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lundi, 15 mai 2017

COOKIE MUELLER - Plongée en eaux troubles

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illustration

De Mueller, on ne connaît pas grand-chose. Vague membre de la Dreamlanders de John Waters, on oublie souvent qu’elle était aussi une sacrée écrivaine. Initialement paru en 1990, Traversée en eau claire dans une piscine peinte en noir est un court recueil autobiographique qui nous donne à voir une gueule à la marge qu’il était définitivement temps de sortir des tiroirs.

«L’écriture n’est pas tendre avec le corps. Le sang refroidit et la circulation se limite aux doigts sur le clavier, les articulations des genoux se solidifient comme du ciment, le cul finit par ne faire plus qu’un avec la chaise, mais je n’ai pas abandonné.»

Vivre sa vie pour mieux l’immortaliser. Piéger le fugace dans le temps, dernier acte avant la chute du rideau. Nous sommes dans les années 80 et le SIDA s’apprête à lancer son funeste chant. Carangi, Haring, Mapplethorpe. Mueller, n’a plus que quelques années au compteur. Elle succombe à son tour en 1989, à l’âge de 40 ans, laissant derrière elle une existence digne des plus grands, fille spirituelle de la beat generation, la der des der figures de la contre-culture américaine.

Malgré les coups durs et les nombreux décès de proches qui ont jalonné sa trop courte vie, Cookie gardait une grâce adolescente presque sauvage et un humour noir à toute épreuve. Ses histoires, aussi sombres que lumineuses, étaient faites d’errances, de douleur et de dope, mais n’avaient de cesse d’illuminer ce morne monde déliquescent.

Pour certains, elle était la sauvageonne du New York underground des 70s, pour d’autres, la sainte mère des causes perdues. Ange déchu pris dans la spirale de la ramasse, elle était la looseuse sublime des nuits qui n’en finissaient jamais. Une fascination mise à mal, reléguée au second plan de l’histoire. Et qui pourtant, disait tant de choses sur cette femme.

Caméléon inépuisable, un jour hippie à l’existence bohème, le lendemain, muse de l’avant-garde new-yorkaise, Mueller était de ces êtres impossibles à cerner. Mais sous l’objectif de Nan Goldin, Mueller était reconnaissable entre mille. Tignasse blonde en furie et gueule blafarde bouffée par les excès, elle n’était jamais dans la demi-mesure, et ne se privait jamais pour le faire remarquer.

Sa vie aurait pourtant pu être autre, mais la môme avait des rêves d’ailleurs. Mueller avait la folie sur le bout des doigts et n’avait nullement l’intention de prendre racine dans les suburbs.

Nous sommes dans les sixties, décor carton pâte d’une Amérique sourire colgate et dinde aux marrons le dimanche midi. Mueller n’est pas encore Cookie mais seulement Dorothy Karen. La gosse s’y ennuie ferme et n’aspire qu’à fuir. L’écriture la bouffe déjà et se lance à 11 piges dans la rédaction d’un pavé de 321 pages, consacré à l’inondation de Jonestown, en Pennsylvanie, parce que pourquoi pas. A 15 ans, elle est l’ado typique qu’il est difficile d’ignorer dans les couloirs: elle se crêpe les cheveux jusqu’à leur faire gratter le plafond (quand elle ne se les teint pas) tout en arpentant le lycée en talons hauts et soutif conique 50s. Pour enrichir le tableau, son mec est une petite frappe notoire tandis que sa meilleure amie est tout aussi barzingue. Le potentiel est déjà là.

Sans surprise, Mueller finit par prendre la tangente et s’envole pour Baltimore en plein summer of love. Là-bas, elle devient la muse d’un autre génie taré et gagne ses entrées parmi les Dreamlanders. John Waters ne peut plus s’en séparer. Multiple Maniacs, où on la voit danser seins nus sur Jail House Rock ou encore Desperate Living, avec pour compagnon d’arme un fouet, Mueller se dessine inoubliable icônique.

À côté de ça, elle fait la fête auprès des grands noms de l’époque: Richard Hell, Lynne Tillman, Peter Hujar. Elle écrit également pour des magazines tels que Details, comme critique art, et le East Village Eye, où elle y tient une rubrique intitulée Ask Dr Mueller. Dans le registre herbaliste frappée, elle dissémine des conseils médicaux à la petite semaine pas toujours bons à suivre, quand elle n’y cause pas de ses bad trips de droguée.

Mueller ne suit pas le mouvement. Elle le crée. Et c’est bien là que réside toute la différence. Pas du genre à s’encombrer de la dernière hype, elle ne cherche pas l’aprobation de qui que soit et pas plus qu’à adouber les figures qui se pressent sous son nez. Mueller parle avec ses tripes, et toujours avec humilité. Jouer selon ses propres règles, quitte à ce que ça se retourne contre elle. On se souvient de son manque total de professionnalisme, allant jusqu’à écrire n’importe quoi dans le compte-rendu d’une expo où elle n’avait jamais foutu les pieds, ou encore de ses divagations sur les méthodes pour venir à bout du SIDA. Elle n’était pas un modèle et ne cherchait pas à être imitée. Mais sa liberté d’être ce qu’elle voulait insufflait à chacun l’envie de trouver sa propre voie.

Ironie du sort quand on sait qu’en vérité, Mueller n’était pas dans le genre prédestination. Pour elle, tout était une question de moment. Vivre, et que ça fasse une bonne histoire. Sans doute son credo inavoué. A-t-elle vraiment voulu être go go danseuse, actrice ou critique d’art? Difficile à dire. Et qu’en était-il de tous ces contes racontés sur elle? Le vrai du faux est toujours resté en suspend mais la légende,elle, ne demandait qu’à naître.

Des histoires qui figurent au compteur de sa Traversée en eau claire dans une piscine peinte en noir et Ask Dr Mueller, sans que l’on sache vraiment si tout ceci était vrai ou juste les divagations d’une junkie paumée. Pourtant, lorsque Chloe Griffin, sa biographe, interviewera ses meilleurs amis pour son ouvrage Edgewise: A Picture of Cookie Mueller, ils corroboreront pour la plupart du temps les anecdotes présentées. Une vérité encore plus extrême que celle que l’on aurait pu imaginer. Même si ce n’est qu’une vérité parmi tant d’autres, dans sa vie brûlée.

H24 stone, à en effrayer un Hunter S. Thompson déjà bien téméraire, Mueller distille un style vif et abrupte, presque impressionnant, quand on sait l’état dans lequel elle était la plupart du temps. Consommatrice d’acide et de coke, elle mettait pourtant toujours un point d’honneur à se lever le matin, quelque soit son état, afin de préparer le petit déj à son gamin.

Ses mémoires sont écrites comme des histoires que l’on se raconte pour impressionner les potes pendant les entraînements de gym. Un côté adolescente bravache qui nous ferait presque regretter toute cette époque révolue, mélange illimité de foutraque et de subversif 70s.

Comment négocier avec un serial killer dans une boîte de go-go dancing ? Ou encore comment ne pas monter dans le bus de la famille Manson pendant que Charlie achète des oranges à côté? Autant de questions débiles à laquelle Mueller répond, dans une spontanéité presque désarmante à la manière d’une teenager ponctuant ses fins de phrases d’un claquement de bulle de chewing gum, nonchalante. Ainsi, elle n’hésite pas à te décrire le clan le plus meurtrier d’Amérique comme des «canards en train de cancaner devant leur grain de maïs», et les filles «du genre à être passées directement du sein maternel à la paix dans le monde et à l’amour libre: écœurantes d’enthousiasme». Bonne ambiance.

Chaque début de chapitre se vit au rythme d’une existence bouillonnante qui ne connaît pas de pause: «J’ai un jour par erreur réduit en cendres la maison d’un ami» écrit-elle, comme on renverserait un peu d’eau à côté du verre.N’oublions pas non plus le récit de ce voyage avec John Waters au festival du film de Berlin: «Pendant toute la durée du vol au-dessus de l’Atlantique, je ne m’étais pas du tout inquiétée pour mon soutien-gorge un peu trop rembourré dans lequel j’avais planqué ma réserve de drogue.» En toute simplicité.

Toujours sur les routes, Mueller vagabonde à travers l’Amérique des rednecks, telle une Alice au pays des merveilles trash. Elle assiste aux cérémonies satanistes californiennes de la clique d’Anton La Vey, devient fermière après être tombée amoureuse d’un homme au rayon boucherie d’un supermarché, subit des électrochocs par erreur médicale, se retrouve complice dans des vols avec effractions, doit gérer des pervers et autres débilos fana des clubs de strip tease et j’en passe des belles. Elle se rend aussi en Europe, l’Italie plus précisément, où elle fait la connaissance de son futur mari, l’artiste Vittorio Scarpati. Mais ne croyez pas que l’air européen la calme. Là-bas, elle loue une voiture, déglingue le toit avant de rendre la bagnole comme si de rien n’était.

Mueller était ainsi. Ne jamais s’ankyloser avec le superflu. Même dans le tourbillon le plus salace et le plus sombre. Beaucoup de je m’en foutisme, certes, mais surtout beaucoup d’authenticité. De celle qui tourne les moindres travers ridicules de la vie en sublime, le moindre ennui en palpitante excitation.

L’écriture de Mueller est rapide, nerveuse, comme une ligne prise sur un coin de table. Elle avait d’excellentes histoires à raconter, doublé d’un sens inné de la description. Ses mots sont précis, rutilants. De la boue, elle en faisait de l’or. Cookie était un personnage pour John, ou pour Nan, mais elle était aussi un personnage pour elle-même, un personnage doué de génie. Une rouleuse tout autant qu’un cul collé à une chaise. Indissociable.

Ce livre, c’est beaucoup plus qu’une compilation d’anecdotes trash pour faire bien sur le papier. Bien plus qu’un road trip barré où on se crâme pour le plaisir de se crâmer. On y lit avant tout le récit d’une vie à la marge, celui d’une femme rétive aux étiquettes. Une femme, une artiste, toujours à l’écoute d’elle-même et de ses désirs, et puis une mère, une bonne mère, quoi qu’on en dise.

Écrire n’était qu’un aspect d’elle même. Une autre rencontre faite sur la route de sa propre vie. Elle écrivait comme elle respirait. Vite, et sans s’encombrer des quelques ratures que porterait le cahier. Oui, Cookie Mueller savait écrire. Mais elle savait surtout vivre. Pour le meilleur, comme pour le pire.

COOKIE MUELLER - Plongée en eaux troubles
Éditions Finitudes

Traduit de l’américain et présenté par Romaric Vinet-Kammerer
2017

stenia

Stenia est née en 1987 et a une affection particulière pour ses chaussons chauffants. Passionnée de punk et de chanteuses gueulardes, on avait repéré son super boulot de journaliste sur twitter et on s'est permis de lui écrire un petit mail un peu suppliant (on a pas de face, kesstuveux). On est ravies que cette plume douée ait rejoint l'équipe, parce qu'on apprend toujours des trucs, et on les apprend de manière chouette, quand on lit les papelards de Stenia.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com