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mardi, 10 avril 2018

Ce n’est pas aux hommes de décider s’ils sont féministes

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“Je pense vraiment que la femme est le sexe fort, et l’avenir de l’humanité. J’ai un respect et une admiration sans failles pour elles.” Voilà ce que m’avait dit l’un de mes ex au tout début de notre relation. Je m’étais empressée de m’en réjouir auprès d’une amie, et on avait limite sabré le champagne. Enfin un mec sûr de ses convictions féministes, et qui n’avait pas peur de le dire ! Quelques mois plus tard, on s’engueulait sur divers sujets liés aux femmes, comme la notion de féminicide ou l’affaire Cantat. Il faisait tout pour trouver des failles dans mon raisonnement, et l’emporter. Tant pis si ces sujets me tenaient à coeur, que j’étais bien mieux renseignée que lui… et une femme. J’avais l’impression d’être une astrophysicienne essayant de convaincre un quidam que la Terre est ronde, tellement nos disputes frôlaient l’absurdité. Parfois, je perdais patience et lui disais : “T’es un mec, tu peux pas comprendre ni avoir raison là-dessus.” Rien de tel pour le foutre en rogne. Je ne comprenais pas ces dissensions, lui qui m’avait assuré de son féminisme à de maintes reprises (et se vantait d’avoir rencontré Despentes).

Si vous êtes une femme - ou que vous vous identifiez en tant que telle - et que vous êtes féministe, alors il vous est très certainement arrivé de croiser au moins une fois la route d’un individu du genre opposé, persuadé d’être lui aussi féministe. Mais plus il parlait, plus il agissait, plus vous l’observiez, plus quelque chose clochait, et plus vous vous disiez : “Mais il n’est pas SI féministe que ça, en fait.” Voire : “Alors mais il n’est PAS DU TOUT féministe ce garçon, comment il peut dire le contraire ?” En tout cas, ça m’est arrivé à plusieurs reprises. Et même, d’être en couple avec des types de ce genre, mais de mettre un certain temps à m’en rendre compte.

De ce que j’ai pu vivre, et de ce dont j’ai pu discuter avec des amies, j’en ai tiré cette conclusion - sûrement exhaustive et en tout cas personnelle : beaucoup d’hommes se croient féministes car ils pensent n’avoir jamais agressé, ni violé, ni harcelé une femme, parce qu’ils défendent l’égalité salariale et/ou sont persuadés d’estimer que les femmes ont le droit de s’habiller comme elles veulent. Tous les soirs, ils s’endorment avec quiétude, bercés par la conviction profonde d’être des mecs AU TOP, qui ont TOUT compris au féminisme. “Putain, je suis vraiment un mec génial et en phase avec son époque”, se félicitent-ils en écoutant un épisode de La Poudre (que je recommande chaudement, au passage) pendant leur footing.

Si vous êtes un homme et que vous vous reconnaissez là-dedans, je suis au regret de vous informer que non, il ne suffit pas de ne pas être un violeur, ni un harceleur, et de vouloir que les femmes soient autant payées que vous, pour que cela fasse de vous des féministes.

Déjà, un homme peut-il être réellement féministe ? Pour une bonne partie des féministes, ces deux termes sont antinomiques, car les hommes - j’entends la société patriarcale et tous ses méfaits, rangez vos pancartes “NOT ALL MEN” - sont en bonne partie la cause des oppressions et discriminations subies par les femmes. En partant de ce constat, comment pourraient-ils se dire “féministes”, même les plus éduqués d’entre eux sur ce sujet ? Si les combats pour l’égalité des sexes doivent être menés des deux côtés, on ne peut pas prétendre qu’ils se font sur les mêmes bases, puisque les femmes sont, DE BASE, discriminées par rapport aux hommes. Ce sont bien elles qui doivent se battre, en premier lieu, pour faire disparaître les différences de traitement et de chance. CQFD.

Et c’est là la grosse nuance. En théorie, un homme “vraiment” féministe accepte de mettre les pieds sur de multiples terrains qu’il ne maîtrise pas et qu’il ne maîtrisera JAMAIS totalement, puisqu’il n’est pas une femme, et ce, en toute connaissance de cause. Il a l’humilité et la DÉCENCE de ne pas vouloir faire croire qu’hommes et femmes partent d’un pied d’égalité, et que par là, les hommes ont TOUT à apprendre des femmes sur les sujets liés au féminisme, à la féminité et à la virilité. Il sait qu’en tant qu’homme, et même avec la meilleure volonté du monde, il peut se planter et avoir des propos ou comportements machistes, et il accepte les critiques. Or, c’est souvent compliqué pour un mec d’être en paix avec le fait qu’il ne sera jamais omniscient sur un sujet particulier, qui plus est, quand le dit-sujet le pousse à se remettre en question. Le féminisme en est un, puisqu’il questionne aussi bien les normes féminines que les normes masculines (sans parler de la question raciale, sociale, économique, bref #intersectionnalitémonamour).

L’une des pires choses au monde, ce sont les hommes persuadés d’être féministes, qui veulent “t’apprendre” ce qu’est le féminisme. Ceux qui disent : “Non mais sérieusement, l’écriture inclusive/le manspreading/la charge mentale c’est pas LE VRAI problème dont il faut s’occuper là, faut d’abord penser à l’allongement du congé paternité/au harcèlement de rue/à la paix dans le monde, merde-vous-faites-chier-à-trouver-une-nouvelle-lutte-toutes-les-semaines.” Pourquoi hiérarchiser ? Et surtout, pourquoi décider À NOTRE PLACE de quelle lutte NOUS concernant en premier lieu il faut s’occuper en priorité ? De quel droit, en fait ?

Ce qui est génial (not) chez beaucoup de mecs, c’est leur propension à affirmer beaucoup de choses avec beaucoup d’aplomb, quitte à prendre beaucoup de place. Ça n’est pas “dans leur nature”, c’est surtout le résultat d’une éducation et d’une culture qui encourage les hommes plus que les femmes, dès leur plus jeune âge, à s’affirmer et donner leur avis. A contrario, plus les petites filles grandissent, moins elles osent exprimer leur opinion. Cela a été montré à de nombreuses reprises par des chercheurs et sociologues. Rappelons que même à un événement censé être “progressiste” comme Nuit Debout, des femmes ont fini par organiser des réunions non-mixtes, parce qu’elles en avaient marre de se faire couper la parole par des hommes. Non sans faire péter un câble à certains d’entre eux, qui ont encore eu le culot d’essayer de s’imposer à ces réunions non-mixtes. “Il faut des espaces pour que les dominés puissent prendre conscience ensemble des pratiques d’oppression et s’exprimer, sans la présence des dominants”, expliquait l’une d’elles au Monde. Cet “outil d’émancipation politique” était déjà défendu par le MLF dans les années 70, comme le rappelle Buzzfeed.

On en arrive alors au principe du “mansplaining”. Il renvoie au fait que les hommes ont souvent tendance - parfois sans s’en rendre compte - à vouloir “expliquer la vie” aux femmes, en leur coupant la parole ou en ne prenant pas leur avis au sérieux, même sur des sujets qui les concernent directement ou qu’elles maîtrisent mieux. Comme si un cuistot du dimanche disait à la cheffe étoilée Hélène Darroze : “M’enfin c’est pas comme ça qu’il faut préparer la bouillabaisse, pousse-toi, je te montre !” Pour en savoir un peu plus sur le sujet (le mansplaining, pas la bouillabaisse), je vous conseille l’excellent essai Men Explain Things To Me de Rebecca Solnit, dont découle le terme “mansplaining”.

Si les hommes ont autant de mal à lâcher du lest, c’est aussi parce que le changement, c’est dur (et pas vraiment maintenant, même si c’est en cours). Oui, c’est dur de voir le déferlement de témoignages d’harcèlement ou d’agressions sexuelles après l’affaire Weinstein. Oui, cela peut être vertigineux pour les mecs (mais pour les femmes aussi, je vous rassure) de mesurer la diversité des comportements problématiques dont ils peuvent faire preuve envers les femmes. Oui, c’est dur pour un mec “sans histoire” de reconnaître qu’un jour, il a abusé de sa position dominante envers une femme, physiquement ou verbalement. L’affaire autour d’Aziz Ansari - accusé par une journaliste de ne pas avoir voulu comprendre qu’elle ne voulait pas coucher avec lui après un “date” - a perturbé beaucoup de monde car ce qui était reproché ne rentrait pas dans les cases “connues” d’un manque d’écoute et de respect du consentement.

Bienvenue au 21e siècle les gars ! Ici, on commence enfin à réaliser, et dire, à quel point le spectre de vos attitudes néfastes/abusives envers les femmes est énorme et souvent pernicieux tellement il est ancré en nous par notre histoire, notre éducation, notre culture, nos habitudes, nos traditions. L’excellent documentaire d’Infrarouge, “Sexe Sans Consentement”, disponible sur Youtube et récemment diffusé sur France 2, constate ainsi que la notion de sexe non-consenti est encore très floue pour une effarante majorité d’hommes.

Pour clore le volet sexuel, parlons phallocentrisme et autres constructions genrées de la sexualité. Non, un mec ne peut pas se clâmer “féministe” et considérer que le sexe oral n’est pas du “vrai” sexe (Je l’ai entendu de la part d’un homme qui m’avait pourtant assuré “ne vivre que pour le plaisir féminin”). Il ne peut pas lire Vernon Subutex en tirant sur une Camel et croire encore au mythe “femme vaginale/femme clitoridienne”. ÇA-N’EXISTE-PAS. Tous les orgasmes ressentis par une femme, avec ou sans pénétration, proviennent du clitoris. T-O-U-S.

Comme l’a si bien expliqué Maïa Mazaurette sur son blog sexo du Monde.fr, les hommes qui se disent “éduqués” sur cette question mais assurent ne “tomber que sur des vaginales” se mettent un doigt dans l’oeil de la taille de la Tour de Pise, et font preuve d’une hypocrisie tout bonnement renversante. Messieurs, si vous lisez ces lignes : vous ne trompez personne, et surtout, vous perdez énormément de temps. Cessez de vous prétendre féministes pour ensuite raconter des âneries pareilles. Vous perpétuez des siècles de clichés destructeurs et entretenez une pression sur le plaisir des femmes, vu comme un engrais pour l’ego masculin. Être un homme hétéro ou bi autoproclamé féministe et faire de la pénétration sa seule source de fierté sexuelle, c’est comme amener des noix de cajou à un apéro des Allergiques Aux Arachides Anonymes. Ça n’a pas de sens.

Puisqu’on en est à parler sexualité, parlons corps et looks. Car j’en ai connu des mecs soi-disant “féministes” qui allaient de leur petite remarque désobligeante, voire, blessante, à propos de la tenue ou du physique d’une femme. Mon ex-persuadé-que-les-femmes-sont-le-sexe-fort aimait bien me faire sentir que mes vêtements à motifs étaient “du gâchis”, et que je gagnerais à m’habiller plus “classique” pour être “plus féminine”. Je mettais un peu trop de maquillage à son goût aussi, et il tenait mon tie-and-dye en horreur. “Tu vas vraiment sortir comme ça ?”, m’avait sorti un autre ex, lui aussi persuadé d’être féministe, alors que je venais d’enfiler une mini-jupe et un crop-top avant qu’on parte chez un ami (Désolée de me sentir à l’aise dans cette tenue par 34 degrés). Je ne me suis pas changée, mais j’ai tiré sur ma jupe toute la soirée. “Dis donc, elle est quand même très dos nu ta robe. Tu la mets au travail ?”, m’a-t-il demandé lors de l’un de nos derniers dîners, à propos de l’une de mes robes préférées. Malgré moi, j’ai eu honte pendant une seconde. Et c’était déjà une seconde de trop.

On ne venait pas du même “milieu”, le sien était beaucoup plus conservateur que le mien. J’ai fini par me demander si mon style vestimentaire “sexy” (notamment par 34 degrés, donc), mes tatouages et ma propension à me colorer les cheveux, avaient joué dans sa décision de me quitter. Je me suis posé la question alors que je suis une féministe convaincue et que lui était convaincu de l’être. Ma psy m’a stoppée net dans ce genre d’élucubrations auto-culpabilisantes et néfastes. Bien sûr que c’est normal de ne pas tout apprécier dans le look ou le physique de sa partenaire, mais les hommes, qu’ils le veuillent ou non, en aient conscience ou non, sont les représentants d’une culture patriarcale et machiste qui infantilise, sexualise et humilie le corps des femmes. Il est temps qu’ils comprennent que leurs mots ont une portée particulière. Non pas qu’on veuille leur plaire à tout prix, ce n’est pas le sujet. Sorti de la bouche d’un mec, un “Tu vas sortir comme ça ?” pue le paternalisme, renforce une position dominante insupportable et peut vraiment blesser si on le laisse faire.

De ces relations, amoureuses et amicales, ou de simples rencontres, avec des hommes dont le féminisme revendiqué a autant de trous qu’un gruyère, je tire une énorme frustration et parfois, l’impression très désagréable d’avoir été “flouée” sur la marchandise, surtout quand ces hommes en question s’avéraient incapables d’accepter la moindre critique. Personne n’est parfait, et il existe 1000 façons d’être féministe. Mais entendre un HOMME dire qu’il est féministe tout en ayant des comportements ou paroles sexistes par-ci ou par-là, c’est vraiment l’hôpital qui se fout de la charité, comme dit mémé. Plusieurs fois, je me suis demandé s’ils étaient sincèrement persuadés de l’être, ou s’ils ne faisaient que suivre “l’ère du temps” en façade.

Pourquoi est-ce que ce n’est pas aux hommes de décider s’ils sont féministes ? Tant qu’ils ne seront pas capables de plus d’humilité, de prendre du recul sur eux-mêmes, ni d’accepter que sur ce terrain, ils n’auront jamais raison, le féminisme autoproclamé de certains ne sera que factice. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas débattre de féminisme entre hommes et femmes. Mais le débat est rarement juste, à cause de cette habitude beaucoup plus ancrée chez les hommes que les femmes d’essayer d’imposer une opinion comme une vérité universelle. Il est primordial de le garder en tête.

Il ne suffit pas que “les hommes” s’éduquent sur le genre et le féminisme. Il faut qu’ils ÉCOUTENT ce que les femmes et les minorités sexuelles ont à dire là-dessus (un bon début est d’écouter le podcast Les Couilles Sur La Table, qui explore les mécanismes de la virilité) et qu’ils RÉFLÉCHISSENT sérieusement à leur comportement, et celui de leurs potes. Ce n’est vraiment pas la peine de s’indigner contre Harvey Weinstein à la machine à café pour laisser vos amis emmerder les meufs en soirée ou trouver des excuses à leurs attitudes merdiques.

Les hommes ont grandi avec des certitudes qui sont de plus en plus remises en question. Il va falloir qu’ils s’y fassent. Et surtout, qu’ils participent. Parce que tout le monde a à y gagner, bon sang. Alors, messieurs, prenez le train en marche au lieu de tirer sur la sonnette d’arrêt d’urgence en hurlant à la rame que ce n’est pas le bon horaire ni la bonne destination. Ce n’est pas vous qui conduisez.

Avalon

Avalon est née en 1994 et roule pas encore très bien sur des patins venus tout droit des années 90. Actuellement aux Beaux-Arts de Toulouse, la jeune illustratrice rêve de vivre de ses chouettes petits Mickeys, de faire bouger ses boobs en rythme (genre comme Shakira ? Tu me dis si je me trompe Avalon), et de faire tout ça en buvant des Bubble Teas. Je sais pas si c'est possible d'ailleurs de faire blobloter ses pecs avec un thé au Tapioca. Ça me donne envie d'essayer.