleine face.
Tu
rates le premier tour à la télé, les abonnements s'amassent sur
ton palier.
Tu
n'as pas le temps de lire. Tu es dans les transports, à moitié
gueule de bois, à moitié endormi, ton corps morfle, et pourtant
comme un petit soldat, il s'aguerrit, il s'adapte. En rentrant, tu es
comme un hamster sur une roue, et tu n'appelles personne pendant
quelques jours.
Au
bout d'un moment, on ne t'offre plus d'eau, mais on t'arrose de bière
(là c'est mon acupunctrice qui va pas être contente - oui, pourtant
j'ai essayé de dire perrier citron, mais ils ne comprenaient pas le
français alors que “beer”, c’est universel). Des fois, tu dors
dans le lit de qui tu sauras jamais, tu ne te laves pas tout le
temps, et tu découvres encore plus d'odeurs dans le monde,
enchanteresses et diverses. Et puis tu déplaces constamment un
nombre incalculable de sacs contenant du matériel, ça devient ta
seconde peau. Toi et la machine prenez le train, l'avion, le bus, le
touc-touc, le skateboard, la moto et j'en passe. Tu rencontres
immédiatement des gens, car les organisateurs t'accueillent, te
tapent la discussion. Pour peu que tu sois célibataire, tu feras
sûrement des rencontres d'un soir, ou du eye
contact
au mec au coin de la scène, et tu t'en fous si tu te payes un
râteau, car tu quittes la ville demain. Ou alors tu vas embrasser
quelqu'un et ça te paraître un grand moment, tellement tu es dans
une bulle. Installer ton matériel pour les balances, c'est toujours
une oeuvre éphèmère, un happening iréel, codifié, systématisé.
Tu deviens très rapide à la fin. Tu parles le langage de tournée
désormais, ce langage essuyé à l'alcool et aux blagues pourries,
ce langage de baskets sales et de nez fourni.
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