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mardi, 29 janvier 2019

Éloge de la banalité

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Je me suis souvenue tout à l’heure d’un truc que j’ai lu, plus jeune. C’était le genre de livre de développement personnel pour adolescentes qui te donne des conseils pour ta peau et tes cheveux et te dit comment attirer les garçons. C’est à vomir, mais à quatorze ans, je ne le savais pas. Du coup, j’avais ce bouquin que m’avait offert ma copine Perrine que je vénérais parce qu’elle était française et blanche et qu’elle avait plein de choses que je n’avais pas (comme des vêtements de marque et des cheveux lisses).

Ce livre, c’était un peu ma bible. Je me souviens encore de sa couverture jaune et du ton moralisateur mais compatissant de ce qui y était écrit. Et il y avait cette page qui disait qu’il fallait être comme une violette au parfum subtil, sur laquelle un jour le Prince (ou le Garçon Au T-shirt Von Dutch, dans la version de l’époque) se pencherait et réaliserait sa valeur. Il ne fallait pas être une de ces fleurs odorantes, tape-à-l’oeil, non, plutôt une discrète, une que personne ne remarque mais qui, au fond, est la femme idéale pour le Prince de conte de fées. Il fallait attendre, passive, qu’Il nous remarque. Qu’Il nous chérisse. Qu’Il voit en nous ce que personne n’a vu auparavant.

Ca m’allait très bien, a moi la binoclarde, l’intello, celle que les garçons ne regardaient pas. Je me complaisais dans l’idée qu’un jour, un Garçon Exceptionnel verrait en moi ce que, pour l’instant, moi-même je ne voyais pas très bien. Il adorerait ce que je détestais, mon corps, ma sensibilité envahissante, mon décalage, et me permettrait de l’accepter. Son amour me sauverait de mon estime de moi qui avoisinait le niveau zéro. Enfin, je prouverais au monde que moi aussi, j’étais baisable, que moi aussi, on pouvait m’aimer. Bon. Ce n’est jamais arrivé. A la place, je suis devenue gouine.

Mais c’est terrible comme ce mythe continue à instiller son poison dans le regard que je porte sur moi, dans ce que je recherche dans mes relations, à quel point ça impacte ma créativité aussi. Je me vois encore comme cette insignifiante meuf qui, un jour, prouvera sa valeur au monde et fera un gros fuck general. J’aspire encore maladivement à être valorisée, à être exceptionnelle. Je veux qu’on me dise que je suis la plus belle, la plus intéressante, celle qui dit pas un mot aux soirées mais qu’on découvre un jour et dont on tombe fou.folle amoureux.se. Je veux écrire un best-seller, être admirée par le monde entier, faire des plateaux télé ou je serai tellement radicale qu’on me jettera dehors. Je serais l’idole de la prochaine génération, qui irait brûler des commissariats en scandant mon nom.

Et ca me bloque complètement. Depuis des mois je n’arrive plus à écrire. J’ai une idée, quelque chose que j’aimerais partager, et je me dis que ca vaut le coup de mettre des mots, parce que j’ai envie, parce que ça m’inspire. Puis je me mets devant ma feuille et les voix surgissent. Tu crois que t’es originale? Des personnes qui ont écrit la-dessus il y en a deja des milliers c’est sur, c’est pas ton pauvre texte qui va changer le monde - et puis ça sera probablement pas terrible, meme si on te dira que c’est bien pour te faire plaisir. De toutes les façons, tu sais seulement écrire des poèmes de rupture niais avec une morale à la con a la fin. Je ponds trois lignes, puis je ferme le document, je jette la feuille dans un coin, et c’est fini. Je ne serai jamais une écrivaine à succès, et mes poèmes à la con, jetés à la poubelle, ne feront jamais un best-seller.

Alors honnêtement, j’emmerde les violettes. Je ne veux pas être exceptionnelle, et peut-être que je le suis déjà, qu’il faut juste que je m’en convainque et que je passe a autre chose. Je ne veux pas attendre l’approbation de l’équivalent.e queer du Garçon Von Dutch. Je ne veux plus me retrouver coincée dans des dynamiques relationnelles pourries a la recherche d’une forme de validation, je ne veux plus qu’on me prouve des choses que je devrais pouvoir m’apporter moi-même.

Je veux me permettre d’écrire, même des trucs pas originaux, même des trucs pas terribles. Je veux savoir que je vais pas changer le monde et y aller quand même. Que probablement je ferai pas une grande différence. Mais que j’ai le droit d’être la. Je veux avoir le droit à être moyenne, à me tromper, et quand t’es une meuf racisée en vrai c’est pas le premier truc qu’on te dit sur la vie. Le droit d’être là il te faut le gagner, le prouver au monde, c’est ce que t’as dit ta maman, et en vérité, le monde, il était pas prepare a te voir débarquer. On m’a appris a être là ou on ne m’attend pas.

Que l’univers se prepare a voir débarquer la moyenne, la banale, celle qui se donne le luxe d’exister sans être la meilleure. Attention, que je sois claire: ça ne te dispense pas de me dire que je suis la plus canon, la plus badass du quartier - le côté princesse vient dans le lot, déso il fallait pas dater une fem - mais cette fois ca sera pour de faux. Je vais me trouver exceptionnelle comme je suis, toute seule, sans l’aide de personne. Exceptionnelle quand je me trompe, quand je me mets a chialer au milieu d’une soirée. Quand j’arrive pas a écrire depuis des mois, quand je me fais larguer. C’est la revanche de la violette sur l’hétéropatriarcat. Le Garçon Exceptionnel peut aller crever.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com