Parce que c’est rare d’avoir des héroïnes réelles, vivantes, et de moins de 70 ans, je sors de mon silence pour vous parler d’Angel Olsen, cette meuf qui défonce tout et qui vient de sortir un album dont les ⅔ ne ressemblent en rien à ce à quoi on pouvait s’attendre venant d’elle.
Angel Olsen revient, prête à incarner plus que jamais cette jeune femme forte mais jamais intouchable, sans pitié et amoureuse de l’amour. Et comme ce serait trop facile si ce n’était que ça, comme se reposer sur ses lauriers n’a pas trop l’air d’être son style, elle rejoue la donne, « quitte ou double » et bien d’équerre avec sa vision de l’amour aux antipodes de la tiédeur et des solutions de facilité.
A titre de promo, elle sort deux-trois clips dont un où elle prouve à la face du monde, forcément un chouille étonné, qu’elle ne rit pas que lorsqu’elle trouve une petite vanne bien sentie lorsqu’elle écrit ses chansons, seule au clair de lune. Dans Shut Up Kiss Me, LE tube de l’album, elle se met en scène en fille un peu trop à donf sur un garçon qui n’en veut pas ou plus, et si elle y met pourtant du sien, elle va trop loin, un peu comme ce qui peut arriver à des gens très bien qui finissent par confondre passion et harcèlement (voir ma compilation sur l’amour stalker).
Un jeune homme de Villejuif, pourtant bien fan à la base, m’a confié l’autre jour avoir pris peur en la regardant chanter et n’avoir pu regarder la vidéo jusqu’au bout (aouh, petit chaton). Hé ben oui, Angel Olsen fait ça là, elle porte une perruque, elle fait des grosses grimaces qui rappellent des souvenirs étouffants aux garçons indécis, et elle appelle son troisième album MY WOMAN. Et qui dit femme, dit forcément un peu sorcière non?
Bon ce n’est que mon avis, et pour Angel, la référence serait plus à chercher du côté de Stevie Nicks.
OK OK C’EST BIEN GENTIL TOUT CA MAIS IL EST COMMENT CE DISQUE ALORS ?
Dans les interviews qui pleuvent sur le net depuis quelques jours, Angel explique qu’elle s’attend à ce que peu de gens comprennent le tournant qu’elle prend, et va jusqu’à douter qu’une partie d’entre nous écoute la face B, témoin de la fusion créative entre elle et ses musiciens, fans de hip hop et de Stevie Wonder. Bon, autant vous dire qu’elle est pas pour autant prête de passer sur Ado FM, mais on est s’éloigne quand même sérieusement des guitares acoustiques et de la solitude.
Là où Burn your fire for no witness annonçait déjà un tournant « électrique » d’Angel Olsen, ce nouvel album marque le début d’une nouvelle ère de recherches, de trouvailles et d’égarements. Plus que la production hollywoodienne de Justin Raisen (Santigold, Sky Ferreira…), l’origine de la vibe toute nouvelle de My Woman, c’est qu’Angel Olsen a trouvé un backing-band au delà de ses espérances. Un guitariste solo génial et parcimonieux qui a l’air d’avoir 12 ans, un batteur teigneux et à l’écoute, et une bassiste parfaite. Sur scène c’est vraiment un groupe de rêve, tout est à sa place. Après un an et quelques à tourner avec eux, alterner entre montées rock et parenthèses intimistes où ils sortent de scène pour la laisser jouer quelques morceaux toute seule, on pouvait aisément imaginer que l’osmose ne s’arrêterait pas là. Et si on ajoute à ça qu’ils se sont parfois amusés à faire des reprises de Fleetwood Mac, c’est même carrément plus la peine de s’étonner du changement drastique d’atmosphère.
My Woman est un album dont chaque face est un monde, la première, qui pourrait être dans la continuité des tubes passés, la seconde qui est tout autre, aussi déroutante qu’addictive. Et quoiqu’il arrive elle continue à creuser le sillon des histoires de cœurs brisés en silence, des amours lointaines à s’en demander si elles n’existeraient pas que dans notre tête. Elle continue mais à travers un nouvel écrin, en se perdant et se découvrant au passage. Cette année c’est avec des montées à la Fleetwood Mac (Heart Shaped Face, Sister, Woman) et des rythmiques langoureuses comme dans la partie slow d’un album de funk (voir le sexy Those Were The Days).
La chanson la plus adorable de la face A, Never Be Mine, résonne comme un hymne à l’amour à sens unique, aux relations troubles comme un Sagan des premières heures (« il veut savoir pourquoi tu es le seul que j’ai envie d’apprendre à connaître » ; « j’apprendrai à t’aimer, et même elle aussi je l’aimerai si seulement tu restais »). Cette chanson est comme une robe de bal ondoyante comme It’s My Party de Lesley Gore (presque) sans les larmes. C’est gros bonbon bien enrobé, un gros bonbon qui devient tout amer au morceau suivant, le fameux méga-tube de « meuf flippante » Shut Up Kiss Me.
« Je te mets au défi de comprendre ce qui fait de moi une femme »
Dans la face B, le morceau phare est inéluctablement Woman. « Woman », ce mot qu’elle place en mâchant ses mots, qu’elle commence dans un murmure avant de le crier puis, nouveauté Angel Olsen 2016, de le rugir, comme une petite Betty Davis en chaussures de skate. Et puis il y a tous ces moments où sa voix devient floue, où l’on distingue à peine les mots, comme si elle voulait les dire avec tout le reste des musiciens, comme si elle prenait un immense plaisir à s’effacer. Notons d’ailleurs qu’on trouve en tout pas plus d’une poignée de punchlines qui te mettent K.O du premier coup, mais il se passe quelque chose d’autre. On ne sait pas si elle s’écoute moins ou si elle s’écoute plus, mais elle compose différemment, elle chante différemment, et elle te touche sous un autre angle.
L’album se conclut par Pops, morceau absolument sublime, obligé de mettre tout le monde d’accord et de faire pleurer tous les fans, où, comme elle sait si bien le faire, elle chante des adieux de petit chevalier, bien droit dans son armure, prêt à mourir d’amour sans ciller. Et même là elle est différente. Seule au piano, la voix comme prise au dictaphone, c’est comme si on la retrouvait à la source mais mystérieusement changée, parce que personne ne retourne vraiment à la case départ, et surtout pas Angel Olsen.