Les lettres rouges du réveil continuent de me narguer dans la vapeur du demi-sommeil. En écho, au loin, j’entends un couple de touristes saouls qui hurlent en bas de l’immeuble dans une langue que je ne connais pas.
Sept heures que je peine à trouver le repos. J’ai essayé de m’assommer de manière médicamenteuse. Le résultat est médiocre. Les cachets ont depuis l’aube cessé de fonctionner. Dans un instant à peine je devrai ouvrir les yeux de manière consciente et affronter une journée similaire à toutes les autres. Se réveiller, manger, se rendre au travail, manger, travailler, partir, boire, baiser, et dormir. Ce scénario n’a même plus besoin de ma présence. Je n’en suis, il est vrai, qu’un acteur principal plutôt décevant.
Le réveil sonne pourtant à sept heures, et, pour ne pas gâcher la pellicule, j’ai débuté ma prestation comme un vrai professionnel.
J’ai commencé par essayer de dégager mon bras de l’emprise et de la chevelure brune de Sophie. Sophie est belle et douce, gentille et insatiable. Une beauté silencieuse. Elle ressemble à toutes les autres filles que j’ai aimées, mais vu qu’elle est là, c’est pour elle finalement que j’ai le moins de sentiments.
Une présence rassurante. J’aurais pu aussi prendre un chat.
Tandis qu’elle ronronne du sommeil du juste je file dans la salle de bains. Voilà quelques années, je serais bien resté lové entre ses seins et je serais parti à la dernière minute, juste avant d’être en retard, mais j’ai fini par être plus lassé de ses courbes que de ma routine matinale.
Dès l’entrée de la pièce carrelée, luminescente, briquée avec brio par une femme de ménage dont je ne me rappelle jamais le prénom, j’allume la radio et je la mets au minimum. Sous la douche je n’entends pas grand chose, mais il y aurait un manque à cette session quotidienne de propreté sans les commentaires dramatiques des journalistes, toujours insufflés du même ton monotone. Encore un pays dévasté par une catastrophe naturelle. Je hoche la tête en soupirant, tout en essayant de me souvenir du nom, même si je n’écoute que d’une oreille. C’est juste pour avoir un avis à partager si j’ai la malchance de prendre l’ascenseur tout à l’heure avec quelqu’un du service.
Je finis par enfiler mon costume que j’ai ramené du pressing le mardi, entre ma sortie du travail et mon cours de squash. Je dépose un dernier baiser, celui de l’habitude, sur le corps toujours chaud et lourd de Sophie. Le creux de sa nuque sent encore le sexe et je ne suis même plus excité, à peine titillé. Il n’y a que le café qui à cette heure-ci me rend capable de vrais et profonds sentiments.
Dans la cuisine je suis content. La femme de ménage a aussi fait les fenêtres, le soleil s’est invité dans tout l’appartement. En me faisant bercer par le bruit massif de la machine à expresso, brutale, virile, je fais mine de scruter le Sacré Coeur dont je connais tous les angles. J’essaie vainement d’être encore touché par Paris, mais il ne me reste que quelques soubresauts, comme les dernières gouttes pourpres d’une bouteille de vin que l’on souhaiterait terminer, pour ne pas gâcher.
Ce matin encore, avec ma tasse dans la main, l’espace d’un instant sourd, je me demanderai pourtant pourquoi.
Et ce matin encore, je n’aurai pas de réponse.
Alors je prendrai les clés jouant avec les rayons du soleil sur la table en verre achetée chez Habitat, j’enfilerai le manteau de saison, et je claquerai la porte sans un bruit, en essayant de ne pas brusquer tout ce qui est censé me rendre heureux.
Encore un jour prêt à commencer et dont j’aurai oublié dès demain jusqu’à l’essence.