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lundi, 17 décembre 2018

A vous, les enfants de mon mari

Par
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A vous,

Mes non-enfants,

Mes « je ne suis pas leur mère »,

Les « enfants de mon mari »,

Mes compagnons du quotidien,

Les petits boulets de mon avenir,

Les fantômes du passé de mon mari,

Le frère et la sœur de ma fille,

A vous, que j’ai souvent l’impression d’avoir porté en moi tant vous me ressemblez, tant nous partageons plus que votre père. Cette lettre vous est adressée.

Qu’il est beau et difficile ce rôle particulier de « parent », car sans vous avoir engendré j’ai vécu tout ce qu’une maman peut vivre. J’ai sursauté en entendant vos respirations irrégulières la nuit, j’ai partagé vos apprentissages, me suis réjouis quand vous arriviez enfin à dessiner un semblant de bonhomme. J’ai eu l’honneur de vous tenir la main devant un dessin animé qui fait peur, que vous partagiez avec moi les câlins du matin dans le grand lit parental. Vos souffles et vos rires. Vous m’avez offert votre confiance pour que je vous apprenne à nager, votre aplomb face à votre maman qui ne m’aimait pas. Vous m’avez ouvert l’espace de votre famille, offert votre papa, moi la deuxième à jamais, celle qui arrive après, celle qui compose et re-compose, casse et construit, celle qui bouscule.

Il m’est arrivé de penser avec culpabilité que j’aurais aimé être votre mère. Aimé être aimée à tout jamais, aimé ne rien risquer, surtout pas de vous perdre. Car je n’ai ni statut, ni légitimé. Mon rôle est dessiné dans les films comme la méchante belle-mère, ma place toujours discutée. La société exige de moi toujours plus qu’elle ne me donne, m’ordonnant de m’investir sans autorité légale. Je dois aimer sans revendiquer, protéger sans être protégée.

Comment expliquer que nous formons une famille sans que cela prenne la place de quelqu’un d’autre, que nous sommes une équipe avec un fonctionnement, du petit-déjeuner au câlin soir, une lignée avec des valeurs partagées et discutées. Comment dire que je connais vos difficultés, vos habitudes, que je sais comment faire plaisir à l’un et comment taquiner l’autre.

Les mots nous manquent pour nous définir ensemble. Vous m’avez appelé « demie-maman », « belle-maman », « femme de papa ». Je vous ai appelé « beaux-enfants », « enfants de mon mari » et parfois, par flemme, j’ai dis que vous étiez les miens.

Nous partageons désormais une petite sœur, votre trésor, notre ciment. Comme un soulagement que quelque chose de légale nous unisse enfin. Mes 3 enfants. Les 2 + 1. Les nous.

Elle vous ressemble. Je vous revois à cet âge. Nous grandissons ensemble. Ma place est plus définie, vous me découvrez mère sans que vous n’y voyez de différence.

Et puis la vie avance. La séparation avec votre père. Et moi seule avec +1. = plus de vous. Moins de vous. Il faut maintenant vivre avec cela. Sans revendication, sans protection. Accepter que vous ne soyez plus que le frère et la sœur de ma fille. Lire dans vos yeux que vous ne savez plus où me mettre.

Pourtant je suis une partie de votre enfance. Une part de votre mémoire. Et je serais là à tout jamais pour vous y accueillir, vous raconter ses années.

Notre histoire commune.

Je vous aime.