Cela fait des mois que l'interview de
Kim Ki O sommeille dans mon dictaphone. Tellement longtemps, à vrai
dire, que cela en deviendrait presque insultant envers Clément, qui avait
lutté pour m'obtenir le rendez-vous. Et puis voilà, surfant sur la vague des sujets chauds, la Turquie qui fait
l'actualité, le souvenir remonte. Je dois dérusher ce truc mais
ça ressemblait à quoi déjà ?
A la re-écoute de leurs morceaux, je me
demande pourquoi je traine tout le temps quand un projet
comme Kim Ki O surbute tellement. Ces filles, arrivent, comme dirait
Loïg, à faire une musique « ultra-ballzy », sans en
rajouter des couches. Un groupe dont j'aurais aimé faire partie si
j'avais eu le courage de mettre fin à cette image de
bouffonne un peu creuse.
Alors qu'elles auraient pu se décolorer
les cheveux, choisir un guitariste squelettique habillé chez Urban
Outfitters et produire une merde psyché/dépressos adoubée par
Pitchfork, Kim Ki O décide depuis 2006 de tracer un chemin qu'elles
ont elles-mêmes dessiné. Ces deux amies d'enfance sont seules sur
scène, et refusent de rajouter des musiciens. Elles privilégient le
turc pour leur punk minimal aux accents noirs. Un peu froid un peu
triste et surtout assez malaisant, c'est tant pis pour toi si tu ne
trouves pas ça « bankable ».
Des positions que je considère,
peut-être à tort, comme des gros doigts d'honneur assez classieux aux standards, mêmes indés, de l'industrie musicale et qui n'ont bizarrement aucun
impact sur l'écoute de leurs morceaux. Berna et Enki composent, étrangement,
une musique qui me parle, alors que je bitte rien à leur langue
maternelle et que je suis une meuf qui commence à accepter
la notion de « compromis » si cela peut me permettre de faire des concerts payés et d'avoir 1-une loge 2-qu'elle ne sente pas trop le pipi. Je
ne sais pas si c'est con ou complètement triste d'être surprise en 2013 par des
gens un tant soit peu authentiques et sans concessions.
Je crois que c'est triste, en fait.
Pouvez-vous présenter un peu le groupe
et expliquer comment tout a commencé ?
Berna : On a toujours voulu faire de la
musique et on avait des groupes qui ne duraient jamais très
longtemps. On était amies d'enfance avec Ekin, et cela faisait
longtemps qu'on ne s'étaient pas vues. Quand on s'est recroisé, en
2006, on a parlé de cette envie et on s'est dit qu'on devait le
faire.
Ekin : On a donc commencé à
répéter...
Berna :... et on ne s'est jamais arreté
!
Que veux dire le nom de votre groupe ?
Ekin : C'est une expression turc, qui
veut dire « Qui est-ce de toute manière? »
Berna : On a toujours parlé du fait
qu'on voulait chanter en Turc, qui est une langue difficile, surtout pour une musique comme la nôtre. C'était très difficile à
incorporer dans nos chansons, et « Kim Ki O » fut une des
premières paroles que nous avons trouvé. Comme on aimait aussi
beaucoup le sens de cette phrase, elle a donc fini par s'imposer
d'elle-même.
Comment décrire votre univers musical
?
Ekin : C'est très difficile. Je pense
qu'on fait de l'électro pop, mais assez mélancolique.
Berna : Des fois des gens qui aiment le
post punk nous disent que c'est ça, des fois pas du tout.
J'aimerais bien qu'il y ait un nom pour ce qu'on fait, mais je crois
que ça n'existe pas. Quelqu'un nous a un jour dit qu'on faisait de
la Dark Wave, je l'aurais bien pris comme un compliment, mais je crois que cela ne nous correspond pas trop...
Vous n'êtes que deux : c'est un choix
ou une contrainte avec lequel vous avez du gérer ?
Ekin : Choix ! Et ça a toujours été
notre premier cheval de bataille.
Berna : On a fait pas mal de choses
différentes dans le passé, on a joué dans d'autres groupes, mais
la dynamique de Kim Ki O est ainsi parce que nous ne sommes que deux.
Et on souhaite que cela reste ainsi.
C'est pourtant difficile de n'être que
deux sur scène...
Ekin : C'est vrai, et cela influe sur
notre musique, forcément. Mais de la contrainte nait la créativité
!
Berna : On a été obligées de trouver
des solutions, de travailler plus dur.
Pourquoi chanter en Turc ?
Ekin : Je n'ai toujours pas de bonnes
réponse à cette question, mais je crois que cela sonne mieux avec
notre musique.
Berna : On a grandi dans la musique
anglophone. On jouait dans d'autres groupes qui ne marchaient pas, et
c'était toujours aussi en anglais. Le jour ou on a laissé tombé
pour le turc, ça a donné ce projet, qui nous est apparu comme très cohérent. On a donc continué ! Avoir
chanté en anglais, cela peut être aliénant. Il faut arriver a
désactiver le bouton dans ta tête, et envisager différemment la
musique. J'avais l'impression d'être quelqu'un d'autre en chantant dans une autre langue. Maintenant, je me sens soi-même. Mais on souhaite quand même
que nos paroles soient comprises. On les traduits nous-mêmes et on
les glisse dans l'album. C'est le moins qu'on puisse faire. Nos
chansons sont disponibles sur le site internet, aussi, et nous
glissons toujours la traduction !
Vous pouvez nous parler de votre
dernier album, Grounds ?
Ekin : C'est notre première sortie
sur Lentonia. Nous les avons rencontrés l'année dernière, mais on avait
déjà enregistré l'album.
Berna : Ils étaient très curieux, on
aurait jamais osé leur donner, et ils nous l'ont pourant demandé.
Après l'écoute, ils nous ont contacté pour savoir si on serait
interessées par le fait qu'il le sorte. « EVIDEMMENT ».
C'est notre quatrième album, mais le second de vraiment officiel,
les autres étaient plus DIY. Avec cet opus, on sentait vraiment
qu'on avait le contrôle, et largement plus confiance en nous. On
savait où on allait.
Ekin : Il est plus sombre, c'est sur,
surtout les paroles. Cela parle de choses plus profondes. Nos chansons ne sont pas tristes, elles sont plus « énervées ». Nos paroles sont très sombres, et les gens qui comprennent le turc ressentent d'ailleurs plus ce côté triste.
Vous avez des thématiques récurrentes
?
Berna : Cela parle souvent des
difficultés que rencontrent deux personnes, ou même une personne
seule, et on essaie de l'ouvrir, de lui donner un côté plus
universel. C'est assez important pour nous.
Ekin : Les chansons de l'album parlent
du monde dans lequel nous vivons, et les relations entre les gens, le
manque de communication, les inégalités...
Berna : et les animaux !
Vous venez de Turquie : a quoi
ressemble la scène locale ?
Berna : C'est très différent de ce
qui se passait il y a dix ans.
Ekin : C'est devenu très animé, il y
a des concerts tous les jours, des groupes sont perpetuellement en
tournée en provenance d'Europe ou des Etats-Unis...
Berna : Il manque néanmoins pas mal de
choses. Les fondations de cette scène sont encore fragiles.
Ekin : Dans les années 80, le climat
était assez tendu, il y avait des gens qui se positionnaient contre
la politique du gouvernement et allaient en prison ou devaient fuir
avec leurs enfants. Cela s'est beaucoup reflété dans la musique.
Aujourd'hui, il y a une nouvelle génération, dont nous faisons partie, qui est assez apolitique, et qui ne ressent pas vraiment le besoin d'en parler.
Vous jouez beaucoup en Turquie ?
Ekin : Il y a quelques villes en
Turquie où on peut jouer, mais on ne peut pas tourner indéfiniment,
ce n'est pas possible. On espère un jour pouvoir le faire...
Berna : A Istanbul, on essaie de ne pas
jouer tout le temps. La scène n'est pas énorme, on ne voudrait pas lasser le public.
Vous vous considérez comme un groupe
de filles ? Est-ce important ?
Ekin : C'est très important pour nous,
et ce depuis le premier jour où nous avons commencé à jouer.
Berna : Quand nous avions 13-14 ans,
nous étions très inspirées par le mouvement Riot Grrrl.
Ekin : On ne voulait pas juste les
écouter, nous voulions être amies avec elles. Il y avait plus que
la musique, l'art en général.
Berna : Après, notre groupe préféré
du mouvement Riot était un groupe composé de garçons et de filles,
mais qui se présentait comme un Girls Band. Ils défendaient
l'idée qu'il n'y avait pas que les filles qui rencontraient des
problèmes. C'est le cas de tout le monde, en fait. Et on est plus
proches de cette réflexion.
Vous avez l'air d'avoir une mentalité
tres DIY...
Ekin : Quand tu as appris à faire les
choses par toi-même, c'est très difficile après de faire
autrement...Et c'est important pour notre scène aussi. Les artistes
doivent, d'après nous, avoir le contrôle de tout ce qui les
concerne, du marketing à la distribution de tes albums, au contact avec les gens qui aiment ta musique. On aime
tout faire nous-même, et puis il faut
avouer d'impliquer une troisième partie, un intermédaire, ne nous plait pas vraiment.
Berna : Je pense que même le Mainstream se
nourrit des petits labels indépendants. C'est très important pour nous le DIY. Mais bon, peut-être qu'on
reviendra dans deux ans avec l'étiquette Virgin, héhéhé.
Quels sont vos projets pour Kim Ki O ?
Ekin : On a des rêves assez basiques :
tourner beaucoup, pourquoi pas aux Etats-Unis ou au Japon..
Berna : Surtout, on aimerait mener Kim Ki O jusqu'au bout de
ses possibilités. En ce moment, on fait de la musique pour un film,
et si cela fonctionne bien, on aimerait bien continuer. Faire plein
de choses différentes, collaborer avec des artistes, et confronter nos univers...Cela ne peut être qu'enrichissant.
Le site de Kim Ki O
Le site de Kim Ki O
J'ai dit ballzy 8 fois dans toute ma vie (dont 5 la semaine dernière), donc ça compte pas.
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