Cauchemar au paradis
Je suis partie en Australie pour une tournée avec BCBG. J’en suis revenue avec le sentiment que j’étais une mauvaise fille. Une très mauvaise fille. J’ai dépassé les lois de ma propre morale, exploré mon côté obscur.
Peut-être est-ce dû à l’histoire de l’Australie et de ses bagnards exilés sur cette terre à l’autre bout du monde pour cause de prisons surpeuplées au Royaume-Uni. Toujours est-il que l’Australie est une folle aventure, pour peu que l’on soit sensible à l’appel du vice.
Les mecs y sont des créatures en cuir noir, à l’œil luisant. Ils glissent dans l’atmosphère, auréolés d’un son de synthétiseur qui te file la chair de poule. Des hiéroglyphes vivants, que tu ne peux déchiffrer, et surtout, des bad boys magnétiques.
Dans son roman « Piège Nuptial », Douglas Kennedy a écrit un polar inspiré de son périple dans l’outback australien, avec l’idée que l’on se construit son propre cul-de-sac. C’est un peu ça l’Australie, tout est possible, tout est facile, tout est à portée de main, et quelque part, tout ressemble à un piège…
« Excuse me, where is the party tonight ? »
Une rue, des rumeurs, la nuit, le danger. Tout a vraiment basculé au North Queensland, à Brisbane plus exactement. Cette région, c’est le bayou australien, sueur au front, chemises à fleurs et cocktails serrés dans des patios à la peinture qui s’écaille. Sur la route, le vent souffle un air tropical et les bushs pointent le bout de leurs nez. Dans la voiture, on me dit « tu vas voir, les gens ici sont fous ». Le paysage continue à défiler et j’ai un peu peur car j’entend déjà ce son de synthétiseur qui revient dans ma tête.
Les bushs exhalent une odeur de crime, et les arbres chantent une rumeur inquiétante.
Ils s’enflamment fréquemment l’été, comme pour expier le mal qui les habite. Le corps d’une Laura Palmer pourrait être retrouvé dans l’une de ces backyards en bois, à l’ombre des palmiers.
Il y a quelque chose pas bien net à Brisbane.
Après notre concert le soir, on rencontre plein de monde. Les filles proposent à mon pote Samuel de fumer de gros joints, les mecs viennent me parler, on est comme des bébé-chats dans une marmite à chocolat, des bambis au pays de la défonce. Ces gens sentent le souffre, on ne sait pas clairement quelles sont leurs intentions, mais on est attirés, magnétisés. Ils ont beaucoup moins de limites que toi, ce qui est à la fois inquiétant et libérateur, comme si tu courrais sur du sable mouvant.
Un roi se pose sur notre échiquier. Un mec de la Sunshine Coast s’extirpe de son groupe de potes pour venir nous parler. Au cours de mon périple, j’ai croisé la route de pas mal de mecs toujours plus no limit les uns que les autres, et allez savoir pourquoi : ils venaient tous la Sunshine Coast, la côte au-dessus de Brisbane. Comme si la quiétude des vagues de cette côte te donnait envie de salir un peu son nom. J’entends des histoires de lacs marécageux dans les alentours, des eaux dont on ne connaît pas la profondeur. Des histoires de requins aussi, qui dévorent les nageurs un peu trop zélés. Comme si le paysage se nourrissait de ses habitants de temps en temps.
Et puis il y a les histoires de dopes, celles qui finissent mal.
Le bad boy nous demande si l’on a des plans pour le weekend. Et avec mon accent français, je lui demande où est la fête…
Le lendemain, tout commence à la Ruche (à prononcer « la Wouche). Nous retrouvons le beau gosse et ses acolytes. Nous sommes peignés et apprêtés, ils disparaissent pour nous acheter à boire. J’ouvre mon porte-monnaie pour participer, mon amie me dit « You gotta let the men pay ». Une fille bourrée passe à notre table, une bouteille de champagne à la main. En fée un peu foutraque, elle arrache toutes les cigarettes de son paquet et les lance sur notre table, sous nos yeux ébahis. Le paquet coûte 25 dollars ici, on les regarde tomber comme le Saint Graal, après des jours d’abstinence. Puis nos gentlemen australiens reviennent avec des expressos martinis sur des plateaux dorés.
(le mieux serait un dessin des petits grains de café flottant dans un coupe d’expresso martini, car ces petits grains c’est nous perdus en Australie, mais bon si pas le temps, met rien)
On danse dans le bar, un mec essaie d’attraper une fille mais titube trop pour réussir à agripper sa manche. Il ressemble à un petit garçon vulnérable et vicieux. Je le regarde gesticuler dans l’air, il finit par s’asseoir dans un coin et regarder la faune du club, le regard vide. Pendant ce temps, nous sommes devenus trop ivres pour nous demander d’où vient le fric qui coule des poches de nos gentlemen. Ces cocktails, on l’a su après, ont été payés avec une carte de crédit volée. L’un des mecs l’a attrapé sur le comptoir et s’est dit que ce serait sympa d’offrir des verres à ces étrangers de passage à Brisbane. Ici, les clients vraiment bourrés lancent nonchalamment leur carte de crédit sur le comptoir et les barmen leur tapent sur l’épaule pour leur redonner. On peut d’ailleurs faire glisser une carte dans la fente de la machine sans avoir besoin du code. Je pourrais faire un parallèle avec ce que l’on nomme la culture du viol mais je m’arrêterai là. Ici, une fois que tu bois, tu es livrée à toi-même ici, personne ne va t’aider car tout le monde est bourré. Tu dois te fier à 100% à ton instinct de louve, être aux aguets, tout en sirotant nonchalamment ton cocktail.
Les gens autour commencent à faire des mélanges de valium et d’alcool, les barmen en costard secouent les cocktails et jonglent avec les coupes. Le piège se resserre sur nous.
Spirit of Tasmania
Goutelettes sur le hublot, l’avion rase l’eau et se pose dans l’air vivifiant de Hobart. Atteindre la Tasmanie, c’est comme d’atterrir au paradis. Le soleil suit la course de notre avion qui vole au-dessus des lagunes. Les rayons de lumière parcourent la surface de l’eau. Samuel s’éveille d’un sommeil lourd et observe le paysage silencieusement.
Tandis que le taxi longe d’immenses montagnes embrumées, ma copine Angie me dit « C’est la seule île en Australie qui ne compte plus d’aborigènes. Ils ont tous été exterminés ». Devant moi défilent des maisons blanches en bois, avec des petites cabanes à outils et des voitures sagement garées dans le brouillard des allées.
Tandis que la voiture avance, le son de synthétiseur déjà entendu revient, il surgit de derrière les montagnes pour arriver à mes oreilles. A ce stade du voyage, j’entend presque des murmures émaner des collines.
A 18h30 le dimanche, le happy hour est de mise au Brisbane Hotel. Tandis qu’un métalleux organise un loto dans le bar en bas, pas mal de gens y traînent pour cuver leur vin et jouer au billard. On m’apprend qu’un tribunal se tenait dans cet hôtel au début du siècle, et que l’on pendait les gens en face. Pour vous donner un peu plus la chair de poule, l’hôtel se trouve au coin d’une petite rue balayée par un vent glacial, devant une église sinistre, sous un ciel gris et torturé. Je tombe sur le promoteur de notre concert la veille, les yeux rouges et le visage boursouflé par l’alcool. Il revient d’un weekend sans sommeil. Il allait finir sa nuit au pub du coin et nous invite à le rejoindre. Un mineur bogan déblatère des absurdités qui en deviennent philosophiques. Un mec me demande mon numéro de chambre. Je répond 7 au lieu de 8, suspicieuse. Il me révèle qu’un fantôme traîne dans l’une des chambres à l’étage.
Ce soir-là, il y a la petite fille (moi) qui veut encore rester danser, et qui se retrouve au club où des meufs avec un tatouage d’aigle en bas du dos et un string rose rampent sur des mecs semi-conscients dans un coin de la piste, sous un éclairage fluorescent. Au rez-de-chaussée, des businessmen au col débraillé, cravate de côté et visages hagards hurlent des hymnes pop en se frottant à des femmes en poum poum shorts éméchées.
Isolés
« Il y a certains villages où tu croirais que les gens vont te tuer » me disait l’un des membres de Blank Realm.
On est un brin isolés, c’est le cas de le dire. On se sent loin de tout ici, perdus dans un territoire hostile, égarés dans un rêve.Je pense aux paroles de mon amie Kate à propos des australiens : « grandir dans un endroit si vaste, sans limites, a sûrement quelquechose à voir avec la façon dont on habite notre espace, y compris notre espace mental… Tu y ajoutes de l’expérimentation, une identité indéfinie (en terme d’histoire), et tu as des pistes pour nous comprendre. »
Le mec qui met du baume à lèvres se défonce le soir au Valium, la fille qui te sourit et avec qui tu pourrais être copine a de l’héro dans une poche et de la coke dans l’autre. Et pour peu que tu décides de ne pas rentrer à la maison tout de suite, tu te retrouves dans de beaux draps.
« Good girls don’t party until 7 am »
Melbourne, nuit blanche. Je marche avec des garçons dans le centre-ville, où le soleil se lève au-dessus des skyscrapers. Les mecs cherchent un dernier pub. J’ai décidé de passer la soirée comme le font les hommes australiens. J’avais envie de savoir ce que cela procurait, envie d’être des leurs, ou du moins la petite sœur. Ils m’ont emmenée partout. Je leur dis « I’m a good girl », l’un d’eux répond « Well, good girls don’t party until 7 am ».
Qu’est-ce que je fous là ? Et qu’est-ce que je recherche ? Comme eux désormais, je recherche le thrill, le high, le truc qui va faire virer les choses de bord. La piste de danse se brouillent sous mes yeux. Une autre voix résonne dans mon esprit.
Tu es l’une d’eux désormais, tu erres avec des substances dans le sang et tu croises le regard hagard d’hommes sur la piste de danse, ils tendent leurs bras, ne peuvent plus tenir debout. Tu te retournes dans le club vide, les hommes ont disparu, les spots de lumière balaient la piste, et les ventilateurs font bouger les cotillons, dans un silence de mort.
Pour aller plus loin dans le guet-apens :
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Wake in Fright, Ted Kotcheff
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Piège nuptial, Douglas Kennedy