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mardi, 13 mars 2018

BOXING IS REAL EASY. LIFE IS MUCH HARDER.

Par
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Pourquoi t’aimes la boxe? Comme une incompréhension palpable dans le regard. Incrédule devant une passion qui ne peut que toucher le mec vicelard de base, abonné à la kro et aux coups de torgnoles.

Emily Dickinson disait, vous savez que c’est de la grande poésie quand elle vous arrache le sommet de la tête. Essayer d’intellectualiser l’ensemble, c’est passer à côté de ce qu’elle : une beauté cruelle, vulnérable, et désespérée.

Pourtant, la boxe, elle est vulgaire, violente, problématique, comme on aime à dire aujourd’hui. Engluée dans les affaires crasses, allant du combat truqué aux juges manipulés, elle s’offre le luxe de brasser des millions de dollars sous nos yeux sans qu’on prenne la mesure du dommage.

On se moque, on se gausse de son image. La boxe, c’est ce crétin de Rocky. Corps de culturiste ayant des faux airs d’un héros de comics de seconde zone, bombés aux épinards depuis le berceau. Pas un mauvais gars, sur qui on mise quand même en ce disant que sur un malentendu, y a toujours moyen. L’outsider dans toute sa splendeur, celui qui ne peut pas perdre, qui ne doit pas perdre, mais qui, ironie de l’histoire, se colle la loose sublime à défaut de la gloriole tant promise de l’American Dream.

Une fragilité puante, qui laisse de marbre tout être en dehors de ces codes, si ce n’est un sentiment malaisant. Suffit de voir les noms des principaux personnages: le tueur de Manassa, le démolisseur de Brockton, le taureau du Bronx, le tueur à gages, le cobra, le chien fou, l’assassin au visage de bébé. Et puis son doux parfum d’illégalité, où il n’était pas rare dans un autre temps, que si la mort était au bout du chemin pour l’un des boxeurs, le fond du fleuve devenait sa dernière demeure.

Dire que la boxe est un art noble revient à faire lever le sourcil. Ce qu’elle apporte, ce qu’elle enseigne est pourtant beaucoup plus prégnant. La férocité de la compétition, son envie, rageuse et désespérée, l’ambition, sa jalousie, pour se dépasser, toujours un peu plus. Dépasser ce que l’on est. Dépasser sa propre vie.

Certains de ses aficionados vous parleront de religion, et ceux qui vous en parleront ne vous permettront pas de comprendre toute la complexité de la boxe. Il faut la sentir dans ses tripes, rageuse et victorieuse. La boxe n’est pas primitive, elle s’articule dans un moment, dans une théâtralité qui n’aurait rien à envoyer aux plus grandes tragédies grecques. Elle n’a que le langage du corps, un ballet incessant où chaque geste, exécutée pour la gloire de l’instant, n’a rien d’instinctif.

Pour moi, la boxe n’a surtout rien de ludique. On joue au football, mais pas à la boxe. DH Lawrence disait qu’elle se déployait dans un espace datant d’avant que dieu devienne amour. En d’autres mots, la boxe, c’est l’avant civilisationnel. Joyce Carol Oastes disait ceci: la masculinité en ces termes est hiérarchique: deux hommes ne peuvent pas occuper le même espace en même temps. Quelque part, ça explique beaucoup.

L’ironie de la vie aura voulu que j’assiste à mon premier combat de boxe un dimanche après-midi, alors que j’avais usé pour la première fois mes fonds de pantalon sur les bancs de l’église le matin même. Le sermon portait sur le Christ, et de la nécessité de tendre l’autre joue, malgré les coups. Le caractère sacré de la rencontre m’a fait comprendre le sens de cette phrase. A la fin de sa carrière, Mohamed Ali recherchait ces coups afin d’user son adversaire, une présupposé faiblesse qui se révélait souvent gagnante.

Les motivations pour devenir boxeur sont pléthores: antisociales, psychotiques. Des hommes blessés ressentant le besoin de blesser les autres en se mettant eux-mêmes en danger. Certains, par discipline, sont devenus doux comme des agneaux, laissant la colère sur le ring, tandis que d’autres ont viré dans une véritable maîtrise d’eux-même, comme Rocky Marciano, qui pouvait se retirer du monde pendant trois mois avant un combat. Aucune conversation avec sa femme et ses enfants, pas même une lettre, de peur d’être relié au monde réel. Tout ce qui n’était pas combat était exclu de sa conscience.

Aller de la douleur au triomphe. Il suffit de voir la vie de certains, leur background, pour comprendre qu’il s’agit de la seule activité humaine dans laquelle la rage peut être transposée, sans aucun équivoque, en art. Mais romantiser la boxe, c’est peut-être passer à côté de problèmes beaucoup plus prégnants.

Je me souviens de la lecture de Fat City de Leonard Gardner comme un coup porté sur ma gueule. La théorie de l’échec, dans toute sa splendeur: le rêve américain dans ce qu’il avait de plus hypocrite et de plus faux. La castagne, toujours plus fort, contre quelques billets verts à la tarification pitoyable. Une victoire au goût de leurre, où gagner a des faux airs de perte.

La colère est impulsive, non calculée. Celles et ceux qui n’ont aucune raison personnelle de la ressentir ont tendance à repousser cette émotion, quand ils ne la condamnent pas chez les autres.

On ne peut comprendre cette masculinité exacerbée s’il on ne se réfère pas à son histoire. Le déni du féminin dans l’homme, reliquat d’une période ancestrale où l’être physique était sa plus haute expression.

Ce n’est pas un hasard si la boxe compte si peu de femmes dans ses rangs. Reléguées aux pancartes et au spectacle. La boxe, c’est avant tout une histoire d’hommes: la célébration perdue d’une époque bénie où l’homme était ce guerrier tant admiré. L’agressivité brute relevait donc essentiellement du domaine des hommes. Une boxeuse? Impensable.

Il suffit de se plonger dans le passé pour voir que la notion de masculinité dans les sports de combat est biaisé. Les romains de l’Antiquité, pas les derniers pour célébrer le culte de la virilité et de l’honneur, avaient pourtant dans leurs arènes des gladiatrices, sport que l’on peut voir comme un ancêtre lointain de la boxe, souvent épouses de sénateurs, prêtent à en découdre.

Mais cette masculinité cache aussi ses propres codes, ses paradoxes. J’ai toujours été étonnée par l’érotisme de la chose. Ce spectacle des peignoirs qui tombent, les corps qui s’entrechoquent. Bundini Brown, l’assistant d’Ali, disait «il faut bander, et maintenir l’érection. Vous devez faire attention à ne pas la perdre, mais aussi à ne pas jouir».

Et puis ces combats qui se terminent par une étreinte, un geste de respect mutuel et d’affection, qui, pour le spectateur lambda, paraît plus dans l’ordre de la pure forme. Rocky Graziano embrassait ses adversaires en signe de gratitude. Un moment particulier, où le rapprochement publique de deux hommes, qui, dans la vie de tous les jours, ne pourraient s’approcher de cette manière.

Même si la boxe du passé n’est plus celle d’aujourd’hui, car beaucoup plus réglementée, il n’en reste pas moins qu’elle est plus qu’une simple compulsion qu’éprouvent certains hommes à se battre, et d’autre à les regarder se battre. Peut-être que nous ne sommes pas ces personnes purement spirituelles que nous voudrions croire. La boxe, c’est le tragique de l’homme, sa force, ses croyances. Mais c’est aussi ses travers, nos travers. Celui de vouloir voir un spectacle où l’on attend la chute finale. Celle dont on ne se relève pas.

stenia

Stenia est née en 1987 et a une affection particulière pour ses chaussons chauffants. Passionnée de punk et de chanteuses gueulardes, on avait repéré son super boulot de journaliste sur twitter et on s'est permis de lui écrire un petit mail un peu suppliant (on a pas de face, kesstuveux). On est ravies que cette plume douée ait rejoint l'équipe, parce qu'on apprend toujours des trucs, et on les apprend de manière chouette, quand on lit les papelards de Stenia.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com