Vous venez de terminer vos études, n’avez pas réellement envie de trouver un boulot «dans votre branche »? Au RSA depuis trop longtemps maintenant, vous vous dites que ce serait bien cool de travailler un peu et mettre de l’argent de côté. L’expérience saisonnière est faite pour vous…ou peut-être pas.
Mais dans tous les cas vous ne le saurez qu’après.
Laissez-moi, en tous cas, donner les quelques tuyaux que j’aurais bien voulu qu’on me donne.
Cet hiver, après de fort longues études, j’ai décidé de faire une saison d’hiver, le temps de réfléchir à la suite. J’ai atterri dans la station de Risoul, à deux pas de l’Italie, en plein cœur des Hautes-Alpes. J’y ai loué un petit appart pas trop dégueu, une aubaine pistonnée. «Risoul, la plus intime des grandes stations ». Oh yeah.
Évidemment, le premier truc à trouver est un boulot. Les bars, restos et hôtels embauchent souvent les mêmes personnes d’une année sur l’autre donc pas de découragement si à la première approche on vous dit que le poste est déjà pris. Ça peut toujours changer. Autour de novembre, il y a pas mal de forums saisonniers auxquels vous pouvez aller pour prendre contact. Évidemment, on vous demandera toujours d’avoir une expérience inconsidérée pour un boulot relou et mal payé donc ne pas être trop exigeant et avoir de la tchatche.
Ensuite, il ne faut pas hésiter à aller poser spontanément des CV en station. Si tu vous vous y prenez en novembre, elles seront vides puisque c’est l’inter-saison mais les patrons la trouveront à leur retour de vacances. On prend son petit CV, tout bien plié et on le dépose à côté des autres. C’est la première épreuve infligée à votre sens moral.
Allez-vous, ou non, virer tous les CV qui sont déjà là et qui sont bien mieux que le vôtre?
En parlant de sens moral, la meilleure façon de trouver un boulot reste le piston. C’est important de pouvoir rester sur place et d’être dispo tout de suite en cas de demande d’entretien. Si vous n’en avez pas la possibilité vous pouvez aussi étudier un peu la zone, voir qui sont les plus gros employeurs en terme de tourisme et leur envoyer directement votre candidature. Personnellement, j’ai bossé en tant que réceptionniste dans une assez grosse boite. Il y avait un certain nombre d’avantages forfaits saisons gratos, 2 jours de congés consécutifs + deux demies journées de congés dans la semaine, plus prime panier et treizième mois. Le seul souci c’est qu’elle était en redressement judiciaire, que l’ambiance était mortifère et le service qu’on proposait vraiment pas terrible. Comme les saisons d’hivers sont hyper longues (globalement de décembre à avril), l’ambiance dans laquelle on bosse est vraiment primordiale. Peut être qu’il est sage de vérifier un peu où l’on met les pieds avant de signer, de poser deux ou trois questions ici et là.
Il y a un certain isolement quand on vit dans les montagnes. Pour sortir de la station on compte plus en temps qu’en kilomètres. Les routes enneigées sont dangereuses. Il fait évidemment froid. Tout ça rend le fait de sortir un peu galère. De Risoul par exemple, tu mets une bonne heure en hiver pour rejoindre la ville la plus proche. Par ville, j’entends un endroit comptant plus de 30 000 habitants, je n’entends pas « endroit où il y a un H et M ». Bien sûr, tu peux continuer de te ravitailler et de communiquer via Internet. Mais pour ça, il faut quand même avoir internet, ce qui n’est pas gagné. J’ai louvoyé tout l’hiver pour dénicher des codes wifi. Plusieurs techniques : travailler dans un endroit où on a accès à Internet, travailler dans un endroit qui détient des codes wifi. Ou devenir pote avec l’un des techniciens informaticiens de la station. Ou encore se connecter dans les bars qui propose la wifi.
Pour ce qui est d’avoir une vie sociale, tout dépend un peu de tes horaires, du lieu dans lequel tu vis et de ta mobilité. Vivre dans la station en elle même est plus simple pour aller bosser et t’évites de conduire. Cela dit, de ce que j’ai pu en voir, les stations sont quand même des endroits qui puent un peu. On a tendance à ne pas trop le voir au premier abords mais une station n’est rien d’autre qu’une structure implanté au sommet d’une montagne pour pratiquer le tourisme de masse et générer le plus de profits possible en 5 mois. Une ville factice habitée par une population consumériste et uniforme.
Ouais, je sais, dit comme ça, ça craint. Mais ça craint vraiment en fait.
Évidemment, tout y est hors de prix (un bouquet garni à 5 euros avec des feuilles de lauriers moisies…). Pour ce qui est des bars, c’est en fonction des sensibilités. A Risoul, j’ai pas trouvé de bars cools qui te donnent envie d’y rester. Il y a soit un pub un peu trop rêche, soit des bars d’étudiants en médecine over bourrés et nus à 14h. Ce qui peut être à l’occasion marrant ne va pas forcément vous faire marrer toute la saison.
Il y a différentes façons de vivre une saison. J’imagine que le fait que je sois venue avec mon copain m’a moins poussée à sortir. Si l’on débarque en tant que célibataire, on aura forcément plus envie de sortir et de s’alcooliser. Gaffe à ne pas craquer tout son blé en sorties.
En tant que meuf, j’ai trouvé que ça craignait un peu quand même. Entre les gros lourds que tu croises tous les jours sur le chemin du boulot et qui finissent par t’obliger à leur faire la bise, les clients dégueus qui essaient de te charmer. Pendant la saison, je suis sortie deux ou trois fois seulement (j’avais un autre boulot à côté ce qui fait que je n’avais aucun jour de congé) dont une à Risoul. La soirée de la drogue, comme je l’appelle depuis. Je suis allée dans un bar – le bar des étudiants nus – et quelqu’un a mis un truc dans mon verre. Je ne m’en suis pas rendue compte tout de suite. J’ai eu de bons réflexes qui m’ont fait rentrer chez moi tant bien que mal mais ça aurait pu vraiment mal tourner. Quand j’en ai parlé aux flics, ils m’ont déconseillé de porter plainte, posé des questions bizarres (« Êtes-vous allée au bar pour draguer un autre mec que le vôtre? Vous pouvez nous le dire, on lui dira pas »). Ils n’avaient « jamais entendu parler d’un truc pareil ».
Le bar dans lequel je suis allée est le plus gros bar de la station. Il est dirigé par un tout gros mec qui, à mon avis, deale avec les flics et leur fait deux ou trois bisous pour qu’ils ferment les yeux. Il n’y a pas une personne à qui j’ai raconté cette histoire ici qui ne m’en aie pas raconté une similaire qui se soit passé dans le même bar. Ça dure depuis des années. Tout le monde sait, sauf les flics. Incroyable, non?
Je pense qu’il faut garder en tête qu’une station n’est pas un lieu sain mais un tout petit endroit où tout le monde se connait et essaye de faire son beurre. Donc je crois qu’il convient d’être assez observateur et de ne pas faire confiance à tout le monde. Même si, à mon avis, il y a des stations qui sont beaucoup plus clean que d’autres.
Je peins un tableau un peu noir mais il y a évidemment des côtés très positifs. Je n’ai pas souvenir d’avoir eu autant d’argent sur mon compte de toute ma vie. Aspect non négligeable.
Et j’ai appris plein de trucs : comment survivre en haut d’une montagne, avec un seul ami? Comment conserver son cerveau en bon état de marche quand on ne fait que travailler? Je crois que travailler à un rythme bien tendu, accomplir des tâches dont tu te fous complètement t’aide à savoir que tu préfèrerais faire. Ça met surement un peu d’ordre dans les idées, aide à replacer les priorités.
Et puis j’ai rencontré des gens vraiment cools : une vieille dame complètement tarée qui se balade en maillot de bain dans le bâtiment avec son stick de colle UHU pour recoller les bouts de papiers peints qui partent en lambeaux. Un certain Michel Charbonnière qui se balade dans le petit village de Guillestre. Il ne fait que marcher, inlassablement, toujours habillé pareil, toute la journée. Certains disent qu’il est autiste, d’autre schizophrène. Avant il aurait été prof ou peut être ingénieur. Il appartient à la plus grande famille du village.
Il serait comme ça depuis qu’il aurait vu son meilleur ami se faire tuer sous ses yeux. Autant de rumeurs, d’histoires, de contes pour une seule personne. J’y ai aussi rencontré Fredo, alcoolique revendiqué qui vit dans son camion. Manon, qui ressemble à un soleil en plus vénère et qui se voue à la médecine chinoise. Karol, un avocat Polonais avec qui j’ai discuté cinéma indé et Pologne post-URSS pendant des heures.
Comme me le disait un de mes élèves, au moment des élections: « Ici, les familles votent par famille. En général, t’as deux candidats appartenant à deux familles anciennes du bled : un pour la chasse et un contre ». C’est plutôt finement analysé. La population est mixte, gamins et vieux se côtoient assez naturellement, tout le monde se connait, celui qui chasse et l’écolo qui fait du parapente. Il y a plein de gens à rencontrer et plein d’histoire à entendre, de bonnes balades à faire. Les saisons, j’imagine que ça doit valoir le coup partout, juste pour l’expérience. Ici, ça vaut particulièrement le coup parce que la région est superbe. Il suffit de sortir la tête par la fenêtre de l’endroit où tu te trouves pour le voir. La moindre petite marche prend des allures d’aventure. Les gens du coin (pas si nombreux, en fait) y sont sauvages, parfois un peu redneck au premier abord, mais souvent attachants finalement.
Pour résumer, je crois que la clé d’une bonne saison est un minimum de préparation. Checker la santé de la station dans laquelle tu pars, son degré d’isolement et la possibilité d’un accès à Internet. Dans le meilleur des cas, emmène tes potes. Et sinon, emmène de la musique et des livres. D’ailleurs je t’ai fait une petite compil de survie.
Voilà, bon vent et bonne saison!