Ce titre un peu pompeux, je l’ai emprunté à Ivan Jablonka, un historien qui a remporté le prix Médicis et le prix littéraire du Monde en 2016, pour son ouvrage « Laëtitia, ou la fin des hommes ». L’actualité a ramené ce bouquin dans mon esprit, quelques mois après l’avoir lu. Même si certains-nes essayent de le tourner en ridicule, de le corrompre ou le méprisent tout simplement, en 2017 un nouveau mouvement est né chez les femmes. Au départ, quelque peu désabusée, j’ai vu dans ces hashtags #metoo #balancetonporc etc… un énième « je suis Charlie » inondant les réseaux sociaux, une mode qui permet de rester assis bien confortablement derrière son écran tout en se donnant la bonne conscience du militantisme ou de l’engagement. Mais je ne valais pas mieux à donner des leçons, car au moins ces filles et femmes ont ouvert leur gueule, elles ont rassemblé et j’espère qu’elles permettront des avancées. Je prends part au mouvement bien sûr, de ma place, en toute discrétion, mais bien là, présente.
Ce livre, « Laëtitia » parle de la fin des hommes à la lumière de cet effroyable meurtre dont a été victime Laëtitia Perrais, âgée d’à peine 18 ans, en janvier 2011. Beaucoup de tapage médiatique et surtout, une récupération politique bien sale par Sarkozy ont marqué les suites de cet assassinat. Ivan Jablonka s’est intéressé à cette jeune femme et à son parcours, il a voulu lui redonner une vie, une existence, et lui rendre ainsi hommage. La description de l’éditeur dit ceci: « Ivan Jablonka a rencontré les proches de la jeune fille et les acteurs de l’enquête, avant d’assister au procès du meurtrier en 2015. Il a étudié le fait divers comme un objet d’histoire, et la vie de Laëtitia comme un fait social. Car, dès sa plus jeune enfance, Laëtitia a été maltraitée, accoutumée à vivre dans la peur, et ce parcours de violences éclaire à la fois sa fin tragique et notre société tout entière : un monde où les femmes se font harceler, frapper, violer, tuer. »
Ce que je comprends de cette maxime, « la fin des hommes », c’est une façon pour l’auteur d’évoquer la fin de la civilisation. Ou en tout cas la fin de l’illusion que nous sommes une civilisation. Car dans notre pays, 5ème puissance économique mondiale, avec un système de santé imbattable, les femmes sont harcelées, insultées, violentées, violées, tuées, mais elles demeurent encore suspectes lorsqu’elles dénoncent cela. J’ai l’impression que cette année 2017 est venue mettre un coup de pied dans ces principes archaïques. Bien sûr, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir, mais déjà, le fait de ne plus se taire, de ne plus se soumettre surtout, représente un grand pas.
Ce qui m’a le plus révoltée à la lecture de « Laëtitia… » c’est d’apprendre qu’elle et sa soeur jumelle, ont été retirées de leur famille et placées dans une famille d’accueil pour être protégées de parents qui ne tenaient pas debout, en proie à des histoires de vie bien abîmées, mais qu’elles sont tombées sur un prédateur. Cela résonne en moi car je travaille dans la Protection de l’Enfance. Laëtitia et sa soeur Jessica donc, ont été confiées à un couple d’assistants familiaux, dont le mari agressait sexuellement les jeunes filles accueillies et leurs amies à l’occasion. Au moment du meurtre, ce type a d’abord été sous les feux des projecteurs comme l’aurait été un père, protecteur et profondément blessé. Il a dénoncé ce crime atroce, cette agression de la jeune femme dans sa chair. Il a même été reçu par Sarkozy. Jusqu’au moment où durant l’enquête, on découvre qu’il est lui aussi un agresseur, et de la pire espèce. De ceux qui se cachent derrière la bien-pensance, le dévouement et qui de ce fait s’octroient le droit de forcer des adolescentes à le branler ou à se laisser toucher, voire pire. Car que reste-t-il à ces jeunes filles si elles dénoncent cela? Ce sera la case « retour en famille » avec son lot de drames? La case « foyer » où malgré tous les efforts des équipes éducatives, on ne retrouve jamais la chaleur et la réassurance d’une maison familiale?
Ouais je crois bien que c’est ça qui m’a le plus écoeurée dans ce livre: le fait de constater que partout, si tu es une femme, tu es une proie potentielle. Et tu auras beau vouloir dire, dénoncer, chercher de l’aide, un interlocuteur qui te croit, tu devras peut-être renoncer, t’y reprendre à plusieurs fois, te sacrifier parfois, pour pas te retrouver dans le froid et la honte.
Si 2017 représente le début de la fin de la domination des hommes, alors on peut dire que c’est une belle année. Mais le combat pour la prise de conscience ne fait que commencer. Je vous conseille vivement la lecture de cet ouvrage d’Ivan Jablonka. Malgré son sujet tragique et la barbarie qu’il décrit, il témoigne de la volonté d’un homme, l’auteur, de dénoncer la violence universelle des hommes envers les femmes. Gardons espoir et restons éveillées.