Quand on a grandi comme
moi sur l'île de Ré, on est frappé par le nombre de choses
malveillantes et parfaitement vraies que l'on dit sur son compte.
Mais la rumeur populaire est encore trop tendre...
Petit lexique, donc, à
l'usage des « étrangers » qui s'aventurent dans ce zoo
socio-culturel... Par un rétais pur-sang.
AMITIE, n.f. :
relation entretenue avec les gens de même revenu. L'amitié est,
comme la Bourse, sujette à fluctuations.
ANE EN CULOTTE, n.m. :
aimable métaphore du touriste, à qui il ne reste effectivement plus
que la culotte au terme de son séjour sur l'île de Ré.
ARGENT, n.m. :
substance du monde ; origine et destination de toute chose ;
justification de l'existence.
CONTINENT, n.m. :
territoire rattaché à l'île de Ré. Inépuisable source de
moqueries et de revenus.
ESCLAVAGE, n.m. :
solution radicale au travail ingrat dans l'Antiquité. Comme il n'y a
plus de travail ingrat, car toute tâche plaît à Dieu (voir
Protestantisme), c'est l'ensemble de la société qui doit
remonter ses manches pour contenter l'ogre de la productivité. Cette
contradiction entre une religion du travail et l'absence de prochain
à rabaisser et humilier déplaît fortement aux Protestants de l'île
de Ré, qui entretiennent donc une armée d'esclaves, sous-payés et
hors-contrats, appelés « saisonniers », dont on peut
critiquer acerbement la paresse et la mauvaise volonté tout en
recomptant la caisse de la crêperie.
ETUDES, n.f.p. : souvent artistiques (comédie, danse), elles désignent les activités auxquelles on laisse s'adonner les jeunes rétaises immédiatement après le bac, et juste avant de reprendre l'affaire familiale (épicerie, agence immobilière). Les garçons, plus pragmatiques, reprennent directement l'affaire familiale.
GYMNASTIQUE, n.f. :
exercice mental consistant à faire le grand écart entre la haine de
l'étranger et l'amour de sa bourse.
IGNORANCE, n.f. :
mouvement spontané de solidarité des rétais envers vous à la
moindre difficulté, afin de ne pas aggraver vos humiliations
diverses par la charge d'avoir à leur en parler.
MER, n.f. : piscine
extérieure et publique, donc infréquentable.
MONTEBOURG, Arnaud,
n.p. : personnage ignoble capable d'afficher des convictions de
gauche en même temps qu'un polo rayé, ce qui pose la difficile
question de savoir ce qu'on va bien pouvoir porter l'été prochain
sur la terrasse de la Bazenne.
OR, n.m. : métal
précieux, à peine moins cher que les huîtres de l'île de Ré.
PARIS, m.p. :
résidence secondaire des rétais, dans laquelle on peut passer
jusqu'à dix mois par an.
PONT, n.m. :
ingénieuse construction en béton de trois kilomètres permettant de
fluidifier la circulation de l'argent, depuis les poches de l'usager
jusqu'à celles de ses exploitants. Dans un accès incompréhensible
de charité, ces derniers en ont récemment rendu l'usage gratuit
pour les insulaires, qui arguaient d'une prétendue liberté de
circulation, au mépris des principes les plus élémentaires du
profit, bafouant ainsi les droits naturels et imprescriptibles de la
néo-bourgeoisie capitaliste à exploiter pour l'éternité les
grands trucs moches et inutiles qu'elle a imposés à tous au nom du
bien collectif.
REGATE, n.f. :
équivalent à partir de 70k de revenus annuels du pique-nique au
bord de la route, la dignité en moins.
RELIGION, n.f. :
vernis moral appliqué sur le profit, indispensable au sommeil.
Exemples
:
CATHOLICISME,
n.m. : religion ennemie (voir Protestantisme) au contenu
doctrinal parfaitement fantaisiste, et pour tout dire hérétique,
d'après laquelle l'enseignement de Jésus inviterait le fidèle à
la charité, au dénuement, et au souci du prochain. Anachronique et
incompatible avec la bonne tenue d'une poissonnerie.
PROTESTANTISME,
n.m. : religion officielle de l'île de Ré. Culte au contenu
doctrinal réduit au strict minimum, le protestantisme est en
revanche prodigue en matière de morale et de principes
arithmétiques, permettant de s'adresser au monde entier en lui
faisant à la fois la leçon et les poches. Véritable plaidoyer pour
l'individualisme, l'enrichissement, et le puritanisme hypocrite, il a
l'avantage de ne jamais ennuyer le fidèle avec la notion de faute ou
de culpabilité, lui permettant d'adopter un affairisme décomplexé
à l'opposée des timidités risibles des religions concurrentes
(voir Catholicisme).
JUDAÏSME,
n.m. : religion modèle ayant réussi la fusion de la piété et
du sens des affaires, on regrettera toutefois ses tendances
mystiques, qui laissent deviner la présence d'une Spiritualité,
nuisible au commerce.
ISLAM,
n.m.: incarnation moderne de Satan, heureusement maintenue aux portes
du pays par l'incarnation moderne de Charles Martel, plus communément
appelée « prix du pont ».
RELIGION (absence de) : défaut
principal des gens que l'on a subitement cessé de fréquenter, le
jour où la position de leur compte en banque a basculé dans
l'hérésie.
SURF, n.m. : onomatopée qui,
prononcée au moment décisif de la parade animale, entraîne à tous
les coups la conquête de la femelle.
TROTTOIR, n.m. :
mobilier urbain qui manque cruellement sur l'île de Ré, et qui
empêche d'en changer quand on croise un déclassé (suite à une
faillite, un divorce, un accident, ou encore une faillite).
VENTOLINE, n.p. : médicament à l'usage des non-asthmatiques qui découvrent les tarifs pratiqués sur les marchés alimentaires de l'île de Ré.
VIDEUR, n.m. : individu gardant jalousement un sanctuaire de l'intelligence, maîtrisant toutes les règles de l'argumentation et capable de mobiliser la plus subtile des rhétoriques pour vous faire comprendre que, non, décidément, vous ne faites pas partie des gens qui comptent sur l'île de Ré.
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