Il y a des jours où on se sent pousser un deltaplane sur la tête. Ces jours où on a envie de faire des conneries. On se dit dans notre petite tête que la vie est un peu folle. Et puis peut-être un peu courte. Encore plus quand on vit à Berlin.
Un soir j’étais chez des amis à Tiergarten, le quartier des animaux. Depuis trois heures j’avais des fourmis dans les pattes à force de stagner comme un rat mort. Je commençais à me faire au goût du Chardonnay Lidl servi dans un thermos, et de Daddy Yankee à 1 mètre de moi. 5h du matin, lorsque tout le monde s’empavait comme des hippopotames dans la marre, je suis sortie. En attendant à la station des animaux j’ai trouvé 1€ sur un banc et me suis payée un twix au distributeur. La soirée présageait finalement quelque chose de bon.
J’atterris à Wedding. Là se trouve le club Stattbad, une piscine abandonnée où tu t’abandonnes. En fait j’étais toute seule, avec ma moitié de twix au cas où, et le coeur qui palpite un peu.
En entrant dans le club j’ai commencé par prendre une bière au bar. Soudain, dissimulé dans la fumée diffuse et les néons rouges, un chauve m’accoste. Ça fait toute la nuit que ce type, Nikolas, est là. Il était au départ venu avec sa copine, qui est finalement rentrée chez elle. Il est resté car il veut continuer de s’amuser ici dans le club. Il est libre enfin. L’amour ne va pas le priver de sa liberté. Ok, il me racontait vachement sa vie.
Nikolas devait s’attendre à une réaction de ma part du style :« T’as bien raison, faut profiter de la vie et s’amuser. Tiens tu peux toucher mes seins. ».
Une bulle lumineuse est soudainement apparue au-dessus de ma tête, et je me suis rappelée d’une conversation avec mon coloc allemand qui est amoureux. « Berlin is not a city for lovers. You always meet so many people at the same time.» Mon coloc, ce gourou épileptique accro aux joints, qui va quitter Berlin pour rejoindre sa belle en Suisse. En tout cas c’est bien ça, que des rencontres en transition. Tout le monde est libre, tout le monde s’aime.
Ce à quoi j’ai répondu à Nikolas : « C’est toujours la même histoire ici. Vraiment, chaque fois que je sors, les garçons me racontent leurs problèmes avec les filles.» Il trouvait ça amusant.
Je me suis déplacée sur la piste qui faisait 1m95 de plafond. Je pense que ça devait être ça car un garçon de la taille du plafond est venu me voir. Il s’appelle David, vient de Chicago. C’est la première fois qu’il met les pieds dans un club aussi fat, et ça avait l’air un peu foufou comme expérience pour lui. A chaque fois que je lui répondais un truc, il me faisait des mimes. Même si c’est la manière la moins cool du monde pour aborder une fille ça restait cute. La folie, ou bien juste certaines substances, lui avait monté à la tête un peu trop, et il m’a prise soudainement dans ses bras. Comme un petit veau qui vient chercher la mamelle de sa mère. J’ai dit « STOP » avec le charisme d’une bûche, et je suis allée me rechercher une bière.
Ensuite il y a eu un type avec un assortiment blanc chemisier/marcel qui tournait autour de moi. Je lui ai souri car je trouvais sa dégaine marrante, et cet abruti a pris ça comme une invitation au collé-serré. Il était tellement flippant et out-of-nowhere que j’avais la flemme d’être polie pour le rembarrer. Il dansait avec son cou. Le rythme dans le cou. Un cou mais pas dans le coup. J’ai déguerpi, du coup.
Je suis allée dans une autre salle de ce labyrinthe à la tuyauterie de l’enfer. Le dj passait Amadou Mariam. Le moment que j’attendais est arrivé, je commençais à être transportée par la musique et ça a duré deux bonnes heures. Il y a eu ce remix zouk de « The Sound of Silence ». Tout ce temps à ne faire que remuer mon bassin et bouger mollement les talons. Je me vidais l’esprit. Quand tu sais que tu peux rester là éternellement, que t’attends personne et personne t’attend, tu t’en fous de qui tu es et où tu vas. J’ai rarement eu ce sentiment de l’évasion parfaite aussi longtemps.
10h du mat, j’ai voulu commander une autre bière. Je n’avais que 2€50 et la bière était à 3€. Parce qu’il me manquait donc 50 cents, le barman a vidé une partie de la bouteille devant mes yeux avant de me la servir. J’avais envie de l’insulter proprement en fronçant les sourcils pour se faire respecter un peu. Mais toujours le même charisme, cette fois celui d’un panais.
Un italien qui revenait d’Ibiza m’a adressé la parole en voyant que j’étais bien méga deg, et il a commencé à me faire des compliments. Il parlait de ma voix sweet, de mon sourire sweet, demon allure lovely (non non, je n’ai absolument aucun préjugés sur les italiens qui reviennent d’Ibiza). Après tout, c’est jamais désagréable d’entendre qu’on ressemble à la Vénus de Milo. Venus in da club. Il me paye un Gin Tonic.
Mais malheureusement pour lui, cette nuit il ne me retrouvera pas nue sur un coquillage car le chauve a déboulé. Nikolas était toujours au même endroit, comme zombifié. Il voulait discuter, parler de choses absolument inintéressantes, et m’a proposé d’aller dans un coin tranquille du club. La pièce qu’on avait choisi avait l’air totalement déconnectée du reste du club.Il n’y avait pas de son, la lumière était mauve et suffisamment claire pour discerner le visage de celui qui m’avait transporté jusqu’ici. Oh non. On se serait cru dans l’arrière salle d’un bar mi-PMU mi-discothèque avec escort girls.
On s’est assis et comme on était seuls il a saisi l’occasion pour me sauter à la bouche. Le Gin Tonic se transformait en véritable poison, et j’ai eu comme une envie merdique de dégobiller. Je me suis levée, j’ai marché deux pas en déambulant maladroitement. J’ai rendu d’un coup violent tous mes boyaux dans une main au beau milieu du bar. Stattbad était devenue une vraie piscine maintenant. J’ai pris mes affaires au vestiaire, je suis sortie, il faisait jour, il neigeait. Sortir était agressif mais tellement agréable.
Je me suis baladée pendant ½ heure avant de rejoindre la station. J’observais les chiens faire des crottes dans la neige. J’aimais me remémorer « The Sound of Silence » et avoir la sensation d’être paumée. Paumée dans la ville, paumée dans mes états d’âme.
Ah si, il me restait quand même toujours mon demi twix.