Pékin.
Partout, des travaux, la ville est en constante déconstruction/reconstruction.
Ai WeIwei avait construit un bâtiment que la municipalité aurait détruit à sa création.
Il s’est rendu compte qu’ils lui avaient commandé l’atelier juste pour mieux contrôler ses allers et venues.
Ce sont des situations comme celles-ci qui évoquent la dureté sous-jacente de l’Etat.
Les gens disparaissent, les immeubles sont détruits sans raison.Ici, on aime effacer les traces.
Depuis la mi-mars, la Chine a fermé 42 sites internet et effacé des milliers de messages d’internautes pour mettre fin aux rumeurs concernant le scandale de Bo Xilai (ancien chef du parti communiste à Chongqing). Parce que même si Facebook, Twitter ou Youtube sont censurés, même s’il y a des arrestations, il reste toujours ces blogs, très mouvants, impossibles à canaliser, et les censeurs ne peuvent plus suivre. Lorsque j’étais à Shanghaï, le net a été bloqué au niveau national pendant une matinée, car la femme de Bo Xilai était suspectée du meurtre d’un associé britannique…
Concert au Hotcat club, à Pékin donc : l’ingé son nous hurle dessus pendant les balances, mais c’est comme ça qu’il parle toujours, et le promoteur traduit, impassible. Apparemment, l’ingé son a dit être content de nous voir débarquer avec nos machines et nos ipods.
À la fin du concert, un gentil italien vient me parler. On ne sait pas trop ce qu’il fait ici, et l’on ne le saura pas. J’ai croisé beaucoup d’hommes comme ça, un peu perdus au milieu de ce grand bordel qu’est l’Asie. Professeurs d’anglais, en transit, nonchalants, en Chine ou en Corée depuis 3, 4 ans. La légende veut que ce serait ceux qui ne trouvent pas de travail aux US, et qui venant de terminer leurs études, doivent rembourser des milliers de dollars à l’Etat. D’où les cours particuliers aux gosses de riches chinois qui leur tendent les bras et aident à rembourser leurs dettes exorbitantes. Ils finissent par se trouver une copine sur place et finalement s’installent.
Un soir à Tianjin, je commande au bar, le barman se retourne vers moi :
« Vous êtes française ? »
« Comment avez-vous pu savoir? »
« je ne sais pas, la façon de bouger, j’ai senti »….
On a finit par discuter comme deux vieux potes, attablés au comptoir à siffler des cocktails.Il m’a fait part de ses angoisses : « elles me mettent la corde au cou, elles commencent à m’appeler lao wai (amoureux en chinois), cela veut dire que je suis pas loin de rencontrer la famille. Après je suis fini ». Il montait un business ici, tout en faisant des nightshifts dans un club de nuit. Je ne savais pas quoi faire de toutes ces confessions, j’avais le sentiment qu’il était un peu isolé. Parler sa langue l’amenait à s’ouvrir très vite. C’était triste et troublant. Tu as l’impression de parler à un cousin mais tu ne vas jamais le revoir le lendemain. Le simple fait de parler la même langue dans un endroit très éloigné implique forcément une plus grande intimité, quelquefois un peu vaine.
Retournons à Pékin. Club enfumé, population étudiante et drapeaux de la Jamaïque. “Ce soir on va danser le disco” me glisse Liu Di aka Lotus. Après le concert, on prend plusieurs taxis, les lumières de la ville tournent. Dans les boîtes, les expats ne sont jamais loins. On se retrouve coincés entre des australiennes peroxydées et des français avocats d’affaires dans un petit club avec des néons oranges, baies vitrés sur tout Pékin. Jamais vu ce quartier avant. Tout est flambant neuf, la cour en toc ressemble à celle d’un hôtel au sud de l’Italie. Et autant vous dire qu’on avait bu beaucoup de baijo avant de s’engouffrer dans les ascenseurs immaculés…
On finit bien émêchés autour d’un malatang, plat sichuanais de brochettes qui baignent dans un grand bassin. La femme qui les cuisine n’a plus de dents, elle a l’air épuisée. Il est 5 h du matin, Sam regarde dans le vague et râcle pensif le bassin avec un pic de brochette.
Il est temps de rentrer. Des ballons dorés et des rubans volent dans la rue, « on se croirait au Vietnam » me glisse Lotus. Sa ville natale est une ville d’immeubles bétonnés et de quartiers résidentiels, très calme et très ouatée. Lotus fait plutôt partie de la classe privilégiée, elle a un appart à elle à Tianjin, dans lequel squattent ses potes.
On est dans l’appart de Lotus, et l’un des membres du groupe de no-wave Ice Sellers, nous met de la techno à fond les ballons. Je me suis assoupie dans le salon, réveillée par une amie à eux qui a débarqué dans la nuit. Ma dernière image est celle de 3 mecs autour d’elle, qui l’aident à vomir dans les toilettes. Ils portent ton clavier, te tiennent les cheveux quand tu vomis. L’image de la fille est encore celle d’une petite fleur dont il faut préserver les pétales, c’est flatteur mais selon moi, ça n’augure jamais rien de bon socialement. Ici, les hommes sont un peu déchirés entre leurs aspirations, leurs envies, passions, et les enjeux familiaux. La nécessité pour eux d’être un futur chef de famille, droit et responsable, la nécessité d’avoir un bon job. La tradition se mélange avec une vie beaucoup plus urbaine que la nôtre. Lotus passe ses journées dans les taxis et les malls pour voir ses amis, et disparaît tous les dimanches pour d’interminables dîners familiaux.