Avant tout, être agenre, c’est être transgenre.
Être transgenre, c’est lorsque l’identité de genre assignée à la naissance ne correspond pas à ce que l’on est.
Être trans, c’est ressentir de la dysphorie.
La dysphorie de genre, c’est l’incompatibilité de notre identité à notre corps, à notre nom, à comment les autres nous aperçoivent quand iels ne peuvent ou ne veulent voir qui l’on est vraiment.
Agenre, c’est un mot que l’éditeur de texte souligne en rouge.
Ce n’est pas dans le langage courant, pas encore.
Être agenre ou neutrois signifie qu’on ne s’identifie à aucun genre.
Ce genre ou plus exactement cette absence de genre fait partie des transidentités non-binaires (ni 100 % féminin, ni 100 % masculin).
Être agenre, en ce qui me concerne, c’est avant tout de la dysphorie depuis la petite enfance.
Puis l’incapacité de trouver des mots dans ma langue maternelle pour exprimer mon identité.
Il m’est impossible de compter le nombre de fois où l’on m’a dit que j’étais une « fille », ce à quoi, déjà très jeune, je répondais catégoriquement non, spontanément, sans devoir y réfléchir. Les réactions étaient le plus souvent moqueuses puis l’on me demandait avec ironie si j’étais un garçon. Proposition que je déclinais, plus mollement.
Ma plus grosse dysphorie a toujours été mes seins, je les trouve inutiles, encombrants et je souhaite m’en débarrasser.
Ma voix est un traître qui me dénonce quotidiennement, j’espère réussir à la moduler par un entraînement régulier.
Suite à cela, durant assez longtemps, j’ai cru que j’étais une personne trans binaire dans le déni.
Mais non, je savais que je n’étais pas un homme. Encore moins une femme.
Le monde ne me proposait que sa binarité et celle-ci m’étouffait et m’étouffe encore, à chaque instant.
Robe, virilité, maquillage, abdominaux ou épilation sont des mots qui ne sont pas associés à un genre.
En tout cas, pas par moi.
J’éprouve une profonde incompréhension et révolte face aux statuts des hommes et des femmes, au patriarcat, au sexisme, à notre éducation, à l’invisibilité des non-binaires et intersexes. En gros, à une majorité de nos mœurs.
J’ai grandi en observant les gens, les jeunes comme les adultes expliquent leurs conflits sur base d’une guerre des sexes. Les hommes viendraient de Mars et les femmes de Vénus, et puis quoi encore ? Les choux et les roses?
Dans le féminisme de bas étage, au lieu de tenir un discours comme quoi chaque être humain devrait être égaux en droits, on tombe régulièrement sur des textes qui vantent les qualités des femmes en les comparant à celles des hommes. Ça reste sexiste, binaire et profondément transphobe.
Pour mon look, mon expression de genre idéale correspond aux personnes androgynes.
Ce choix ne s’applique qu’à ma petite personne, un grand nombre d’enby (non-binaires) ont d’autres envies.
Cette apparence ambivalente traumatise, la curiosité malsaine lance la chasse aux informations sous notre ceinture.
Mais en aucun cas il est raisonnable de nous questionner sur ce qu’on a entre les jambes, ça nous regarde.
Si vous devez nous parler, le plus simple est de nous demander quels sont nos pronoms (iel, elle, il, ou autres).
Si vous ne devez pas nous parler, laissez-nous vivre.
Profitez-en pour lever la tête, le ciel est beau.
Il est trop tôt pour être agenre.
Être agenre, c’est être précurseur d’une révolution à laquelle le monde n’est pas préparé.
Les personnes agenres ne sont pas représentées dans les médias ou le septième art.
Bien d’autres minorités sont passées par là, on peut espérer qu’iels le seront dans une période indéterminée.
Comme les personnes transgenres binaires (F/M) le sont aujourd’hui dans de rares et bonnes séries.
[Pour ne pas les citer : Orange is the new black, Sense 8, The fosters, …]
Au fil des ans, les personnalités publiques engagées dans la cause MOGAI* ne cessent de grandir.
Pour finalement découvrir une personne agenre ; Angel Haze.
Sacré bon rap, soit dit en passant.
Être agenre, c’est être invisible, ignoré-e, nié-e.
Éduquer son entourage est un processus égoïste, lent, long, pénible et qui peut être infructueux.
Mais c’est la base. On va définir des termes ; transgenre, dysphorie, non-binaire, etc.
Et introduire des changements ; de nom (Charly), de pronom (iel), d’accord (masculin ou neutre), …
Mon premier coming-out a eu lieu vers mes 20 ans, en tant que lesbienne, en face à face et sans encombre.
C’était 5 ans après mon premier flirt avec une fille, il m’avait fallu du temps. Entre autres parce qu’on m’avait dit que c’était une phase, que ça n’existait pas les homos au long terme (merci maman). Ma famille étant très portée sur la religion et vu la violence de ma crise d’adolescence, j’avais voulu attendre pour vérifier que je resterais sur cette idée.
Lors de mon deuxième coming-out, j’avais 25 ans, en tant que trans non-binaire cette fois. Il annula le premier (si vous suivez, je ne peux être lesbienne, puisque je ne suis pas une femme). Ce n’était qu’à la famille très proche que j’ai adressé un mail sur lequel j’avais sué durant 24h en continu sans fermer l’oeil. La discussion a malheureusement dérivé sur un débat stérile au sujet de la préhistoire. C’était bien plus fatigant que le premier mais j’en suis sorti-e indemne aussi.
Du moins, c’est ce qu’on croit, que le plus gros est derrière nous une fois l’annonce passée.
Erreur, pour ma famille je suis encore la « sœur / tante / marraine » et ces mots sont d’une violence crasse dans mes oreilles surtout quand on sait qu’iels savent que c’est faux. Le nouveau prénom est adopté plus facilement par les plus attentionné-e-s mais les pronoms, c’est pratiquement une cause perdue. Le pire, c’est encore les conversations usuelles dont la binarité ne pourra probablement jamais disparaître.
Et ça, ce n’était que la première étape, un cercle très restreint qui a subit une première vague d’écolage du genre.
Cinq à six jours semaine, mon silence perdure en faculté de médecine. Certain-e-s étudiant-e-s sont profondément homophobes / transphobes, les discours tenus en amphithéâtre peuvent être très anxiogènes quand vous savez que c’est sur elleux que vous devrez compter.
Être transgenre, c’est subir l’incompétence et la transphobie d’une grande partie de nos professionnel-le-s de santé.
Même celleux qui sont censé-e-s nous aider auront souvent le comportement inverse à celui approprié en notre présence, sauf perles rares.
Certes, aujourd’hui, aux yeux du monde, je n’existe pas.
Que vous vouliez l’entendre ou non. Nous sommes ce que nous sommes, un jour, ça se saura.
On gueulera un bon coup puis on célébrera tout ça avec Angel.
Et quand je serai médecin, comptez sur moi pour être une perle.
*MOGAI : Marginalized Orientations, Genders Identities Intersex