L’autre jour j’ai commandé un livre juste parce que je trouvais la couverture belle. Je ne parle même pas anglais couramment donc je savais que je comprendrais pas tout parfaitement, mais ça m’arrive de temps en temps d’avoir des pulsions et d’acheter des livres sans raison apparente (d’ailleurs je suis pauvre, alors c’est pas non plus super pratique).
Pour Binary Star de Sarah Gerard, j’ai trouvé que l’effet « couverture-de-roman-de-Philip-K-Dick » était quand même pas mal réussi, alors, je me suis dit : tentons. À vrai dire, il y a plein d’aspects du roman que je trouvais pas forcément convaincants, mais il y a eu quelque chose qui a réveillé quelque chose d’assez fort en moi pour que j’aie envie d’en parler. Je crois que c’est un roman faussement simple.
Le personnage principal, qui n’a pas de nom (alors j’ai fini par l’associer à Sarah Gerard, l’auteure, histoire de m’accrocher à quelque chose), est gravement anorexique. À un moment, elle mange même sa propre langue. Pour aller plus loin dans le glauque de la chose, son mec, qui vit à Chicago alors qu’elle-même vite à New York (normal), est alcoolique, et en plus, il prend la masse de médocs, qu’il file à sa meuf aussi. C’est circulaire. En somme, ça sent pas mal le sapin, ce couple. Ils deviennent vegans, ils essaient de militer. Ils partent faire un road-trip où ils passent leur temps à s’engueuler. Leur amour est symbolisé par le phénomène astronomique des étoiles binaires.
Parce que, en parallèle, le personnage principal est étudiante-chercheuse-assistante-truc en astrophysique. C’est là que je me suis dit : « Est-ce que ce roman va ressembler à des leggings galaxie ? Est-ce que Sarah Gerard va faire des références à des groupes de pop suédoise de 2011 ? » Et en fait, et heureusement, non. C’est plutôt une belle référence, à la fois au discours scientifique, et à la science-fiction. À vrai dire, le mec de Sarah Gerard est cinéaste (ouais, badant) et lui a fait une bande-annonce (!) de son roman où on comprend bien le mélange étrange du roman. Clique, c’est pas long. Par contre, c’est super bizarre tu es prévenu(e) :
Après avoir regardé cette vidéo mi-Kubrickienne, mi-art contemporain porno chelou, mi-1969-NASA-America, j’arrive toujours pas à savoir si j’aime bien Binary Star ou pas. J’imagine que c’est normal qu’on se sente mal à l’aise, que c’est l’effet voulu. Enfin, ça associe quand même deux des choses les plus dérangeantes, deux des choses qu’on n’arrive encore pas à comprendre. À savoir, la constitution de l’univers et les forces en présence dans la tête d’une fille.
Si on regarde un peu les critiques qui ont été faites du roman, il y a ce thème qui revient souvent : la ~Quête de la Perfection~. Je vais mettre un extrait pour illustrer un peu la chose (p. 107) :
« I want to be envied.
I want to give out advice.
I want to have so many things to say, suddenly there is a book of them.
I want to look at the sky and understand.
I want to feel small.
But important.
Massive.
But beautiful. »
Je crois qu’elle a raison ici, et je crois aussi qu’on est nombreux à être bloqués là : la perfection de notre corps, la popularité d’Internet, la réussite. On veut tout. On veut tout, parfois on devient anorexique, parfois non, on n’est pas anorexique mais on les voit, les anorexiques, on les voit mais on évite de les regarder parce que ça nous fait peur. Des personnes se RETIENNENT de manger, bordel. Parce que Miley Cyrus co., les blogs mode et les régimes, si on n’a pas les outils pour décoder le message violent qu’il y a derrière, détruisent des gens (plus souvent des femmes, mais pas exclusivement.). On est bombardés de ces images de femmes et des fois on regarde son propre ventre un peu trop gros et on essaie d’agripper sa chair et on aimerait couper des bouts de son corps pour qu’il ressemble à celui de Kate Moss (MAIS ON EST D’ACCORD QU’EN VRAI ELLE EST MOCHE KATE MOSS ?) pour donner l’impression qu’on flotte dans nos vêtements d’une manière extraordinairement bien calculée. Et parfois on essaie des maillots pour la plage mais on ne ressemble pas aux photos de mode, et on les ramène, parce qu’on déprime. Chez HM ils ne vendent que des jeans taille basse ou taille très (!) basse. Quand ils vendent des jeans taille haute, il y en a plus au bout de quelques jours parce qu’on se rue toutes dessus. Binary Star est le portrait d’une fille qui a été détruite par ce discours. Et ce serait peut-être bien que ça s’arrête.
Voilà, je ne garantie pas forcément qu’après la lecture de ce livre, vous ayez envie de raconter des blagues. Il y a d’ailleurs un côté vegan new-yorkais du livre qui peut paraître un peu insupportable par moments (il l’est. Sauf au moment où ils taclent Starbucks, là c’est pas mal.). Je crois que Binary Star montre comment L’AMÉRIQUE a produit des enfants qui se mangent entre eux, mais qui, pourtant, ont désespérément envie que tout aille bien.