J’habite dans un 15m2 en face d’une salle de sport. Lorsque je fume une cigarette à ma fenêtre, j’observe des gens sveltes entretenir leur santé sur des vélos elliptiques. Des fois ils m’amusent, des fois ils m’énervent. J’ai toujours été nulle en sport. J’ai bien essayé de la rejoindre, cette salle de sport. Mais j’ai étrangement arrêté de la fréquenter quand un mec baraqué avec les cheveux plein de gel s’est approché alors que je m’esquintais sur la presse à cuisses, m’a vivement claqué le jarret et m’a sorti « Écarte les jambes, fifille. Sinon ça marche pas ». On m’avait dit que le sport réduisait aussi bien la graisse que l’anxiété. Ben du coup, là, bof. Mais au moins, j’avais donné sa chance au produit. Bien dans son corps, bien dans sa tête, le yoga, la méditation : ouais, vite fait. Un verre en terrasse avec des potes, c’est plus convivial pour déstresser.
Mon bide à bière me préoccupe bien moins que mon anxiété, en réalité. Cette dernière, je la vois comme une personne, un esprit triste, qui parfois me fais un câlin-cuillère lorsque je vais me coucher, ou s’aggripe comme un koala à mes épaules lorsque je pars travailler. Elle m’a accompagnée très tôt, et je me suis toujours efforcée de la traiter avec bienveillance : elle est relou, mais pas bien méchante. Lorsqu’elle devient effrayante, je lui trouve de nouveaux moyens de domestication. Ca a commencé par en parler plus librement avec mes proches, pour en formuler les origines. Puis une fois les pistes bien identifiées, j’ai pris la décision de commencer une thérapie post-traumatique, pour alléger l’ado de 17 ans que j’ai été, qui a vécu beaucoup de choses, et ne pouvait plus de se mettre en sourdine.
Et c’est quand sa parole s’est ouverte que l’anxiété a pris sa tournure monstrueuse. Je ne pouvais juste plus me taire. A force de mettre les mots sur mes maux, ils s’imprégnaient dans ma chair, comme imprimés sur ma peau au fer brûlé. Et je ne cessais de montrer ces cicatrices, en espérant qu’en parler suffirait à les refermer. Au coeur de mes paroles, cette assourdissante solitude, dont je rabat les oreilles sans arrêt à ma psy. Sauf que la psychothérapie n’est pas un remède immédiat, c’est un parcours. Alors comment calmer ses voix parasites qui me susurrent constamment qu’il n’y a ni récompense, ni applaudissements, ni même de lumière au bout du parcours ?
J’ai tenté toutes les méthodes pour faire taire ces voix, la mienne en tête de cortège : faire la teuf, arrêter de faire la teuf, m’alcooliser l’esprit, me rabattre sur les jus détox, m’ensevelir de médicaments, me focaliser sur le travail à corps perdu… Jusqu’au jour où plus aucun vacarme n’était suffisant pour couvrir celui de mon angoisse. J’ai appelé ma mère en pleurs incontrôlables alors qu’elle prenait l’apéro. Elle a fini par passer le combiné à son ami, qui m’a alors demandé calmement : tu as essayé la méditation ? J’ai regardé par ma fenêtre. Un groupe de jeunes femmes s’esclaffaient gaiement au sortir de leur séance de yoga de la salle d’en face.
Affamée de solutions, j’ai pris son conseil à la lettre. Il aurait pu me conseiller de me masser les lobes avec de la sauce Sriracha que j’aurais probablement essayé. Fort heureusement, ma mère fréquente plus de gens bien renseignés que de fétichistes du piment. J’ai téléchargé une application gratuite de méditation sur mon téléphone, et me suis créée un rituel : chaque soir, en rentrant chez moi, j’allais tenter le coup. Par une méditation guidée, d’abord, apprenant les bases, comme les exercices de respiration. Ressentir le souffle d’air entrer par le nez et ressortir par filet mince par la bouche. Laisser le rythme du corps prendre le pas sur celui de la pensée. Inspirer les ressources, expirer les soucis. Puis j’ai investi un petit pécule dans un cours spécialisé dans le pouvoir soignant du son et des fréquences ; cherchant à trouver un rythme, une musique qui réveillerait un murmure de bien-être.
Mes premiers jours de méditation m’ont presque immédiatement apporté de la sérénité. Quel soulagement d’observer que travailler sa respiration, son rythme cardiaque, et se laisser guider par la voix d’un autre permettait, le temps d’une session, de faire taire mes angoisses. Quel soulagement d’apprendre à grand recours de science que le cerveau humain, et les émotions qu’il monitore, sont influençables par un rituel corporel, et par des fréquences à un taux maîtrisé de hertz. Ancrer les pieds dans le sol, rester immobile, respirer à poumons ouverts. Je me suis même mise à méditer à la pause dej. Une nouvelle distraction délicieuse pour mes collègues de travail : la petite qui kiffe l’astrologie, voilà qu’elle se met à la méditation maintenant. Demain elle mettra Namasté en signature de mail et fera brûler de l’encens dans la cafétéria.
Puis vint cette séance, qui donnait l’introspection comme thématique. A grand recours de mantras à se répéter, le mot énoncé laisse derrière lui un vide, un trou béant dans l’esprit. La guide de séance m’a alors demandé « qu’est ce que ça vous fait, d’observer ce vide en vous ? ». Sur l’écran de mon téléphone sont apparues des réponses pré-écrites, dont une m’a transpercé le coeur de vérité : « Je m’y sens si seule ». Touchée en plein coeur par ce froid QCM, une vague d’émotion s’est emparée de moi, me faisant vomir des mots. Dans la solitude frisquette de mon petit appartement, je me suis mise à parler dans le vent, adressant des excuses à ma grand mère défunte, des explications à ma mère, à gerber ma souffrance à haute voix, entrecoupée de sanglots gros comme les larmes des héros de films de Miyazaki. J’ai vomi ma souffrance jusqu’à laisser mon corps s’affaisser, vidé, me laissant par la suite tomber dans un sommeil lourd et régénérateur.
Je continue aujourd’hui ce chemin. Parfois, la méditation m’offre le calme. Parfois, elle me sert la tempête. Elle me fait me fait monter les larmes aux yeux, ces larmes qu’on voudrait pouvoir verser sur commande, d’un coup, lorsqu’on se sent chagrin, et qu’on attend la décharge d’endorphines post-chialade pour pouvoir reprendre sa vie normale. Elle m’a appris à écouter mon corps plutôt que formuler mes angoisses. A ressentir plutôt que de subir. A relativiser. C’est un process que j’ai choisi de poursuivre. J’apprends à moins m’écouter parler plutôt que d’apprendre de mon silence. De laisser de la place aux bruits de dehors, qu’ils soient ou non artificiels comme un CD de chants d’oiseaux chez Nature Découvertes. Parfois j’arrive à intégrer le bip des portes du métro dans ma méditation, comme un rythme cadencé. J’ai l’impression de disrupter l’art ancestral de la méditation, ce qui me fait sourire. Je pense à un projet de start-up, et je me replonge dans le son de mes bols tibétains.
A toi qui me lis : la leçon de la méditation est de t’apprendre que tu n’es pas ton corps, tu n’es pas tes émotions, tu n’es pas tes sentiments. Tu es le manager de ces 3 entités, et apprendre à les écouter séparément, leur donner leur place, peut te permettre de les alléger. Pas à pas, seconde par seconde. Prendre le temps, sonder le silence et l’immobilité. La méditation ne résoudra pas tes problèmes, mais elle pourrait bien t’aider à les identifier, les observer à distance, et parfois, le temps d’un instant, les oublier. Un archivage qu’elle t’invitera à faire afin de libérer de la place pour la gratitude, l’amour, et toutes ces beaux concepts qui fleurissent dans les magazines. Je voudrais conseiller la méditation à toutes les bonnes meufs, des plus ésotériques aux plus pragmatiques, de celles qui collectionnent les cristaux de soin à celles qui ont fait un bac S et adorent les to-do lists. Peut-être t’offrira-t-elle le silence, le calme qui te permettra de te retrouver et de t’embrasser. Au pire, si ça ne fonctionne pas, tu pourras toujours tester le sport ; et je serai ravie d’en parler avec toi autour d’une cigarette lorsque tu sortiras de la salle.