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lundi, 02 juillet 2018

DARK POP PART 1 : QUAND CHRISTINA AGUILERA A DIT AU MONDE QU’IL POUVAIT ALLER SE FAIRE FOUTRE

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J’ai vécu mon adolescence au rythme des blondasses Disney. Des prépubères fringuée en top rose fluo et jean à lanières qui causaient des AVC à chaque pas sur le red carpet. De ces années vertigineuses, j’en garde clairement pas de vestiges. Pourtant je l’écoute encore, toute cette pop bubble gum, désœuvrement oblige. Mais tu pourras me raconter autant de choses que tu veux, de cette décennie, je ne garde qu’un disque.

Pour recontextualiser, l’époque pue la niaiserie sale. Les scènes underground de la girl culture ont été lessivées par l’industrie musicale. Des trentenaires gueulardes des 90s, il n’en restera rien. Ce qu’on veut, c’est du docile, du facile. Des gamines en jupettes et cheveux bien tressés, avec vue directe sur poitrine déjà bien formée. Not a girl, not yet a woman. Un terrain vague exploitable. Tout ce beau monde suffisamment malléable, manipulable, quitte à leur faire péter un boulard. Certaines nanas tiendront le choc, biberonnées au marketing dès leur plus jeune âge, enfant de la balle. Mais d’autres finiront par s’exhiber la boule à zéro, créant par là une bulle d’air pour quelques gros bides véreux de monnayer les drames psychologiques qui se trament, mettant en scène de la manière la plus crasse qui soit la descente aux enfers de ces gosses à coup de dope en intraveineuse.

C’est aussi l’époque où le trône de la queen se doit d’être vacant. La Ciccone a, semble-t-il, les articulations qui coincent. Qui pour la remplacer sur le devant de la scène ? On s’arrache la couronne par couv’ interposées, faisant poliment comprendre à Madonna que la sortie, c’est par ici. Le début d’une lente agonie d’age shaming. C’est que la vieillesse doit laisser place à la fraîcheur juvénile, embrayant par la même occaz’ le déclin de la plus grande pop star de ces vingt dernières années. Dès cet instant, Madonna passera le restant de sa carrière à courir après les tendances qu’elle inventait jadis. La femme artiste est dorénavant priée d’obéir. Et l’obéissance ne peut passer que par la jeunesse naïve des jeunes filles en fleurs. Les meufs à sunglasses qui glissaient négligemment du nez, osant rouler des yeux devant leurs producteurs paumés de voir autant d’outrecuidance à vouloir palper les dollz de leur succès. Ces femmes là, ouais, elles devaient définitivement disparaître, pour le bien de la sainte macro bite des maisons de disque.

On gardera pourtant la liberté de ton des songwriters de l’époque. La liberté d’assouvir ses désirs, mais toujours sous couvert de bleuette adolescente. Mais dans la bouche de nanas qui commencent à peine leurs règles, à l’intention d’autres gamines qui n’en pigeaient franchement pas plus, il y avait comme une étrangeté, surtout quand on sait que les titres étaient écrits à 99,99% par des hommes en âge d’être leur père. Oh oui frotte moi dans le bon sens pour voir le génie sortir de sa bouteille mais ce qu’une fille veut, ce dont une fille a besoin, c’est d’être dans les bras de son amoureux, bien évidemment sauveur incontesté de l’ennui de sa dame qui n’existe pas sans lui. Un retour dans le passé, à un peu à la Gainsbourg qui se plaisait à faire chanter une France Gall des plus pures qu’Annie, les pipes, ça l’ambiançait pas mal. Sauf que là, on ne peut se faire l’économie de la petite touche romantique. L’équilibre bancale entre des couilles qui veulent se vider et la tête qui réfléchit à ne pas braquer le puritanisme de l’Amérique. Mais c’était le prix à payer pour envoler les chiffres des cds 2 titres.

Stéréotypées à outrance (héritage des années girls band où chacune se doit d’avoir une identité claire pour happer la petite fille en construction de sa propre personnalité, la psychologie de pilier de bistrot du marketing est tellement fascinante), ces pop stars nouvelle génération sont de sages images de petites bourgeoises sur lesquelles on déverse les fantasmes libidineux. Mais que se passe-t-il lorsque l’une d’entre elle voit le manège qui se trame et décide qu’il est temps de tout envoyer chier?

Cas d’école : nous sommes en 2002 et Christina Aguilera vient d’enregistrer le manifeste ultime de ce que deviendra le féminisme pop, dans le plus grand des calmes.

Stripped n’est pas une claque. C’est un Dassault Mirage 2000 qu’on se prend en pleine gueule. La girl next door ayant grandi dans l’ombre d’une Britney Spears trop tout vient de mettre KO la Louisiane en même pas deux coups : alors qu’I’m a Slave for You est énième hit amoureux suave certes beaucoup plus poussif visuellement mais pas vraiment dans le fond, Aguilera sort de sa cage pour mettre en scène la féminité dans ce qu’elle a de plus violent et de plus dérangeant aux yeux de la société…et des hommes.

Adios la Lolita parfaite fantasmée par ces messieurs du marketing, Aguilera se déconstruit en même temps que ses jeans, ne laissant plus la place au moindre doute concernant la prise en charge de son avenir artistique. Son manager, Steve Kuntz, est prié d’aller se faire royalement foutre tandis qu’elle escalade la montagne de sa dépression, minée par ses années robotiques où fermer sa gueule était sa seule alternative.

« Allow me to introduce myself », entend-on dès les premières seconde de la chanson Stripped. « I want you to get to know me…the real me ». La ficelle est grosse et pas vraiment originale, on comprend clairement le step qui consiste à broyer tout le cirque marketing d’avant. Mais ce changement radical sera plus qu’un simple effet de manche. L’affranchissement de ces nouveaux codes qui, de toute manière, étaient voués à crever la bouche ouverte, offre de nouvelles perspectives. Outre l’aspect sexuel évident, Aguilera donne à voir une narration plurielle, où, titre après titre, elle incarne des personnalités diverses : la féminité revêt plusieurs visages et il est temps de les prendre en compte.

Le single Dirrty n’aura pas une renommée de dingue. Il atteindra d’ailleurs péniblement le n°48 des charts américains et passera très peu à la radio (une façon de boycotter une artiste féminine qui ose aller à l’encontre du mouvement général) mais à l’image, il arrache toutes les récompenses. Réalisé par David Lachapelle, le clip est un amas de sueur, de ring de boxe, de piercing, de motos, de mecs musclés, de nanas qui dansent quasi à poil dans l’eau et de masque de catch mexicain. Un truc con, absurde et violent, plus punk que le plus punk de tes copains. C’est qu’Aguilera est là, quand il s’agit de fouetter la flotte avec ses extensions ou de rentrer dans l’arêne pour casser des gueules. La femme n’est plus passive et l’action fait partie intégrante de sa nouvelle identité.

On dira beaucoup que Dirrty a un texte creux et il est vrai que sans le clip, il aurait été difficile de noter toute la transgression de la chose. Mais Fighter (hymne ultime pour se réveiller le matin avec une rage sans nom) ou encore Can’t Hold us Down (bo officiel de lutte contre le harcèlement de rue) montre toute l’étendue des thématiques abordées dans cet album, qui ne vend définitivement pas du sexe pour le plaisir de vendre du sexe. Même Get mine, get yours, qui a première vue, a l’air d’une énième chanson passe partout, place en vérité la femme en position d’égale à égale avec l’homme quand il s’agit de baiser. L’orgasme n’est plus un truc de mec et la population féminine a tout autant le droit de profiter sans aucune promesse d’amour à la con. On notera aussi Beautiful, la ballade qui nous fait toutes et tous chialer depuis quinze ans parce que l’acceptation de soi est toujours un truc à la fois beau et douloureux, et Walk Away, mantra self care quand il s’agit de se dégager d’une relation toxique.

Du côté des critiques, les retours sont mitigés. Les ventes sont plutôt passables mais rien de bien fou. L’album est quelque peu sombre, les textes d’Aguilera (oui car elle écrit en plus la bougresse) étant suffisamment personnels et engagés pour mettre à mal la fragilité des rédactions musicales de l’époque. David Browne, à Entertainment Weekly, traitera Aguilera de femme la plus vulgaire du monde. Une critique du Time dira, quant à elle, qu’elle a l’air dans le clip « d’être tout droit sortie d’une convention intergalactique de prostitués ». Sarah Michelle Gellar, dans un sketch du SNL, affublée d’un énorme faux cul en plastique et enduite de sueur pour bien marquer l’effet dirrty, se foutra ouvertement de sa gueule, faisant passer Aguilera pour une salope qui en veut toujours plus « Quand les gens vont voir ce clip, ils vont arrêter de me voir comme la blonde pétasse de l’industrie de la musique qui fait des bulles avec son chewing-gum… et ils vont commencer à me voir comme une pétasse, tout court. ». Sympa. Mais pour Peaches, le truc ne va pas assez loin : elle regrettera de ne pas voir sortir négligemment de sa culotte quelques poils de chatte. So close, Chris.

Bien évidemment, Aguilera, dans sa classe légendaire digne des divas de son rang (n’oublions pas qu’elle a aussi une voix), répondra à Blender, toute en douceur : « Quand tu es à l’aise, ouverte et audacieuse artistiquement, dans la musique comme dans la vidéo, il y aura toujours un tas de gens qui vont se sentir menacés par toi, particulièrement dans l’Amérique moyenne. Je suis en position de pouvoir, de contrôle. Je suis aux commandes de tout et tous ceux qui m’entourent. Selon moi, c’est au niveau d’audace que l’on mesure la valeur d’un vrai artiste. »

Et dire qu’en 2018, on continue encore de la mésestimer.

stenia

Stenia est née en 1987 et a une affection particulière pour ses chaussons chauffants. Passionnée de punk et de chanteuses gueulardes, on avait repéré son super boulot de journaliste sur twitter et on s'est permis de lui écrire un petit mail un peu suppliant (on a pas de face, kesstuveux). On est ravies que cette plume douée ait rejoint l'équipe, parce qu'on apprend toujours des trucs, et on les apprend de manière chouette, quand on lit les papelards de Stenia.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com