Normalement j’aime pas les poilus

Mais lui ça va.

Mon amoureux d’Egypte depuis que je t’ai vu je ne pense qu’à toi.

Un samedi midi je suis allée chez Charlotte, elle m’a appâtée avec des légumes verts et de la dinde, il faut que je surveille ma ligne depuis qu’il y a des skittles dans le distributeur au bureau c’est le drame.

Elle m’a dit “Il y a un morceau qu’on m’a envoyé, je ne sais pas pourquoi, j’ai pensé tout de suite à toi”

C’était ça

Les solos tout pourris de guitare, et la mélodie de synthé comme pré enregistrée sur un instrument Fisher Price pour les 6-8 ans aux couleurs bigarrées.

De sa voix peu sure d’elle, comme prête à se réfugier dans les labyrinthes des tombes des pharaons, ces petits murmures d’injustice, Caliméro dépité au milieu des pyramides. C’est émouvant, et puis tu sais pas si c’est sérieux ou non

Et ça m’a fait aussi penser à moi.

“C’est Egyptian Lover, il est un peu tout gros un peu dégueu” m’a dit Charlotte, et elle s’y connait en gros, elle a un diplôme “ex ressemblant à Guillaume Canet sous cortisone*”, alors j’ai imaginé

Nounours choupi ?

Petit gros du fond de la classe mal dans sa peau ?

Il pouvait pas être complètement immonde, non.

Je voulais qu’il vienne faire un câlin à Marine, allez, viens, viens trouver une place sous mon aisselle, je te couvrirais de mille baisers, je te ferais oublier ses filles qui se sont moquées de toi dans les souks du Caire. On ira faire de la bicyclette ensemble, et Paris la nuit avec ses néons et ses petites rues pavées c’est joli, peut être pas autant que le désert, mais c’est joli. Je suis ensuite rentrée chez moi pleine de légumes verts de dinde et de mélancolie, et je voulais pas sortir Alors je me suis décidée à taper son nom dans google, j’ai eu un peu pitié pour moi de faire ça un samedi soir mais ça va.

D’un coup

Il est arrivé tout droit de 1983, sa coupe mullet ondulée et sa barbe clairsemée et un peu sale.

Ca m’a troublée.

Et puis cette écharpe d’un blanc virginal, sans tache de gras, posée nonchalamment sur ses épaules, on aurait dit Alain Delon des années soixante mais qui aurait trop tapé dans les buffets gratuits,

Mon amoureux à la chemise ouverte, et le champ de poils dans lesquels mes doigts se perdraient (mais retrouveraient peut être quelques petits bouts de chips).

J’ai trouvé ça sexy. Alors au travail lundi, j’ai écouté, et puis écouté encore, quand sa voix boudait moi aussi j’étais triste, vraiment,

Dès que je voyais son visage poupin apparaître dans une proposition indécente de Youtube je cliquais dessus, caresse virtuelle.

BIM, fini l’open space, j’étais dans sa maison près du Nil, énorme fête, on danse comme les égyptiens sur cette mauvaise chanson des Bangles.

Et ça aurait été super nul comme soirée, je sais, mais il aurait été là, petit marcassin pris dans les phares, peut être avec une toge et éloigné de la foule, j’aurais fait “haaan” et mes yeux humides, encore, l’auraient fixé avec compassion-passion, plus passion que con, pendant que des poupettes ultra lookées m’auraient mis la pression en ondulant d’une manière que je ne sais pas imiter.

“Les autres albums sont bof” m’a dit Charlotte, je veux pas écouter les autres albums, je veux écouter que “On the Nile”, encore et encore, et rêver de ses boucles grasses et pleines de gomina, de ces lèvres boudeuses qui me supplieraient

M’enivrant de l’odeur que dégage sa petite veste en cuir qu’il n’arrive sûrement pas à fermer

Succombant bêtement à son côté sexy quand même assumé, profitant de sa voix de star du téléphone rose (Orientaldu78, dis moi que je suis la seule pour 7 francs la minute)

Ma légende venue des sables du désert, tu vaux bien mieux que ces chansons de merde que t’ont dédiés de pauvres ploucs.

Je veux pas de toi maintenant, non

OH NON

Alors sois cool, remonte le fleuve du temps, viens me chercher en 2012, vaillant capitaine d’un navire voguant au beat d’un synthé analogique. Emmène moi au pays des Pharaons retrouver Michael Jackson vivant.

(et Eddie Murphy charismatique)

J’admirerais le Nil en regardant ton écharpe jouer avec le vent et me rappelant les paroles de Dalida.

Et en me demandant quand même sérieusement ce que j’ai avec l’Egypte, putain. Parce que Claude François et toi, ça commence à faire beaucoup.

*expression copyright Charlene Darling