Il est 4 h du matin à Kinshasa au Zaire le 30 octobre 1974. C’est la fin du premier round du plus grand événement sportif de l’Histoire . Mohamed Ali regarde le champion du monde en titre, Georges Foreman, de 10 ans son cadet, de l’autre côté du ring.
Il sait qu’il a perdu. Georges est trop fort, il va trop vite, il est trop jeune pour lui.
Mohamed Ali a peur.
Dans le stade la chaleur appuie sur les épaules. Une tempête s’annonce. Une tempête de mousson. Le monde est prêt à exploser.
J’imagine le creux à l’estomac. Celui que tu ressens quand ta première amoureuse te dit que c’est fini. Celui qui t’attaque quand t’es pas reçu à l’examen que t’avais préparé. Le moment où ton monde se détruit.
Ali ne comprend sûrement pas ce qui lui arrive, il n’a jamais eu peur de rien. Il a crié partout qu’il était le plus grand, lui, un noir presque analphabète dans l’Amérique des Années 60. Il a changé de religion et de nom pour bien faire comprendre à tout le monde qu’il serait l’Homme qu’il veut être: Pas qu’un noir, pas qu’un pauvre, pas qu’un boxeur.
Mais aujourd’hui à 4 heures du matin à Kinshasa, il sait qu’il a perdu et il a peur.
Foreman qui voulait en finir avec Ali, n’a lui aussi aucun doute. Ali ira au tapis.
Mobutu qui s’était battu pour accueillir l’événement n’est même pas venu. Mais il a laissé le sang des executions de ses opposant sur le sable par terre. Ce soir c’est la fin du monde pour tous.
Ali est resté sans competition pendant trop longtemps, il est trop âgé. En 66, il a abandonné “son titre” de champion du monde, sa fortune, sa tribune et sa passion, parce que les Vietcongs ”ne lui on rien fait” et qu’il refusait d’aller au Vietnam.
Son titre c’était ce soir qu’il devait le récupérer. Pourtant à cet instant ses entraineurs, ses amis, ses fans, le monde entier pensent la meme chose: Ali va mourir ce soir.
Ils avaient repris espoir juste avant le match. Ali souriait dans les vestiaires. “We gonna dance”, “We gonna dance, tonight”! Mais la bonne humeur, ça gagne pas un match de boxe.
Le second round commence, mais les voix des 100 000 spectateurs présents se sont tues.
Il est dans les cordes et se fait taper dessus. Une execution.
Quatre vingt dix kilos de muscles tapent et tapent celui qui était 4 minutes plus tôt un héros universel. Les spectateurs détournent la tête. C’est dur de voir ses illusions se faire casser la gueule.
Ali est contre les cordes en “rope-a- dope”et la moitié de son corps dépasse du ring, comme si il voulait fuir cet endroit. On aimerait lui tendre la main, on aimerait crier à l’arbitre: “STOP, connard tu vois bien qu’il est en train de se faire tuer!”.
Pourtant les journalistes proches du ring l’entendent fanfaronner: ” Tape plus fort Georges!”, “c’est tout?”, “On m’a dit que tu frappais fort Georges!” Le jeune champion enrage.
Don King, le promoteur à la coiffure folle, fume des barreaux de chaise, pelote le cul des danseuses de James Brown et BB.King venus donner des concerts, mais il ne sourit pas. Il ne le dit pas mais lui aussi est derrière Ali. Pas pour l’argent pas pour le gain, juste parce qu’il sait qu’il lui doit tout, en tant que promoteur et en tant que noir Américain.
Troisième round : Foreman tape et tape. Quatrième round: Foreman tape et tape. Cinquième round: Il tape et tape encore, mais ses gants doivent voyager une vaste distance pour atteindre le corps d’Ali pratiquement allongé sur les cordes.
Soudain ses 90 kilos de muscles ne sont plus des atouts, ils sont des poids morts au bout de ses bras.
Foreman transpire et ne se protège plus. N’en a t-il plus la force ou pense t-il que cela n’est plus nécessaire?
Pour en être sûr, Ali se redresse et envoie une droite dans le visage de Foreman.
La transpiration éclabousse les journalistes assis autour du ring qui se lèvent avec stupeur. Ce seraient ils trompés?
“Was there a strategy behind all this madness?” Un plan caché ?
C’est maintenant le septième round et alors que le public commence à comprendre que l’impossible et redevenu possible Ali se remet dans les cordes et Foreman continue de faire ce qu’il sait faire de mieux: Taper! C’est à en devenir
fou. Le staff de Ali a abandonné l’idée de lui donner des instructions. Norman Mailer est dans le public et s’arrache les cheveux…
Il reste 30 secondes dans la huitième reprise, Ali tente un simple direct du gauche, Foreman ne contre pas, Ali comprend que c’est maintenant ou jamais:
Plus tôt Foreman avait encore des ressources, plus tard c’est lui qui n’en aura plus.
Il sort des cordes et frappe: Direct gauche, crochet droit. Foreman surpris et sans
énergie à force d’avoir frapper le vide pendant une demi-heure les prend en plein dans la mâchoire, il chancelle.
D’un seul coup le public hurle. Ali semble comprendre à ce moment là qu’il va gagner, il envoie ses poings comme dans la cour de récré, Bam, Bam, Bam. Si Foreman ne tombe pas maintenant c’est lui qui tombera, c’est sur.
Bam! Un crochet du gauche, Bam! Un crochet du droit et les yeux du champion du monde s’éteignent.
Foreman est maintenant debout mais inconscient. Ses jambes sont flasques.
“C’est maintenant Mohamed!” semble lui crier le destin. “Finis-le, finis-le!”.
”PUTAIN finis-le, cet enculé!!”.
Mais Ali retient son geste et regarde Foreman tomber au ralenti.
Le match est fini.
Ali est devenu en une seconde, un spectateur de sa propre victoire.
Alors que le Public envahit le ring Ali a les yeux des gens qui pense : “I told you so” et Foreman se relève pour se diriger vers deux années de profonde dépression.
Il a fallu 32 ans, toute une vie, pour que ce combat ait le sens qu’il a eu. Pour que les bras levés d Ali soient les bras levés des noirs, des musulmans, des Africains, des pauvres, des pacifistes et des idéalistes, ou simplement de ceux qui aiment quand les histoires se finissent bien.
Il est 4h30 du matin, à Kinshasa au Zaire, le 30 octobre 1974 . Le ciel explose une pluie de mousson. Ali est redevenu champion du monde. Mohamed n’a plus peur,
Les Zaïrois chante :“Ali bomaye” : “Ali l’ a tué”.