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jeudi, 07 février 2019

A un ami

Par
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Cela va faire un an que je promets à Marine d’écrire un texte sur toi, et par extension sur ton groupe, et un an que je repousse l’échéance. Ca paraissait pourtant simple sur le papier : écrire sur un artiste et un projet musical que j’adore.

La vérité c’est que ça n’est vraiment pas facile d’écrire sur quelqu’un qui a énormément compté pour moi tant dans mon adolescence que dans ma vie de jeune adulte. Qui m’a aidé à devenir ce que je suis et m’a accompagné comme Woodstock sur l’épaule de Snoopy.

Mon frère m’avait fait écouter l’album qui t’a rendu célébre sur k7, dans son baladeur Sony jaune.

Le un peu technique et sport avec l’auto reverse intégré.

Je n’ai pas trop saisi au départ mais j’ai continué.

Après je suis devenu obsédé.

Adieu les posters de Shaquille O’neal sur les murs de ma chambre, bonjour les jean troués et autres fausses converses All Star.

J’ai demandé à mes parents des livres sur ton groupe, sur tes paroles.

Il était trop tard pour te voir en concert, Internet n’était encore réservé qu’à l’armée et plein d’auteurs s’étaient déjà penchés sur votre histoire, autant en profiter.

C’est d’ailleurs plus ou moins le seul groupe dont j’ai décortiqué les chansons au point de tout savoir sur leurs significations, leurs références… Je m’identifiais plutôt à ton bassiste Chris mais ta personnalité me fascinait.

Rien n’était clair, tout était entre deux eaux et ce flou artistique me correspondait bien.

Et puis je dois admettre que porter des gilets troués et des chemises à carreaux me plaisaient, au grand dam de ma famille.

Pas évident de rendre hommage à une personne que je n’ai jamais connu mais qui m’a aidé dans ma construction, m’a fait découvrir tellement de choses sans le savoir et alors même que tu n’étais déjà plus là.

A commencer par le punk que j’ai découvert en 5e parce que tu expliquais dans une interview que ça avait changé ta vie.

Je n’ai pas bien su ce qu’il m’arrivait mais j’ai persisté dans l’écoute même si j’ai trouvé ça horrible au départ.

Ca gueulait, c’était sale puis j’ai compris qu’on n’était pas obligé de bien savoir jouer de la musique pour composer de belles chansons. «On a plain» ou ta reprise de «Son of gun» sont des titres qui sont gravés en moi, que j’ai chanté des milliards de fois sous ma douche ou dans ma chambre.

Tu parlais aussi toujours de groupes moins connus dans tes entretiens avec les journalistes.

Je me rappelle que je trouvais ça chouette de mettre en avant des gens moins dans la lumière.

Ca m’a ouvert à tout un champ musical que je ne suspectais pas : Mudhoney, les Melvins, Flipper, The Vaselines…

Et forcément ça a influencé la musique que je faisais avec mon groupe de collégien.

Un mélange de chansons d’amour pop avec une ds1 pour crader, le tout enregistré sur k7 par dessus « Les fabulettes » d’Anne Sylvestre.

Le premier morceau que j’ai appris à jouer sur ma Strat mexicaine était «Come as you are». Puis «About a girl», «Polly» pour au final poncer toutes les tablatures du recueil que j’avais acheté dans le magasin de musique de ma ville pour pouvoir faire des reprises pendant les fêtes de copains (spoiler alert ça m’a jamais aidé à pécho).

Tu évoquais souvent les Riot Grrrls, Kathleen Hana, Tobi Vail, les L7, le Bikini Kill…

L’engagement et la musique de ces femmes m’ont marqué tout comme le rapport que tu avais avec celles-ci : d’égal à égal loin des bourrins alphas aux airs supérieurs que tu détestais, tracer sa route, faire les choses à sa manière en évitant les concessions.

Je n’ai jamais trop sû quoi penser de celle qui partageait ta vie et avec qui tu as eu une fille. Mon regard a sans doute été biaisé par la lecture d’une enquète sur ta mort qui la mettait en cause, qui la tenait pour responsable de ton choix final.

Je trouvais ça injuste parce que cette théorie me paraissait farfelue mais j’avais dû mal à voir la bienveillance envers toi chez elle. J’ai donc préféré me concentrer sur son groupe de musique qui m’a tant plu avec son premier album Celebrity skin.

Grâce à toi, j’ai compris qu’on pouvait être sensible même en criant sur de la musique saturée.

Qu’on pouvait pondre des textes poétiques et surréalistes avec un sens aussi obscure que vaste en s’en foutant de vraiment savoir si les gens comprenaient ou pas.

Je me suis mis à écrire des notes un peu absurdes pour faire comme toi et je crois que finalement cette manière de coucher des choses intimes en les cachant derrière des métaphores alambiquées continue de me servir aujourd’hui.

Le dernier clin d’oeil que j’ai pu te faire est de me tatouer Nevermind sur la hanche, en petit, il y a 7 ou 8 ans.

Il n’est pas très bien fait (les joies des tattoos diy par les potes), un peu effacé, comme s’il avait toujours été là et qu’il resterait à vie malgré le passage du temps.

A 33 ans, je continue d’écouter régulièrement ton groupe sans aucune lassitude, avec une émotion toujours aussi vive en ayant l’impression de te retrouver, mon ami imaginaire.

Je viens enfin d’arriver à pondre ce texte et j’ai l’impression d’avoir 13 ans à nouveau quand je parle de Kurt Cobain.

Benjamin Triouleyre

Bibliographie

«L’intégrale Nirvana» Chuck Crisafulli, éd. Hors Collection

«Kurt Cobain au nirvana : meurtre ou suicide ?» Frédéric Lepgae, éd. Michel Lafon

«Le journal de Kurt Cobain» Kurt Cobain, éd. Oh Edition

«Nirvana, une fin de siècle américaine» Stan Cuesta, éd. Le Castor Astral

Discographie (en ordre de préférence)

«Incesticide»

«Bleach»

«In utero»

«Unplugged in New York»

«Nevermind»

Video

«Live ! Tonight ! Sold out !» (c’est la seule que je trouve vraiment bien)