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samedi, 20 juillet 2013

DOUR DOUR D’ÊTRE UN BÉBÉ

Par
illustration

J’avais passé toute l’année à bosser dans un open space entourée de collègues avec un potentiel de fun proche du zéro. Autant dire que j’attendais mes deux petites semaines de rtt comme le messie (le genre de messie qui te flingue un peu le foie et te laisse des trous dans la tête, mais bon chacun sa route hein). Quand j’ai senti que mes potes allaient me faire faux bon, j’ai d’abord pensé à me faire rembourser le prix du billet, et réinvestir dans d’autres vacances que je ne passerais pas seule comme une pauvre fille. C’était bien naïf de ma part et quand j’ai lu les conditions générales de vente, j’ai compris que j’étais un super pigeon et que je pouvais me foutre les tunes dans le cul. BIEN PROFOND OUAIS. Ça m’a mise dans une colère monstre et c’est à ce moment là que je me suis dit : « Qu’ils aillent tous se faire foutre, c’est mes vacances, j’ai toujours rêvé d’aller en festoche, ben j’irai quand même !!!! » Toute cette organisation foireuse avait réveillé mon côté enragée et fait passer à la trappe mes petites peurs de gonzesse. J’ai eu droit à quelques conseils genre penser à prendre une grande bouteille d’eau et des lingettes démaquillantes, bizarrement je sentais mes potes plus inquiets que moi.

JOUR 1

J’ai commencé à flipper le jour du départ en attendant le bus. C’était triste de voir toutes ces bandes de potes fumer des joints à 8h du mat’ en ricanant bêtement, j’ai même eu l’espoir stupide de voir débouler mon ami au dernier moment, mais bon ça n’arrive qu’au cinéma. Fallait que j’entame la phase de socialisation, je m’y suis mise dès qu’on est arrivés sur le site (ma voisine de bus m’inspirait moyen). Ça a donné lieu à des embryons de conversation assez pitoyables. J’avais juste l’air d’une meuf désespérée en fait. Le miracle a pourtant eu lieu quelques mètres plus loin juste avant l’endroit où on te file ton super bracelet de teuffeur (celui que tu gardes un an pour crâner). J’ai littéralement bugué sur la tête d’un type que j’étais sûre de connaître, et qui était en fait un pote de ma cousine, un étudiant infirmier que j’ai dû voir deux fois dans ma vie, bref pas du tout le genre de mec que j’imaginais croiser là bas mais bon j’ai pas trop fait la fine bouche, son pote et lui étaient ok pour que je passe le festival avec eux, ça me suffisait amplement. On a installé nos tentes, l’herbe était super verte, grand soleil et tout alors j’ai sauté dans mon mini short, roulé un gros bédo et quand je l’ai allumé j’ai pensé « la roue tourne, bande de gros nazes » j’avais même l’impression que le pote du pote de ma cousine (on va l’appeler numéro 2 ça sera plus simple pour la suite) me draguouillait. Ce mec avait la crète la plus chouette que j’ai jamais vue et c’est le genre de truc qui me rend un peu dingo. J’étais dans l’euphorie de la découverte et je trouvais que tout était super : les stands qui vendent des trucs de rasta, les gens avec des dégaines pas possible, la taille des différentes scènes, le stand Jack Daniels avec ses canettes de whisky coca et le stand Marlboro juste à côté, la dinguerie quoi. Premières bières et premiers concerts, bonne ambiance, je me rends compte que les mecs sont super chauds pour pécho des trucs, surtout l’infirmier. J’ai toujours trouvé ça hallucinant ces gens propres sur eux qui ne fument pas d’herbe mais qui sont tout fou-fous à l’idée de se blinder de mdma. Perso je n’avais pas trop réfléchi à cette question là avant de partir et j’ai décidé que j’aviserais le moment venu. Le moment est venu assez vite, je ne sais plus exactement comment, mais je me suis retrouvée à prendre du speed, vraiment pas beaucoup parce que je connaissais pas mais c’était plutôt cool. Bon après ça j’ai perdu les mecs et il s’est mis à tomber des cordes non stop. Trempée comme une soupe j’ai zoné pendant une bonne heure dans le camping, à la recherche de ma tente, en me disant qu’au pire j’irais me poser au stand Heineken et que je la retrouverais le lendemain, tranquille. Finalement je l’ai retrouvée toute seule comme une grande.

JOUR 2

En ouvrant les yeux, la jolie herbe toute verte et moelleuse n’était plus qu’un lointain souvenir, le sol avait muté en une immense plaque de boue toute fraîche. On le savait pas encore mais regarder l’évolution du sol allait nous occuper jusqu’au lundi matin. La pluie revenait faire des petits coucous par intermittence. J’ai tenté de faire un pogo mais les gars qui pogottent à Dour sont pas vraiment des poids plume, et après m’être pris quelques bons coups et un type de 80 kg qui pense que je peux vraiment le porter pendant son slam, j’ai lâché l’affaire, personne n’a envie de mourir piétiné. On s’est fait potes avec des belges de Dour super sympas et avec une petite troupe de Bruxelles très fêtards qui nous ont filé de la md avant qu’on aille danser comme des cinglés sur de la grosse drum bass bien énervée. J’ai jamais autant souri en dansant de ma vie et j’aurais voulu que le son ne s’arrête jamais. De temps en temps je jetais des regards autour de moi, pour rendre compte de toute cette foule en train de danser et de suer sous les projos, c’était hallucinant de réaliser que j’étais dedans aussi. À la fin du set on est rentrés au camping, le temps était toujours bien humide et dégueulasse, les mecs m’ont proposé de dormir avec eux. Peut-être qu’ils avaient pitié que j’ai pas de matelas, en tous cas j’ai tout de suite accepté. Je « dormais » au milieu, et j’en ai lâchement profité pour mettre en place une tentative d’approche auprès de numéro 2 qui ne s’est pas fait prier longtemps. Par politesse pour le petit infirmier (quand j’y repense je me dis qu’il ne dormait pas non plus et qu’on a dû bien lui foutre les boules), on est partis dans ma tente. Cette partie de sex s’est avérée plutôt pitoyable et en même temps très drôle. Tout d’abord parce que ce mec avait le pénis le plus petit que j’ai jamais vu, ça m’a carrément fait de la peine pour lui (je suis désolée si t’es en train de lire mec) mais qu’en plus, cerise sur le gâteau, ce tout petit zizi était surmonté d’un beau piercing, genre une barre qui traverse le gland avec des boules de chaque côté. Du coup j’ai joué avec ce truc absurde en posant plein de questions sur les motivations qui l’ont poussé à payer quelqu’un pour qu’il lui installe un truc pareil sur les parties intimes. J’ai pas compris mais j’étais morte de rire quand il m’a dit que son pote était pas au courant et que ça serait cool que je garde ça pour moi. Boys will be boys.

JOUR 3

C’était la plus grosse journée du festoche et on l’a bien ressenti en arrivant sur le site. Y’avait facilement trois fois plus de monde que les jours précédents, exit les petites familles mignonnes, tu sens direct que les gens qui sont venus vont inévitablement se transformer en méga shlag à un moment ou à un autre. L’air est électrique, malgré les averses torrentielles des gens dansent avec ou sans K-way, personne n’en a rien à foutre de la pluie, c’est pas ça qui va gâcher le spectacle. La boue est partout, impossible de pas en avoir sur les fringues, dans les cheveux, elle arrive à s’immiscer dans les endroits les plus improbables. On a même essayé de classer la boue selon différentes catégories : celle super liquide qui ressemble à de la pâte à gâteau (et qui cache souvent de gros trous, BEWARE), celle un poil plus consistante, peut-être la pire car très très glissante et ainsi de suite jusqu’à la grosse boue effet « sable mouvant » qui retient tes godasses au sol quand tu essayes d’avancer. Maintenant il faut juste imaginer des milliers de personnes en train de galérer à progresser dans ce par terre hostile, par petits groupes, chaque pas accompagné de bruits de succion et de « floc floc ». La nuit des morts vivants IRL. Ah et j’ai failli oublier de préciser que cette boue dégage une forte odeur de lisier de cochon.

Marcher dans la boue au festival de Dour

Dour Experience - Dour, la Gadour

(deux petites compiles spéciales boue) Le décor est à peu près planté, il fait nuit, entre deux concerts on avait rencard dans la zone un peu chill du festoche. Nos potes belges tardaient à pointer le bout de leur nez, et numéros 1 et 2 voulait à tout prix choper de la md, et vu que je comptais pas trop cotiser ils me tapaient un peu sur les nerfs. Je ne pense pas que tu puisses être à court de drogues dans un endroit pareil, car la petite meuf qui venait de s’asseoir sur le banc en face de nous a sorti une boîte et s’est envoyé un super rail dans le nez. Tranquille. Les mecs lui ont pris un gramme qu’on s’est enfilé comme des connards. C’est là que c’est devenu un peu plus glauque. Numéro 2 est parti aux toilettes et en est revenu très pâle, l’air déconfit, on aurait dit qu’il avait 5 ans et qu’il avait croisé un exhibitionniste sur sa route. Il nous a dit qu’il retournait à la tente se poser un peu. Sur le coup ça nous a fait rire, nous on est allés danser jusqu’à la fin des concerts. On est rentrés avec tout le monde, et ça faisait comme une grande file de bétail dopé, les yeux grands ouverts mais l’air hagard. On a parlé tout le long, numéro 1 essuyait une vraie diarrhée verbale et je me rappelle qu’il avait des petits spasmes aux yeux et à la bouche ; je me suis dit que je devais avoir la même tête mais j’ai vite pensé à autre chose. On parlait vite, fallait débiter les mots dans une drôle d’urgence, on aurait bien aimé que ça finisse plus tard, la musique et les néons.

En arrivant à la tente on a été soulagés de voir que numéro 2 était requinqué et qu’il papotait avec Paul, un autre festivalier. On a un peu déconné tous les quatre, mais on a aussi commencé à parler de trucs super badant, dont l’histoire d’un gars qui s’est fait violé la veille et qui s’est réveillé avec une pomme dans le cul (ou la joie des incidents qui arrivent pendant un festival)… Je pense qu’à ce moment là j’avais déjà entamé ma descente de md, et c’est pile à ce moment que numéro 2 a eu la gentillesse de me mettre dans la confidence : « Je voulais pas vous faire flipper mais le mec qu’on a vu jeudi sur la civière, il a fait une overdose, il est mort. » Cette phrase a marqué le début d’une longue phase de paranoïa apocalyptique. J’étais tétanisée, ça devait pas trop se voir car Paul est parti se coucher et numéro 1 a décidé de dormir dans ma tente pour que je puisse dormir avec numéro 2 (un beau geste d’ailleurs, cimer). Mais j’étais incapable de dormir, numéro 2 était incapable de baiser (tu me diras, moi non plus hein), mais il a réussi à s’endormir assez vite, enfin ça m’a semblé rapide. Pour ma part j’ai passé les 3 heures d’après la main sur la carotide a essayé de choper mon pouls, à taper une super tachycardie, je ne pouvais rien faire. J’osais même plus sortir de la tente, je me suis vue crever pendant 3 heures, j’entendais des bruits de bottes et de talkie dehors, la pluie et les gens ivres et je revoyais la figure de ce gosse le jeudi, j’avais cru qu’il était en coma éthylique et ce garçon était mort. C’était HOR-RIBLE. Je me sentais sale et conne d’être partie comme ça, que faisaient-ils mes potes restés en France pendant que j’étais au fond du trou, hein VOUS ÉTIEZ OU PUTAIN ?? J’ai réveillé numéro 2 aussi à un moment, j’avais peur qu’il meure aussi. J’ai hésité à rouler un joint pour me calmer mais ça me faisait flipper aussi, j’aurais juste voulu me rouler en boule et qu’un animal gentil me fasse un super câlin. J’ai dû m’endormir un peu après 9h.

JOUR 4

Également appelée journée de la ramasse. J’étais vivante quand j’ai ouvert les yeux et rien que ça c’était pas mal. Je suis allée prendre une douche, me laver les cheveux et sans doute par extension me laver de toutes ces conneries qui m’avaient amenée là. Parce qu’entre deux spasmes d’agonie, les idées n’avaient cessé de tourner dans ma tête et que j’en étais arrivée à la conclusion qu’aucune drogue, si merveilleuse puisse-t-elle être, ne méritait d’être prise si elle provoquait de tels effets. Ça m’a foutu un coup d’en arriver là, j’avais l’impression d’être mes parents mais sérieusement la nuit que j’avais encaissé m’a bien refroidie quant à la chimie des paradis artificiels. Les douches étaient inondées, fallait marcher sur des palettes industrielles pour y accéder (encore un coup de la boue) et je pensais encore à ça en revenant à la tente, les mecs étaient pas non plus en grande forme mais aucun de nous n’a voulu reconnaître pourquoi, on n’a pas trop parlé de la veille. Ils sont partis aux concerts avant moi, j’étais un peu écœurée. Je me suis juré de ne plus toucher à ces putains de drogues de synthèse et je suis partie aux concerts. Je pensais vivre cette dernière soirée de façon clean et ne pas tomber dans le panneau.

Arrivée sur place, je n’ai bien évidemment pas retrouvé les mecs. Je me suis calée dans la scène rap, c’était pas mal. Un bouchon de bouteille plastique a roulé sous mes pieds et je l’ai ramassé machinalement pour le rendre au type qui venait de le perdre. J’ai lu dans ses yeux que c’était la meilleure nouvelle de l’année que j’aie retrouvé ce truc, il m’a fait boire dans son 1,5 litre de Ricard pour me remercier. On s’est rendus compte au même moment qu’on s’était déjà vus les autres soirs, il faisait partie de la petite clique de Bruxelles. On a continué de danser, boire et fumer ensemble et on est partis retrouver les mecs. Bon timing, ça m’a remis du baume au cœur qu’on se rejoigne tous si facilement. Le mec avait toujours sa bouteille de pastis dans la main, à un moment il a hésité à la laisser quelque part. Je me suis dit que son foie en avait marre d’encaisser tout ça, ça m’a pas étonnée. Mais finalement il l’a gardée (et ça ne m’a pas plus étonnée). On était sur la scène en plein air pour le dernier concert et le mec avec sa bouteille commençait à insinuer des trucs bizarres. Il a fait boire les mecs dans sa bouteille avant de la faire tourner à n’importe qui dans le public. Il s’est penché vers moi pour me dire que c’était la dernière des conneries de boire comme ça dans des bouteilles en festival, on sait jamais vraiment ce qu’il y a DANS la bouteille.

Ma parano a fait tilt. « Putain mais y’a de la md dans ta bouteille?!! » Il a essayé de m’embobiner et comme je suis un peu naïve ça a failli prendre, mais j’ai senti que c’était trop tard, la drogue montait déjà, le son allait être fou et j’allais plus pouvoir m’empêcher de danser dessus. Cet abruti venait de me faire prendre de la merde pile le mauvais jour. Je lui ai tapé un scandale, lui ai raconté mon bad trip de la veille et ma décision de ne plus toucher à cette putain de md diabolique. Il a cru que c’était le bon moment pour me draguer « oh mais je voulais pas que tu t’énerves, puis t’es trop mignonne, t’es là, tu danses, tu sors des pépitos de ta banane, tu manges en dansant puis tu roules des joints super vite dans la fosse…blablabla ». Mais ça passait vraiment pas, je l’ai traité de gros con en lui faisant comprendre que droguer des gens à leur insu c’était vraiment loin d’être chouette ou cool. À la fin il a reconnu que c’était nul de sa part, et qu’il ne recommencerait plus mais je me suis cassée quand même. Les mecs sont partis avec moi par solidarité, c’était la dernière fois qu’on faisait le trajet jusqu’au camping. Le sol était un vrai désastre, les ballots de paille censés absorber la boue s’étaient fait aspirer. Mon pied droit s’est pris dans un trou et la moitié de ma jambe s’est retrouvée happée dans une crevasse dégueulasse. Au moins j’ai évité de finir comme lui : (le champion de la boue)

Zboubi et la boue (Dour Festival 2012)

Aux endroits bien glissants, les gens se tenaient par groupes et attendaient les chutes des plus shlags. Je peux vous dire qu’il y en a eu de très belles, mais j’ai pas trouvé de vidéos sur Youtube. Vous aviez qu’à venir.

Déchetterie

JOUR 5 (une petite ballade à Armageddon)

La vidéo au dessus n’est pas truquée, le camping était dans un état infâme le lundi matin. Les vrais narvalos du festoche se servent de leur pied de parasol comme javelot et visent leur tente (ou ce qu’il en reste) avec. Je me réveille donc dans un monde où les seuls survivants sont soit des espèces de Beavis et Butthead qui brûlent leur tentes en ricanant (true story), soit des pimbêches qui pleurnichent à cause de leur brushing « non mais j’en peuuuuux plus de la boue, t’as vu mes ongles??!! ». Bref, il était grand temps de plier bagage et de rentrer à Paname. J’ai dit adieu à mes potes de circonstances, je ne pense pas qu’on se revoie un jour mais merci les gars, je crois que sans vous je serai pas restée jusqu’au bout.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com