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jeudi, 21 juin 2018

Adieu, mes trompes

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Il y a trois mois, j’ai failli crever. Enfin, pas tout à fait, mais dans ma tête c’était ça. J’avais même préparé mon testament, qui était en réalité une suite sans fin d’instructions sur les soins à apporter à mes chiens après mon départ dans le royaume des Cieux : « Cayrane a les intestins fragiles, il ne mange que des croquettes Purizon. SURTOUT PAS DE FRIANDISES. Si ses selles sont molles, il faut rajouter un peu de riz cuit à l’eau, sans sel, blablabla ». De la grande littérature, j’ai frôlé le prix Goncourt.

Un jour avant l’opération, au moment de dire au revoir à ma mère, je me suis mise à pleurer comme vache qui pisse. J’étais convaincue que je la voyais pour la dernière fois, et je lui ai sorti une longue tirade sur la vie après la mort, entre deux mouchages intempestifs : « On se reverra de l’autre côté mamaaaaaan bou hou houuuu ». C’est pour qui l’Oscar de la meilleure drama queen? C’est pour Bibi! Sous vos applaudissements.

Et puis, j’ai survécu. Il y a un petit bout de moi qui est resté sur la table lors de cette salpingectomie. Mes trompes, évidement. Mais pas que. J’ai aussi perdu un peu de ma dignité, beaucoup de mon énergie et de ma joie de vivre. Mais bon, j’ai survécu.

Quand je me suis fait poser des implants « Essure » il y a quatre ans, jamais je n’aurais cru en arriver là. On m’avait vanté cette méthode de stérilisation comme étant révolutionnaire, car moins invasive et douloureuse qu’une ligature des trompes. A l’époque, cette technique, qui consiste à placer des ressorts en métal dans les trompes afin de bloquer le passage des spermatozoïdes, devait être proposée en première intention par les médecins aux femmes qui demandaient une stérilisation. Et puis petit à petit, des cas d’intolérance ont été rapportés. Certaines femmes développaient des douleurs chroniques, des saignements anormaux, une fatigue intense, des pathologies gynécologiques, neurologiques etc. A tel point qu’en septembre 2017, Bayer a arrêté leur commercialisation en Europe, soi-disant pour des raisons commerciales. Le labo n’a toujours pas reconnu la dangerosité de ce dispositif, et continue à le commercialiser aux Etats-Unis.

Il s’avère que je fais partie de ces femmes allergiques aux métaux qui composent cet implant. Mon corps a lutté comme il a pu pendant ces quatre années, pour finalement déposer les armes en novembre 2017. Les quelques symptômes qui étaient apparus de façon insidieuse au fil du temps se sont enflammés d’un coup : j’avais des douleurs dans les cervicales et les lombaires en permanence, la tête dans un étau, j’étais tellement fatiguée que je passais la plupart de mon temps alitée, j’avais des règles hémorragiques (« Massacre à la tronçonneuse » à côté, c’est de la blague), plus aucune libido, des angoisses à ne plus savoir qu’en faire et une déprime +++. En gros, je subissais un syndrome prémenstruel carabiné H24. Sans compter la perte de cheveux, perte de mémoire et perte de poids.

J’ai très vite fait le rapprochement avec les implants et j’ai contacté l’association R.E.S.I.S.T pour être aiguillée dans mes démarches. On m’a expliqué qu’il n’existait à ce jour aucun protocole de retrait officiel (en gros, chaque chirurgien fait à sa sauce), qu’il fallait à tout prix éviter la casse lors du retrait pour qu’il ne reste pas des fragments (avec un risque de migration et de perforation des organes), et qu’en fonction du positionnement des implants, il était probable qu’il faille me retirer l’utérus. Une hystérectomie à 33 ans. Chouette.

Se faire retirer les implants est un véritable parcours du combattant. Il faut déjà trouver un.e chirurgien.ne qui soit convaincu.e des effets indésirables du dispositif, et donc enclin.e à les enlever. Beaucoup ne souhaitent pas risquer l’explantation sous prétexte que les effets secondaires seraient « dans la tête » des patientes. Bah oui, les femmes sont des petites natures névrosées qui s’inventent des problèmes, c’est bien connu. Ensuite, il faut trouver celui ou celle ayant déjà plusieurs expériences de retrait (rappelons qu’il s’agit pour l’instant d’une opération peu pratiquée ne bénéficiant d’aucune directive officielle) dont la technique de chirurgie semble sûre. C’est limite s’il n’est pas plus simple de trouver un nain de jardin bleu dans son frigo.

J’ai rencontré plusieurs chirurgiens. Les discours paternalistes et culpabilisateurs de ces messieurs m’ont mise plus bas que terre à un moment de ma vie où j’avais désespérément besoin d’être soutenue. Je me suis sentie abandonnée par le corps médical et j’ai subi de plein fouet la misogynie crasse de la médecine :

« Mais voyons Madame, une stérilisation à 29 ans, c’était de toute façon inconscient! »

Mon corps, mes choix, ça te dit quelque chose?

« Vous qui avez fait des études de psychologie vous devriez savoir qu’il faut po-si-ti-ver! »

Ah bah oui tiens, je me sens beaucoup mieux d’un seul coup!

« J’ai un dépassement d’honoraires de 650 euros. »

Dixit le mec qui appliquait aussi un dépassement d’honoraires lorsqu’il posait des Essure à tour de bras. En même temps la maison à l’île de Ré elle va pas se payer toute seule, hein.

« Et vous Monsieur, vous en pensez quoi? »

Lorsqu’une femme vient en consultation, toujours demander l’avis de son conjoint. C’est quand même lui le mâle alpha.

J’ai fini par trouver un chirurgien moins craignos que les autres, dans un CHU à 300 bornes de chez moi. Le jour de l’opération je me suis retrouvée parquée avec 4 autres femmes dans une pièce minuscule. L’usine. J’ai réclamé un anxiolytique à plusieurs reprises, sans succès. Bah oui, anxiolytique + anesthésie générale = tête dans le cul. Pas bon du tout quand on est opéré.e en ambulatoire et qu’on est censé.e rentrer le soir-même. Du coup, les consignes sont strictes : on évite de donner des anxiolytiques aux patient.e.s. Et tant pis s’ils sont mort.e.s de trouille en attendant de monter au bloc.

L’opération s’est bien passée. Depuis, je me remets doucement. Les symptômes disparaissent les uns après les autres, mais je suis encore extrêmement fatigable. Et surtout, complètement traumatisée par ce que le laboratoire Bayer et le corps médical m’ont infligé. Le préjudice n’est pas seulement physique, il est aussi moral.

Quand cessera-t-on de jouer aux apprentis sorciers avec le corps des femmes? Quand soumettra-t-on les médecins à des formations anti-sexistes? A quand un véritable plan d’action pour mettre fin aux violences gynécologiques et obstétricales? Mon cas n’est pas un cas isolé. Il n’est que le reflet d’un système sexiste qui s’exprime à tous les niveaux de la société, y compris dans le milieu médical.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com