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mercredi, 20 septembre 2017

APOCALYPSE NOW

Par
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Etymologiquement parlant, l’apocalypse signifie le dévoilement, AKA le moment où Dieu descend sur terre pour juger les impies et récompenser les élus à l’orée d’une nouvelle ère. Je ne suis pas Dieu mais j’ai choisi de me dévoiler, moi. Par moi, j’entends mon corps, pas mon âme. Peut-être que trouveras-tu cela subversif, ou cela te laissera totalement indifférent. Peut-être que tu me jugeras, peut-être que tu me comprendras. Dans tous les cas, laisse moi t’expliquer et t’annoncer la couleur tout de suite : je vais parler ici sexto, porno et développement personnel. Esprit étriqué, fuis.

La sexualité est par définition une pratique de l’ordre du privé et de l’intime, je ne t’apprends rien. Bien que les grecs trouvaient déjà ça marrant que de représenter des orgies sur des vases, genre ceux dans lesquels tu mets des fleurs pour décorer ton salon, elle s’est trouvée bousculée par le développement des nouvelles technologies. Il est désormais plus simple d’envoyer une photo de son pénis que d’envoyer une lettre recommandée à la poste. Pour ma part, j’ai découvert récemment que j’aimais partager des images de mon anatomie à qui voulait bien les voir. Je trouve ça excitant, je trouve ça puissant. Que me jette la première pierre celle qui n’a jamais reçu de dick pic ; moi j’envoie des pussy pic, eh ouais ma gueule. [insert ici une photo de chaton mignon.]

Pour revenir aux racines, je n’ai pas toujours été aussi libre. J’ai longtemps vécu mon corps comme un carcan, quelque chose qui m’empêchait d’évoluer dans le monde. Je ne suis pas particulièrement belle, pas particulièrement bonne, disons que je suis plutôt quelconque. J’ai longtemps refusé de me foutre à poil… alors derrière un objectif, je t’en parle même pas. J’étais plutôt timide au début, puis, j’ai compris que, quoi qu’il se passe, dans ce contexte, mon corps, mon sexe ne seraient pas jugés. J’ai appris à les aimer lorsque j’ai compris qu’il en fallait peu pour qu’ils le soient. Je les ai apprivoisés. En insistant sur le cadre, je suis parvenue à me libérer. J’ai repoussé mes limites et je me suis trouvée. Etonnamment, cela m’a permis de prendre confiance en moi. Un peu de poudre aux yeux, et ma chatte en close-up.

La première fois, je ne vais pas te mentir, je n’étais pas particulièrement à l’aise. C’était avec un mec que j’avais rencontré sur une appli. On a discuté et on s’est vite échangés nos profils facebook. Il n’était pas très beau, mais vois-tu, j’avais des besoins à satisfaire. La conversation a vite dérapé et il m’a demandé des photos. Je crois qu’il m’avait dit un truc du style « j’ai envie de voir ta petite chatte ». Ouais, c’est pas hyper jojo, et ça m’a un peu effrayée. J’avais déjà entendu parler de ce type de pratiques parce que je ne suis pas née de la dernière pluie, mais je n’y avais jamais été confrontée. Toujours est-il que j’ai feint de ne pas comprendre et je lui ai envoyé quelques selfies peu travaillés de mon visage. Il a un peu insisté, et j’ai fini par enlever mon T-shirt, mon soutif, puis ma culotte. Ce soir-là, je me suis fait jouir et je lui ai envoyé la vidéo. Je crois que je n’aurais pas réagi de la même façon s’il avait commencé par m’envoyer une dick pic*, je l’aurais sans doute traité de pervers. Même si c’était de la manipulation, il a bien joué en me plaçant au centre du dispositif dès le début : j’étais libre de le faire ou non. Malgré le fait qu’il ait insisté, je reste persuadée que c’était mon choix. On a fini par se voir IRL, on n’a même pas baisé et on ne s’est jamais revus. Dans tous les cas, je ne pense pas qu’il se doute du monstre qu’il a engendré.

Autant, j’ai peu d’amies qui apprécient recevoir du contenu sexuel sur leur téléphone pro, autant je n’ai jamais été mal reçue par un mec que j’avais pris pour cible. Je ne sais pas si c’est parce que c’est moins courant ou si c’est parce qu’ils n’ont pas le même rapport au sexe, mais je n’ai eu que des réactions… enthousiastes. Cela ne débouche pas toujours sur une relation sexuelle dans la vraie vie, mais il ne m’est jamais arrivé qu’un mec arrête de me répondre suite à nos échanges. A ce que je sache, personne n’a jamais été outré de recevoir une photo de mes fesses. Je fidélise mon public un certain temps avant que lui ou moi ne se lasse, mais dans la plupart des cas et il en redemande, de façon plus ou moins subtile. Cela va s’en dire que je reçois pas mal de photos de bites, je commence à avoir une sacrée collection. Un mec m’a même dit un jour que le porno ne lui faisait plus aucun effet et que pour se masturber il avait besoin de penser à moi. Le bougre avait une meuf, je ne lui envoyais plus rien depuis des mois mais il avait souhaité m’informer de sa situation. Tu imagines comme j’ai pu être flattée. Si tu me lis, je tenais par ailleurs à te prévenir que je m’étais fait voler mon téléphone et qu’il est donc possible que des photos de ton membre se promènent loin de notre intimité, aussi relative soit-elle.

Globalement, je ne sais même pas combien d’hommes m’ont vue à poil derrière leur écran de téléphone portable. Je ne cherche pas à faire du chiffre, c’est juste que c’est quelque chose qui me plait, j’aime le challenge. Je parlais récemment à un ancien partenaire avec qui tout s’était passé de façon ordinaire (on a niqué bourrés à minuit un soir de semaine, classique). Bref, je sais que ce mec est plutôt prude. Ca m’a pris quelques jours de discussion random sur snapchat mais il a fini par m’envoyer une photo de son chibre. Satisfaite, je lui ai dit que j’étais fatiguée et que j’allais me coucher, le laissant se démerder avec son érection. Pour cela, je n’avais eu qu’à lui montrer un bout de sein, frêle créature.

En me dévoilant derrière un objectif je fais un choix, je décide de m’offrir. Je fais la séparation entre ce que je suis, mon corps, et ma sexualité. Je ne suis pas une putain, je ne suis pas une salope, je fais ça parce que j’en ai envie. Je trouve ça terriblement stimulant qu’un être soit en train de me regarder. La satisfaction sexuelle n’entre parfois même pas en jeu, c’est la sensation de pouvoir que cela me procure qui m’intéresse. A la fois celui que j’exerce sur moi en appuyant sur le déclencheur et sur autrui. Moi, mon corps sommes capables de provoquer dans un petit cerveau lambda une excitation qui dépasse l’entendement. Je te fais jouir par le biais d’images, minutieusement cadrées, scrupuleusement choisies. Je sais exactement ce que tu veux voir, et je te le donne. C’est clairement de la manipulation. Je suis le serpent qui tenta Eve et dévergonda Adam.

Je ne suis pas particulièrement féministe, j’ai bien conscience que mon comportement entre dans un cadre phallocrate nourri au porno hardcore où les chattes sont lisses, les phallus longs et épais, et dans lequel madame est soumise à son mâle (mal) : oh oui s’il te plait, fuck me hard, dans tous les trous. Ok, on a compris. - Je maitrise peu le porno gay, mais j’imagine que les mêmes questions sont en jeu. Le porno ne devrait pas être si réducteur, il suffit de changer son angle d’attaque pour donner une image juste et toujours aussi excitante du sexe. [Je renvoie ici à un interview d’Erika Lust (NSFW) qui se place comme l’une des pionnières du porno féministe engagé.]

Je ne m’impose aucune limite dans les contenus que j’envoie : des gros plans, des plans larges, ma tête, ma bouche, mes seins, mes fesses… Après tout, ce n’est qu’un corps mais je mets tout de même un point d’honneur à travailler le cadre et la lumière, je ne suis pas là pour ressembler à rien. Suivant mon interlocuteur, je prends des poses plus ou moins lascives, plus ou moins érotiques, plus ou moins pornographiques. Je prends plaisir à montrer toutes les possibilités de mon corps : 1, 2, 3, 4, 5 doigts, je te passe les détails. Je fais monter la tension, j’y vais petit à petit. Je fais mine d’être timide tout en sachant pertinemment où je vais arriver, ce n’est pas la première fois. Je manie également les mots, tu t’en seras douté : dans mes scénarios, je te suis toujours soumise et partante pour (presque) tout. Je te demande ce que tu veux voir quand je n’ai plus d’inspiration, parce que mine de rien, on s’ennuie vite. Aussi intéressant que soit une vue frontale de ma chatte, je suppose que ça te fait bander de la voir sous d’autres angles. Par expérience, la plupart des mecs préfèrent d’ailleurs me voir lécher mes doigts ou me caresser les seins, petits coquins. Si je suis bien lunée, je jouis en fixant l’objectif de mon iphone. Cadeau.

Alors ouais, des fois les photos ou les vidéos que j’envoie pourraient être estampillées borderline, mais mon corps n’est qu’un instrument. C’est justement en reprenant les codes que nous/m’ ont enseigné le porno que je m’en défais. Cette fille qui lèche goulument un gode avant de l’enfoncer au plus profond de son vagin tout en gémissant comme une débile… c’est moi, c’est toi, c’est ta voisine. J’ai décidé de l’assumer et d’en jouer. Messieurs, si c’est ce que vous voulez voir, allons bon. C’est mal d’utiliser les conventions de la pornographie parce que celles-ci sont potentiellement réductrices, mais après tout si cela est perpétué dans une démarche positive, je ne vois pas le problème. Je sais ce que je fais, je le maitrise. Je n’ai pas l’impression de me compromettre. Je ne différencie pas une relation sexuelle IRL d’une relation sexuelle 2.0. Il y a pour moi la même sensualité, la même intensité, la même intimité, le contrôle de la situation en plus.

Le sexe n’a rien de sale. Le sexe n’a rien de mal. La société essaye de nous faire croire le contraire, de nous faire culpabiliser. « Cachez-moi ce sein que je ne saurais voir » (big up Molière). Société pudibonde, je t’emmerde. Ouais, ouais, ouais, je te vois venir : je deviens clichée. N’empêche que je ne suis pas sûre que ma mère serait particulièrement open à l’idée que sa chère fille, enseignante de profession, envoie des photos de son vagin à de parfaits inconnus, même si ça lui fait du bien. Je ne compte pas changer les moeurs, ma démarche est absolument personnelle, intime et intéressée. Alors non, je ne t’envoie pas cette video de mon sein malaxé dans le seul but de te faire bander, je te l’envoie afin d’affirmer mon emprise sur le monde, que ce soit avec mes seins, ma chatte, ma bouche ou mon âme. Amen.

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même » nous ordonnait Matthieu dans les Saintes Écritures. En ce qui me concerne, j’ai choisi de m’aimer en employant un biais peu conventionnel, mais sache que je t’aime, peu importe la façon. #cheesylove

dick pic : petit mot mignon désignant une photo de phallus le plus souvent envoyée via les modes de communication modernes : texto, messagerie instantanée, réseaux sociaux (facebook, snapchat…)

Néologisme utilisée par l’auteur afin de désigner une photo de vagin. Tmtc.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com