RETARD → Magazine

jeudi, 25 octobre 2018

Au revoir Pablo / Une journée à Cerbère

Par
illustration

Ça fait des années que ma maison est devenue une maison d’accueil. Une famille, la mienne, qui est devenue une « famille d’accueil ». Des bons souvenirs et des mauvais, j’en ai… Tout autant d’expériences qui m’ont rendue plus lucide, plus mature et plus sensible… Sensible aux questions de la protection de l’enfance… Parce qu’on oublie souvent… Notre responsabilité en tant qu’adultes vis à vis des enfants qui nous entourent et que l’on croise.

Ce jour-ci, j’étais bouleversée. Par un départ à l’adoption d’un tout petit garçon que l’on a accompagné de ses premiers mois à ses trois ans. Ce jour là, pour me soulager, réfléchir et faire le deuil d’une relation agitée mais passionnante je me suis rendue à Cerbère. Un village tellement particulier et calme, à la frontière espagnole. J’essaye de respirer profondément, seule face à la mer mais je sens cette inquiétude qui me presse la poitrine… Je ne sais pas quoi faire, comme d’habitude je vais laisser couler mes larmes, je me surprend à apprécier le pouvoir libérateur du simple fait de se laisser pleurer… Puis finalement je me décide à y ajouter le fait d’écrire et ainsi faire le point sur cette situation un peu bizarre, la fin d’une période.

Ce jour là, j’ai vu…

Un enfant qui part subitement. Un vieil hôtel de village pas complètement abandonné, pas complètement occupé. Un lieu de passage, où l’on se demande qui reste. Un lieu de passage comme celui que nous avons été pour cet enfant. Il nous oubliera, on prendra les couleurs passées de ce genre de souvenirs étrange, comme irréel. Comme ces façades acidulées d’un autre temps, tous ces espaces vides autour de moi qui me dérangent et me rassurent. Cette solitude qui repose.

Nous aussi nous allons l’oublier mais plus lentement. Son sourire, ses cris et ses yeux tristes. Qu’est-ce qu’il reste ? J’aimerais me rassurer en me disant que quelque chose restera de ces trois années. Mais pourquoi? Qui suis-je pour lui? Quelle importance ?

Ce village, Cerbère, c’est ce genre d’endroit pas charmant mais où l’on se sent apaisé. Le bout du monde, un endroit d’attente où il ne se passe que trop peu de choses. J’écoute les trains passer et le vent… Tout est vieux et comme figé pour l’éternité. Il n’y a pas de temps pour ces lieux. C’est la première fois de ma vie que je me sens à ce point « hors du temps ».

Et finalement cela me ramène à tous ces moments partagés avec cet enfant…

« Hors du temps » puisque la séparation est si brutale que l’on nous demande de l’oublier. Puisque nous n’aurons aucune nouvelle et que cela me laisse penser que ces trois années étaient comme un petit prélude à sa vie. Sa vie qui ne commence réellement que maintenant.

On a pourtant fait de notre mieux, avec nos outils et nos angoisses liées au fait de connaître la situation et son issue.

On a laissé une porte entrouverte quelque part. Il le sentait que ce n’était que temporaire. Il en souffrait et nous aussi… Même si l’on pense souvent que l’on est forts face à cela, car nous sommes adultes. On réalise que c’est faux, on a perdu patience et on a regretté, c’est dur de réagir face à cette inconstance, on a voulu accélérer le processus puis on s’est demandé pourquoi tout était allé si vite. Donner sans trop donner, rester à la bonne place, penser à l’enfant avant nous et le connaître sans pouvoir le comprendre.

C’est aussi un soulagement de se dire qu’il va enfin trouver des attaches. Faut le laisser partir, c’est comme Cerbère, j’aime ce lieu reculé mais je sais quelle angoisse il représenterait s’y j’étais contrainte d’y rester trop longtemps… Trop d’attente et de passage… Cet endroit manque d’ancrage pour moi…

J’ai toujours voulu me mettre en retrait face à ces enfants et ces jeunes que j’ai vu passer dans la maison. Je pense que c’est pour me préserver car toutes ces bribes de vies déstructurées et abîmées c’est douloureux. A Cerbère nombreuses sont les façades abîmées par le temps et l’abandon se ressent.

J’ai appris à connaître les douleurs liées à l’abandon. Sans y avoir moi-même été confrontée. Je ne peux pas m’exprimer face à ces souffrances, je me retire car je n’ai pas le droit de leurs en vouloir, je n’ai pas le droit de les juger ou de m’immiscer dans de tels sentiments inconnus pour moi.

Après toutes ces années je me demande encore, quel est notre rôle à la fin ?

Pablo va découvrir ses parents, il va oublier l’attente et le manque.

J’idéaliserai, j’imaginerai, sans réellement savoir qui il deviendra.

C’est comme si je voyais Pablo monter dans ce train qui s’arrête à Cerbère.

Je ne connais pas sa direction mais je me souviendrai toujours de ce moment où nous l’avons regardé partir.

C’est définitif et radical parce qu’aussi fou que cela puisse paraitre, cette adoption ne nous laisse aucune place. Comme si nous n’avions jamais été là.

Je réalise qu’il est parti et puis ça y est, le vent a tourné sur Cerbère et moi je décide de rentrer.

Élise

Elise a 23 ans et une passion pour le Blind Test. Après avoir grandi à Lille puis à Toulouse, elle réside maintenant à Paris où elle essaie de gagner sa vie en dessinant des Mickeys. Comme c'est pas toujours facile, elle est aussi surveillante dans un collège à mi-temps et rêve de devenir Isabelle Adjani avec les cuisses de Beyoncé (j'arrive pas à visualiser vraiment, mais le résultat doit forcément être super).