J’ai décidé de mener une expérience. Dans ce but, il me fallait me mettre dans la peau d’un pauvre type, seul, pathétique et qui en veut à la terre entière. Enfin surtout la population féminine de la planète.
En ce sens, j’ai lancé l’album Ye de Kanye West. Sur la pochette, un paysage de montagne en arrière-plan, on peut lire « I hate being Bi-polar It’s awesome », histoire de me mettre d’humeur introspective. En effet, j’allais avoir besoin d’aller puiser au fond de moi, retrouver celle que j’étais, celle que je fuis depuis plusieurs années, celle que je ne veux plus jamais être : une dépressive pessimiste.
Soyons clairs, je n’ai rien contre les dépressifs, je le suis et je le serai sans doute toute ma vie. Oui mais voilà, je suis en analyse, depuis bientôt 4 ans. Et l’analyse, si ça te déculpabilise, ça te responsabilise également, alors j’en ai fini (ou presque) de cette colère intérieure, d’en vouloir à la terre entière pour la vie que le mène et toutes les merdes que je dois supporter et traverser.
J’avais lu Houellebecq après qu’un mec avec un joli sourire, un cerveau intéressant et un sexe imposant et délicieux m’en ait parlée. J’avais déjà été tentée, mais étant de gauche et féministe, je m’y étais refusée. Il m’a conseillée de lire « Extension du domaine de la lutte » si je devais n’en lire qu’un, ce que j’ai fait les deux jours suivants notre rencontre.
Donc, j’ai lu Houellebecq et j’ai eu envie de voir si une autrice pouvait être qualifiée de génie en étant aussi pathétique et misandre. Je n’ai pas la réponse, je ne sais même pas si je suis capable d’être aussi plaintive et déprimante que lui, ni même d’arriver à la hauteur de son écriture.
Nous sommes samedi soir, j’ai 32 ans, une jolie gueule, des seins plutôt magnifiques et le reste d’un corps ni tout à fait bien, ni tout à fait repoussant, dans ce monde patriarcal qui voudrait que la femme soit une poupée dont les mensurations avoisinent le 90/60/90.
Je crois que mon principal défaut physique est ma taille. Voilà, je mesure 1,44 mètres. Et si c’est toujours moins gênant pour une femme que pour un homme, cela ne me protège pas de tout rejet. Ma taille a déjà été un problème et le sera encore.
Et puis peser presque 70 kg quand on fait ma taille ça ne doit pas aider. Un homme m’a dit un jour dans un chat d’appli rencontre que je mentais sur la marchandise car j’avais l’air mince sur mes photos – ce à quoi j’ai répondu qu’il aurait dû mettre la photo numéro 3 en avant, il y était moche et ça reflétait mieux la réalité. Un flic m’a quant à lui qualifiée de « plutôt forte » dans une déposition.
Il est donc possible que je me voie moins imposante que je ne le sois.
Pour autant, il y a aussi des hommes qui me trouve « sex », qui pensent que rien n’est choquant car proportionné.
Et puis de toutes façons, j’ai jamais eu de problème à trouver un mec pour baiser malgré cette accumulation d’imperfections physiques.
Malgré cela, nous sommes un samedi soir d’hiver à Paris et je suis seule alors que j’ai incroyablement envie de baiser et de me faire câliner devant un film d’horreur.
J’ai tendance à penser qu’une femme peut toujours trouver un partenaire sexuel, n’importe quelle femme, même la plus repoussante d’après les canons de beauté de notre chère société dirigée par les hommes blancs. Ce n’est pas notre faute si les hommes sont obsédés par le coït ou l’idée de se faire sucer gratos plutôt que d’aller voir une professionnelle. Ils nous facilitent la tâche.
Néanmoins, la tache se complique dès lors le partenaire dégoté. Ainsi, s’il est donc aisé de se trouver un partenaire sexuel, il est bien plus compliqué de trouver un mec qui sache user de son engin, de sa langue et encore moins situer le clitoris.
Ce n’est pas faute de les marteler avec ce mot, mais ils ont d’une part peur de l’anatomie féminine, de ce que Freud qualifie de vide, mais ils sont surtout obsédés par leur pénis. Combien préféreraient perdre une jambe, un bras ou la vue plutôt que leurs érections ? Combien préfèreraient se faire sectionner un doigt plutôt qu’avoir recours à une vasectomie afin d’éviter à madame l’intoxication aux hormones ?
Ainsi, l’obsession du pénis me semble expliquer en grande partie l’incapacité de bon nombre d’hommes à nous faire jouir. Et cette obsession s’illustre de diverses façons.
Connaissez-vous par exemple ces hommes qui se baisent eux-mêmes - ils sont à mes yeux les pires. Convaincus d’être les coups du siècle, ils puisent leur pratique sexuelle dans le porno et pensent que les sucer ou nous faire limer en levrette est une garantie pour un orgasme du tonnerre. Seulement, ils sont bien souvent les seuls à jouir, pendant qu’on attend la fin ou qu’on prétexte une fatigue soudaine ou une migraine. Ceux-là veulent souvent me revoir, mais j’ai décidé de ne pas faire de pédagogie sexuelle à des cas désespérés.
Il existe également, mais chaque homme peut également cumuler plusieurs caractéristiques, les effrayés du cunnilingus. Souvent très friands de fellation, ces messieurs détestent descendre à la cave. La médaille d’or va à cet homme qui m’a dit que la cyprine c’était trop intime pour qu’il lèche toutes ses partenaires sexuelles. « Vous les femmes vous pouvez ne pas avaler mais nous on goute automatiquement votre cyprine. » Il est vrai qu’en dehors de l’éjaculation, les hommes ne produisent aucune sécrétion qui peut s’introduire dans notre bouche au cours d’une pipe.
Je critique ces hommes alors que je ne suis même pas friande du cunnilingus. Je préfère de loin l’orgasme par pénétration – alerte distinguo orgasme vaginal vs par pénétration, mais ceci est une autre histoire. Pour autant, mes principes féministes d’égalitarisme me poussent à apprécier davantage un homme qui propose de me lécher même si je lui avoue rapidement qu’il n’est pas obligé.
Soudain me revient l’expérience au cours de laquelle cet homme qui après m’avoir demandée « do you like anal ? » - Seule relation sexuelle en anglais - m’a empêchée par tous les moyens de me taper une amazone afin de me permettre un minimum de sensations. La chose devait le dégouter, lui donner l’impression d’être la femme. Quelle horreur cela doit être d’être une femme !
Ainsi, les hommes, tout occupés à penser à leur pénis, ne pensent que rarement à combler notre vide – alerte Freud - et à provoquer une jouissance. Et nous les femmes, devrions être prêtes à les prendre en bouche, subir une levrette qui souvent fait mal ou aucune sensation ou une éjaculation faciale pour contenter ces messieurs, élevés avec l’idée que leur satisfaction est prioritaire.
Les mauvais coups c’est une chose, on s’en remet et il y a des exceptions qui nous filent quelques orgasmes. Les pires sont finalement les hommes qui, tellement obsédés par leur sexe, pensent que leur érection justifie d’insister pour que l’on couche avec eux. Cela se termine parfois en concluant que nous les femmes on n’est pas fun, ou pas un « tu es stressée c’est pour ça ». Parfois ça se termine en agression violente, avec des coups et des cris. Et puis parfois il y a la zone grise. Celle où après avoir dit non un certain nombre de fois, serré les cuisses, on finit par céder et se donner telles des vaginettes pour être débarrassées au plus vite de ces gros lourdeaux qui ne réaliseront parfois jamais qu’ils sont des agresseurs sexuels.
Ainsi donc, samedi soir, Paris intra-muros, arrondissement à un chiffre, et aucun amant à disposition.
Le fait est que je n’ai pas envie du premier venu, plutôt d’un mec que j’aurais choisi. Ou autrement dit, d’un type qui ne voudra pas de moi ou juste me baiser puis ne jamais me rappeler parce que finalement il a pas eu le feeling, tu comprends.
Voyez-vous, le nœud du problème c’est qu’alors que, du haut de mes 32 ans et de mon mètre quarante-quatre et bien que je ne sois pas moche - même si quasi naine, pas conne du tout - même si de gauche, les hommes ne me rappellent pas.
Je suis victime d’une multitude de ghosting que j’ai cessé de compter. Une grosse victime d’absence de feeling, de blocage entre mon ascenceur et la sortie de l’immeuble, de « c’est pas toi c’est moi », de « je sais pas si je peux gérer ce nouveau taf et notre rencontre inattendue », d’un emploi du temps de ministre. Enfin vous voyez, quoi.
Et vous voulez savoir pourquoi ? Mon plus gros défaut, au-delà de ce physique somme toute moyen, au-delà du mensonge sur la marchandise et donc de la déception de ces messieurs qui étaient pourtant prêts à tout donner pour m’aimer : JE SUIS UNE MEUF NEEDY.
Je suis démasquée. Malgré ma tête bien remplie, malgré les innombrables conseils et témoignages sur la question, je ne sais pas cacher cette irrépressible envie de ne plus être seule, cette obsession du couple. J’ai beau la jouer cool avec les hommes, mais aussi avec moi-même, on lit en moi comme dans un livre ouvert – et pourtant je fais pas que dans les intellos. Je semble être désespérée et donc effrayante.
Pourtant je le sais bien que ce type de femmes leur fait peur. Les disponibles, les toujours partantes, les expansives, les prêtes à s’engager, un homme ça n’aime pas ça. On doit être suffisamment détachées, occupées, débordées ou encore insensibles à leur charme.
Malédiction ! Je ne sais pas l’être et cela me rend inintéressante, repoussante, flippante, et finalement pathétique.
Et enfin, mon chemin rejoint celui de ce génie qu’est Michel Dieu Houellebecq.
Je ne suis pas moins seule ou pathétique que lui malgré mon physique tout de même plus agréable. Je ne suis pas moins une mauvaise personne puisque contrairement à lui je suis de gauche, ne suis ni raciste ni misogyne, ni misandre – contrairement à la légende.
Comme lui j’ai déjà arpenté les couloirs du ministère de l’agriculture, vu des psychiatres, pris des antidépresseurs, trouvé des gens et des collègues moches.
Comme lui j’ai erré en province, dans des centres-villes, des zone industrielles, des boites de nuit où j’ai pu observer le comportement humain, ce besoin de contact physique, cette tendance à sortir pour pécho, même quand nous les meufs on dit qu’on y va pour danser avec nos copines.
Comme lui j’ai voulu être sauvée, j’ai détesté des ex, décrypté leurs problématiques et fait leur analyse.
Comme lui, j’ai soupçonné des mecs d’être puceaux, des meufs mal-baisées – je n’ai pas toujours été consciemment féministe mea culpa – ou trouvé qu’en comparaison mon cas n’était pas si pire malgré ma vie amoureuse pathétique.
Seulement, contrairement à lui, je ne suis pas riche ni un génie – enfin pas selon le Goncourt ou mon banquier, entre nous nous savons que je suis brillante. Je prends le risque de penser et de déclarer que le fait que je sois une femme, qui plus est féministe, m’écarte davantage du succès que ce grand homme poète incompris des temps modernes, ou des opportunités de gagner ma vie en droits d’auteur.
Vous me direz, quel rapport avec l’obsession des hommes pour leur zizi ?
Cette obsession, c’est la porte ouverte à leur droit universel de chouiner qui sera vu comme le plus grand des courages.
La porte ouverte à la mise en cause de notre responsabilité pour tous les maux qu’ils vivent au quotidien, de l’injonction de nous aider en ramassant leurs chaussettes à l’interdiction des shorts au bureau en pleine canicule.
La porte ouverte pour un dédouanement total quand ils ne sont capables de nous faire étouffer des cris dans l’oreiller pour pas réveiller les gosses, ni même de réaliser qu’on n’a pas joui pendant qu’ils admirent la queue sacrée.
La porte ouverte à la sollicitude à l’égard de ce pauvre Michel, pendant que mon vagin est une zone de guerre qu’on n’épousera jamais au regard des nombreux pénis que j’ai eu l’outrecuidance de m’autoriser à tester.
La porte ouverte pour qualifier ce frustré misogyne de génie, pendant que je ne serai qu’une femme aigrie d’oser dire qu’ils nous baisent mal et ont peur de nous aimer.