Y a cette idée tenace comme quoi, la pop, ce serait l’archétype du médiocre. L’impossibilité d’y intégrer une quelconque forme d’art, si ce n’est des références éparses digérées et vidées de leur substance histoire d’aller droit au but question signifié/signifiant. Une machine à fric, mainstream, qui déverse sa merde sur nos têtes, sans qu’on gueule sur le sujet.
En gros, il y aurait une dichotomie entre ce qui serait écoutable et ce qui ne le serait pas. Simple à articuler: si t’es un mec qui joue dans ta cave, c’est forcément un génie incompris, mais si la chanteuse se balade le cul à l’air, la stupidité et le manque de talent sont forcément de mise. La possibilité même d’une porosité entre ces deux mondes est tout bonnement impensable. Et si elle se heurte à la conscience de l’autre, elle devient forcément étrange, louche, parfois même contre-nature.
Rares sont les artistes à pouvoir se gargariser de toucher le grand public et d’être adoubé par la critique. Les années 90 et le début de la décennie 00 ont pourtant travaillé à ce mélange des genres. Les références artistiques de pointe sont pourtant visibles dans les clips vidéos de MTV. Des maîtres hollandais se tapant l’air de rien l’incruste sur des bande-sons vendant des millions d’albums. On tourne dans des musées, on filme négligemment des livres de Burroughs durant des compéts de pom pom girls. Mais au final, qu’est-ce qu’on s’en fout, parce que les films de pom pom girls, c’est de facto de la merde.
Pourtant, j’aime la pop culture. Mais pas pour les raisons les plus évidentes. J’aime la pop culture pour ce qu’elle a de crasseux et de faux. La nature humaine dans ce qu’il y a de plus rampant, prête à n’importe quoi du moment qu’elle brille à coup de strass. Cet espèce d’encadrement flat vendant à nos cerveaux du temps disponible pour coca-cola. Les artistes ouvertement dégueulasses, et puis celles et ceux qui le sont sans doute autant mais qui se donnent une bien belle jolie image de marque. Flatter le public, tout un art, au final.
Business is business. Mais on dira que c’est mon cynisme qui parle. Pourtant, au milieu de la gangrène, t’as quand même les petites lumières qui traverse les ténèbres. La pop culture n’est pas que cette construction anxiogène. Du moins, elle ne l’a pas été au début. Alors qu’aujourd’hui elle nous enferme, étiquetant soigneusement chacun de nos gestes pour en faire un miroir parfait, il fut un temps où elle se voulait libératrice.
Suffit de voir toutes ces icônes pop qui ont commencé au ras du carrelage. Là où zonaient les seringues et la dope des coins de rue. Madonna, c’est pas que de la blondasse qui souhaitait justifier son amour sur du black and white, Madonna, c’était aussi et surtout le New York en crise et les nightclubs underground branchouilles fin 70s. Ca s’entourait d’artistes maudits type Basquiat, quand ça jouait pas dans un obscur groupe punk auprès d’un certain Dan Gilroy, le futur réalisateur de Nightcall avec le très tendance Jake Gyllenhaal. Car Maddie, avant d’être la star que l’on connaît, elle était de celles et ceux où le sans le sou primait, avec la rage folle au bout des doigts: créer, dans tous les domaines possibles, quelque chose de sale et de virulent. Pour certains, ce sera la crache et le sang. Pour Madonna, le sexe le plus crasse qui soit. Chacun sa came dans la Grosse Pomme qui se pourrit de l’intérieur, du moment que ça tape vite et fort. Le tout sans escale vers les étoiles.
Marginale, la Ciccone n’a jamais été rose bonbon. Gosse paumée du Michigan, pur produit made in Detroit (vous avez, la ville qui s’écroule depuis des siècles), sans véritable talent si ce n’est celui d’exister. Telle un homme d’affaires, Maddie comprend le monde dans sa plus pure violence. Virginale destroy, elle arpentera le macadam en passant les étapes jusqu’à la gloriole comme un rital véreux. Pas de chanson à la lolita godiche sur sa feuille de route. Danseuse, actrice (a certain sacrifice, le fameux film qui aurait pu ruiner sa carrière, selon les dires des marketeux de chez Sherzo en 1987), elle était pourtant plus qu’une chatte à l’air.
In Bed with Madonna, son docu backstage affolera le festival de Cannes tandis que son Blond Ambition Tour deviendra la norme pour toutes les chanteuses pop pseudo transgressives qui pensent avoir inventé le show pyrotechnique et les soutifs en cornets. La critique Annalee Newitz dira que Madonna n’a pas donné une collection de chansons au monde mais une collection d’images.
Alors quand elle explose et devient la virgin touched for the very first time la plus célèbre d’Amérique, le passé est comme oublié. Pourtant, son ambition n’a rien à voir avec celle d’une écervelée, et ses rencontres, qu’elle veut toujours marquantes, ne rompent pas avec ses origines de punkette arty. Material Girl détraquée, elle est l’anti Marilyn, le cauchemar des hommes. Ils ont pourtant essayé de la façonner. Mais on ne touche pas à la Madonne sans y avoir été invité. Chanteuse aux qualités vocales inexistantes selon certains, elle n’est pas meilleure actrice pour autant. Mais quand elle rencontre Abel Ferrara, venant de signer le clip California de la Farmer, on se dit avec du recul qu’il y avait une certaine logique à la réunion de ces deux là.
Chaque step sera de son cru. Ses combats, ses idées, sa réinvention constante. Maddie est catastrophique quand il s’agit de causer. Mais, son image, son image…Maddie ne m’a pas appris qu’à danser sur Into the groove dans mon pantalon fuseau ère 90s. Elle m’a aussi appris que nous, les filles, n’appartenons surtout qu’à nous même.
Ca pourra toujours parler d’âmes vendues au grand capital, il n’empêche qu’il nous en faut, quand on y réfléchit bien. Sorte de passerelle vers quelque chose de plus extrême. Mais encore faut-il avoir les moyens d’entrer dans le temple sacré. Est-ce que le basculement punk de certains artistes vers le prisme de la téloche grand public a tué l’art et la pensée? Madonna, qu’on le veuille ou non, c’est l’esprit dégueu, toujours présent, tapis dans l’ombre, prête à jaillir violemment. Polir l’esprit contestataire? Au final, je préfère toujours un peu de cette énergie qui se retrouve là où on ne l’attend pas. Le freak n’est jamais loin. Quand l’underground gagne du terrain, il laissera forcément quelque chose sur son passage, même dans sa forme la plus pervertie. La pop culture, c’est ça. Même si on l’aligne à la table de l’industrie, elle arrivera quand même à grignoter deux trois choses au passage. La conscience que ça tourne mal. Et pour le coup, c’est plutôt pas mal.
Bien plus qu’une chatte à l’air. Qu’on ne s’y trompe pas.