Au départ, il y a Lucifer*, que je rencontre au What bar, à l’occasion d’un concert de rentrée des Carsick Cars, les sonic youth chinois, emmenés par le beau Shou Wang. Toutes guitares sorties, riffs nuageux, déferlante de distortions, pogo et open tuning à gogo. Il y a aussi Deadly Cradle Death, qui jouaient pour la première fois : électro bien sale, voix sortant des cavernes, le duo rappelle Sewn Leather, un autre taré que j’aime bien.
En sueur, je discute à l’extérieur. Lucifer m’interpelle. Il finit par me laisser son numéro, et me dit « si tu veux sortir, appelle moi », « ok, Lucifer, on se revoit en enfer » (oui c’est nul, mais bon, il a rigolé)
Le lendemain à Pékin, sous le ciel gris, je marche dans les rues de Gulou à la recherche d’une flûte pas chère. Je traîne dans un magasin de disques, et j’achète un best of de Hang on the box, le girl band phare de la Chine des années 90 (l’un des meilleurs groupes chinois selon moi). Finalement, il y a ce vendeur qui me fait tout écouter parce qu’il est super cool. J’achète aussi un cd de Dead J, électro minimale et magnifique au doux nom de « Psychadelic Elephant ». Depuis, son disque ne quitte plus…. mon ordi - aaah non, pas ma platine, en Chine, il n’y a que des cds. Pas encore de fabricants, mais au train où vont les choses, dans 5 ans, c’est la folie. Je tombe sur le disque du groupe de Lucifer. Merde, toutes leurs chansons parlent de « girls rock’n roll ». On dirait que pour chaque titre, ils changent juste rock et girls de place, en ajoutant un mot en plus, genre “cherry”…. le vieux rêve rock’n roll à la sauce sexiste. Je suis déçue, j’attendais un peu plus de lui avec un nom pareil. Ils veulent leur part du gâteau, mais toi, tu ne veux surtout pas te retrouver coincée dans la crème au chocolat. Je décide sur le champ d’être la bonne copine.
La scène musicale est à en perdre la tête. Elle est talentueuse, et diablement excitante. De nouveaux groupes pullulent tous les mois, voire toutes les semaines, très bons, certains copient trop les trucs no-wave new-yorkais, mais quelques formations « perles » jaillissent. Tout ce petit monde tourne autour du label Maybe Mars, fondé par un américain de New York (tiens tiens). Arrivé à Pékin début 2000, le mec a fondé un label, et ouvert un bar, là où tous les groupes de May-be Mars peuvent jouer : la scène a fait boom. Bon, les pds de la scène ne font pas vraiment leur coming out, et les musiciens doivent donner leurs cartes d’identité pour jouer dans les bars (même Lucifer doit donner son vrai nom, oui oui, finie la vie imaginaire remplie de “girls”), mais bon, j’apprend vite que tout le monde contourne absolument tout. Bon alors, je suis toujours rue Gulou, je commence à accumuler les cds, et c’est l’heure de manger. Dans le pays de la bouffe délirante, moi je ne saute un repas pour rien au monde. Certains méchants bandmates ont même déclaré que je me “précipitais” sur la nourriture, ce qui est complètement faux…. Après moultes tergiversions, je décide d’écrire à Lucifer, en bonne copine hein. Heureux hasard, il n’est pas loin. On se retrouve à l’angle de Gulou et Jiaodaokou Est. Au passage, j’ai dû tendre mon téléphone à un ado dans la rue, pour qu’il lui dise où j’étais exactement. Pour résumer, Pékin, c’est immense, personne parle anglais, d’où ce genre de situation complètement irréelle, dans laquelle on tend désespérément son téléphone à un ado boutonneux qui vous prend pour une folle : « Tiens, un appel pour toi ! si vas-y prend le ! oui prrrend le! ».Lucifer finit par me trouver. Sur le siège arrière de sa moto, ça y est, je m’accroche au kid de Pékin, et l’on fend le traffic. La moto c’est génial, on prend tout en pleine face, les odeurs, les musiques qui sortent des échoppes, et on cogite, tout en ayant peur pour sa peau….La seule fois que j’ai essayé d’apprendre, c’était sur des petites routes du Cambodge, et comme la conduite est un peu freestyle à la campagne, ça m’a fichue une énorme frousse, mais j’aimerais bien recommencer, histoire de me la péter…dans les embouteillages parisiens. On gare la moto. Je me retrouve à manger un agneau embroché, et à boire de la Tsintao avec de charmants inconnus. Lucifer disparaît pour acheter des bières et les autres m’emmènent au Mao (!). Je me retrouve dans un radio-crochet, et à la fin de chaque concert, une nana fardée façon petite sirène annonce les groupes, en faisant traîner le “xiexieee” qui veut dire “merci”.Il y a ce groupe dont j’ai oublié le nom, un girl band trop choupi. Je m’approche près de la scène, très émue, elles ont l’âge que j’avais quand je jouais dans Pussy Patrol. Lookées comme des japonaises, elles enchaînent de gros tubes punk entrecoupés d’éclatements de rire. J’étais tout devant, avant d’être repoussée par leurs copains qui ont commencé un pogo endiablé, juste pour leurs meufs, qui étaient sur scène….Dis donc, on n’avait pas ça dans Pussy Patrol. A SUIVRE… * Souvent, les chinois s’appellent par un nom anglophone pour faciliter la prononciation aux étrangers. j’ai donc rencontré une Stella, une Lotus, etc…