Vendredi
1er
mars, j’ai rendez vous « Porte de Versailles » pour
cette nocturne/tarif réduit du salon de l’agriculture.
Connaissant
la rigueur temporelle de mes compagnons, je prends mes précautions
et m’inflige volontairement un retard calculé. Zèle nécessaire
auprès d’une hiérarchie qui ne me verra pas quitter l’office en
courant. 19h20, je suis le premier. Merde. J’investis la file
désordonnée, irrégulière, interminable.
Je
regrette déjà d’avoir accepté l’invitation. La campagne, je
connais, comme tous les « Parisiens », en fait, je suis
auvergnat. J’ai déjà touché une vache, et donné du pain à un
âne, j’ai déjà un bon caviste, et je ramène un stock de
saucissons et de pâté à chacune de mes escapades, auvergnates
donc. Il fait froid, ils sont en retards, ce que je ne tolère que
chez les jolies femmes narcissiques.
J’observe
donc ceux qui m’entourent. Ces familles, venues d’aucune campagne
que nous autres ne connaissons, profiter d’un « week-end à
Paris ». Rituel annuel, break Citroën, parking Vinci, chambre
réservée à l’étap’hotel de la porte de Vanves, pièce du
boucher avalée à l’Hippopotamus de la rue de Vaugirard. Ces gens
là ont leurs habitudes. Demain, Eurodisney, dimanche, les Invalides
- la tour Eiffel, ils connaissent ! Ils viennent chaque année
depuis 20 ans, trouvant toujours un bon prétexte pour profiter
quelques jours de la Capitale. Ils se souviennent de leur réveillon
sur les Champs Élysées pour l’an 2000, aussi bien que du concert
de Johnny au stade de France l’année dernière, mais tout les
émerveille encore. Ils ont de la chance.
J’observe
aussi une population qui me surprend. Car s’il y a celle que je
viens de décrire, il y a également ces « jeunes », mes
si chers semblables.
« Génération
Y regroupant - trentenaire dépendant affectif - bobos -
hipsters - traine de hype - stagiaire arborant le « premier
costard » mal coupé… ». Tous les genres dont je/j’ai
fais/t partie. Mais désormais seul parmi les groupes, le sens
critique me chatouille et accroit mon impatience. Je n’ai personne
avec qui partager mon cynisme, tant pis. Ils parlent beaucoup,
beaucoup trop fort des derniers endroits « à la mode ».
Je fais la liste des bars et des bistrots que je ne fréquenterai
plus, du moins pas ce soir - il ne faut pas abuser des bonnes
choses. Ils ont hâte de rentrer. Force du nombre ou trop grande
politesse de ma part, lorsque la file se rétrécit je me retrouve
derrière eux. A quoi bon lutter. J’attends.
Intercalée
entre eux et moi, une jeune fille égarée. Plutôt jolie. Elle
s’agite, se retourne, tapote sur son téléphone, se hisse sur la
pointe des pieds, sa silhouette s’élance, elle a de jolies jambes
et des attaches fines. Elle tourne la tête, son cou s’échappe un
instant de l’emprise de son écharpe, elle me sourit. Elle sort une
cigarette, j’engage la conversation. Son mec arrive. Je retourne à
ma solitude et la meuble de quelques textos las.
Le
calvaire s’achève après 15 minutes, j’achète les billets. Mes
camarades me rejoignent, nous entrons. Ils en seront quittes pour
quelques tournées.
Direction
le Hall 7 « produits du terroir ». Nous ne sommes pas
venus pour voir des animaux. La progression est lente sur ces
immenses tapis roulants. Nous passons sous les petites banderoles
présentant les mascottes du salon. Lorenzo, le bélier, alimente
quelques moqueries. Nous sommes fatigués. Une odeur acre
caractérisant les sécrétions animales envahit l’espace et, de
mes narines me revient le souvenir (auvergnat) d’un après midi
dans l’écurie d’un éleveur de chevaux. Adolescent accroché à
un balai fait de tendres rameaux, observant le filet d’urine qui
s’échappe de la porte du box et roule paisiblement dans la rigole
d’un dalle de ciment, désormais dégagée de tout obstacle.
L’animal, qui appréciait le travail bien fait, avait hennit,
satisfait. Atterrissant sur la moquette grise, je me demande si ces
parfums me suivraient comme ils l’avaient jadis osés.
Nous
prenons de la hauteur. Halls 7.2 et 7.3. Les commodités sont
réparties de part et d’autre de chacun des paliers. Il y a foule.
Certains n’ont pas le courage d’attendre et s’appliquent dans
un coin. Une odeur de saucisses fumées et d’oignons grillés
remplace celle du fumier. Drôle de sensation, je ne sais plus très
bien si j’éprouve le besoin de vomir ou de manger. Il y a des gens
assis par terre, adossés contre les murs qui se tiennent la tête
entre les mains. L’un d’eux vient de vomir. Il est 20 heures.
Bretagne,
Bourgogne, Poitou, Aquitaine,… nous faisons le tour de notre cher
petit terroir. Je suis étonné par l’espace pris par la Corse, des
hommes moins corses que moi chantent, leurs femmes se contentent
d’exhiber leur teint autobronzé et leur Vuitton flambant neuf.
Nous avalons quelques salaisons, un sandwich à l’andouillette et
quelques dés de fromages alpins, puis nous arrosons ce doux mélange
de bières artisanales. Respectant cet usage des mélanges, les
premiers bouchons de liège grincent vers 21h30, après un bref
passage sous le soleil des DOM-TOM, au niveau 3 - repaire des
« vingtenaires » et des Planteurs. Nous attrapons
d’autres douceurs, sucrées - ne soyons pas gris trop vite - puis
nous déplaçons faiblement vers la région Auvergne, car, j’insiste,
« c’est un peu chez moi ». Le groupe est disloqué,
certains sont allés boire de l’absinthe en Franche-Comté, tout
fout le camp. Une bagarre éclate, là, dans un coin, un producteur
en attrape un autre par le collet. J’espère qu’une femme en est
l’enjeu. Derrière les « restaurants » éphémères qui
bordent les stands les badauds s’arrêtent. Les coups de poing
raisonnent, un cri féminin fini de détourner les regards et attire
quelques prompts renforts. Trop d’agitation, nous en profitons pour
filer, l’ambiance école de commerce j’ai déjà donné.
Un
concert un peu ridicule parachève notre promenade, recherchant un
coin plus tranquille pour cuver encore, nous nous attablons devant un
petit producteur de Saint Pourçain. Le coquin insiste pour que nous
goutions tous ses vins avant de choisir notre bouteille. Après 5 ou
6 verres, nous ne parvenons pas à nous décider. Nous offrons une
cigarette au viticulteur, que nous nous surprenons à tutoyer. Un
quadra esseulé, l’air très digne, chevalière - Barbour -
lunette d’écailles, s’introduit dans notre conversation. Lui
aussi est auvergnat. Un peu gris, il nous confesse que sa femme
n’appréciera pas qu’il rentre tard, puis s’exclame brusquement
« bon, c’est pas tout ça, mais il faut que je retrouve mon
gosse ! » Nous imaginons alors un enfant de 10 ans errer
seul à l’étage inférieur, au milieu des porcs et des ovins.
On
bouge. Il est presque 23h, le salon va fermer. Rencontres étranges,
les gens titubent. Certains marchent au hasard et s’effondrent dans
des carrés de verdure semi-artificielle. Retour à la nature. Les
mœurs sont à peine dignes d’un salon de l’auto - manque
d’hôtesses, pour embrasser totalement les poncifs d’une telle
soirée.
Nous
redescendons les escalators qui empestent toujours plus, sans
distinguer désormais les odeurs humaines et animales.
Nous
caressons quelques croupes, en imitant mal nos hommes politiques.
Taureaux, vaches et cochons. Les esthètes que nous sommes apprécient
la beauté des bêtes qui défilent sous leurs yeux vitreux. Les
odeurs ne nous atteignent plus, et nous ne serions presque plus
choqués de voir deux « culs noirs » de 400kg, ronflant
tête-bêche dans un enclos les contenant à peine, face à une
échoppe de salaisons diverses. Moi qui me trouvais cynique…
Nous
prenons le chemin de la sortie, les stands des industriels de
l’agroalimentaire sont clos. Nous n’aurons pas pu déguster un
« p’tit charolais » offert devant les génisses
médaillées. On ne peut pas tout faire.
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