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jeudi, 28 mai 2015

HASHTAGUEULE

Par
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Il y a quelques mois, à l’occasion d’une OPA digne d’un gros groupe pétrolier sur une cabane de pêcheur choupette (c’est moi la petite cabane), Marion, notre “responsable communication” m’a confisqué l’Instagram de Retard, après avoir déjà récupéré notre compte Twitter. D’après elle, nos lecteurs “ne veulent pas forcément voir toutes les photos de mon chien”, ni “se taper mes clips préférés de Michel Berger”. Ok, c’est cohérent. Mais j’aimais bien moi poster des photos de merde. Qu’allais-je devenir ? Si Marion a l’inconvénient d’être une lorraine autoritaire, elle a su néanmoins bien me brosser dans le sens du poil.

“Mais pourquoi tu ne monterais pas ton propre Instagram ?”

C’est donc en 2015, soit à peu près 3 ans après tout le monde, que j’ai décidé de m’accrocher au petit train de l’application de l’enfer, Aka INSTAGRAM, et de monter mon petit compte avec mon petit nom dessus. Trois ans pendant lesquels j’ai copieusement craché dessus, à coups de “non mais bonjour l’étalage de l’ego”, “je n’ai pas envie que les gens s’aperçoivent 1/que ma vie n’est pas si bien que ça ou 2/que si, elle défonce mais je me la pète grave” et de “j’ai déjà fait des selfies à l’époque de Myspace et sérieux je sais pas si c’est physiquement possible mais j’ai deux mauvais profils”.

Finalement, à l’image des gens qui trouvent les Stan Smith cool et qui se teignent les cheveux en gris, j’ai fini par céder à la mode.

Cela fait donc deux mois que je me dégoûte. Deux mois que je surfe quotidiennement sur le réseau social du narcissisme, deux mois que je like les selfies de Kim Kardashian et que je m’extasie sur les photos d’espaces à vivre (ouais, je viens d’écrire “espaces à vivre”, VOILÀ CE QUE TU ME FAIS FAIRE INSTAGRAM) tellement propres que je me demande si je suis la seule à ne pas vivre dans la page 46 d’un Marie Claire Maison.

Instagram, c’est l’une des pires choses qui soit arrivée à notre société. C’est la culpabilisation à coups d’intérieurs nickels et de daronnes parfaites qui jouent du ukulélé, c’est les filles mégabonnes qui prennent des photos au Club Med Gym alors que t’as repris trois fois de la brioche du petit déjeuner (ALORS QU’IL EST 22 HEURES PUTAIN C’EST PAS L’HEURE DE LA BRIOCHE DU PETIT DÉJEUNER), c’est les gens qui font la fête avec Kathleen Hanna, Tavi Gevinson et Tina Fey alors que tu bois un Monaco toute seule en terrasse d’un PMU qui donne à la fois sur le boulevard et sur le métro aérien.

Mais que font ces gens, putain ? C’est moi qui ne sais pas gérer les 24 heures qu’il y a dans une journée ? Pourquoi tout ce que je fais rend moins bien, putain ?

J’ai pourtant fini par me dire : “mais si tout le monde fait le Stanley Kubrick de sa vie à gros coups de filtre Perpetua et de cadrage serré, qu’est ce qui m’empêche de raconter une version trop glamour de mon quotidien ? »

(la réponse à cette question était bien sur l’AMOUR PROPRE mais déjà tu vois YOLO je ne m’écoutais plus)

Et hop, la machine était lancée. Pour me rassurer, un peu comme l’avait fait ma mère à l’occasion de la fête de St Valentin que j’avais organisée en cinquième, je me suis fixée des règles. Je me suis donc interdit :

  • Les selfies

  • Les photos de bouffe (je te jure que tu veux pas savoir ce que je mange)

  • Les photos de soirées (si tu sais comment elles finissent Marine tes soirées, avoue que tu ne veux pas que les gens le sachent)

  • Les hashtags

Bim, je suis trop différente dans ma façon d’utiliser Instagram. Ça ne pouvait que rouler.

Et me voilà, dans ma robe/pyjama HM avec une tache de café tenace et les yeux qui collent, à essayer d’arranger mon bureau pour prendre un cliché qui me donnera l’air COULE, à légender mes photos pour avoir l’air DRÔLE, à pas en poster souvent pour avoir l’air OCCUPÉE, et à faire gaffe à la chromie de mes clichés pour avoir l’air CRÉATIVE.

Je suis dorénavant une meuf qui se lève chaque jour en se demandant si sa gueule est assez okay pour qu’elle fasse un portrait MAIS PAS UN SELFIE HEIN UN TRUC IRONIQUE (NOPE), à se demander en soirée si c’est le bon moment pour prendre une photo des copains (NOPE NOPE), à s’interroger sur le ratio d’une photo sur quatre dédiée à mon chien (NOPE NOPE NOPE). Au lieu de profiter de mon quotidien je le photographie et je fous un filtre dessus. Je suis devenue le touriste relou dans le musée de ma propre vie, imposant à mes followers la photo où j’ai une tête trop mimi (il a fallu mettre un filtre et blinder les contrastes, heureusement que le résultat est plutôt pas mal) dans la quête d’un petit like.

Pourquoi c’est pas considéré comme du racolage ?

Ce gros connard de Terry Richardson disait que les vrais punks ne se trouvaient pas sur les réseaux sociaux. Il a raison, et je les envie. J’aimerais vraiment être le type de personnes capable de fermer son compte pour “me plonger dans le réel” et “renouer avec le quotidien”. Je le ferai pas parce que le quotidien m’emmerde régulièrement, comme il emmerde tout le monde par ses imperfections, ses taches de sauces à salade sur ta chemise préférée et par ses putains de boutons d’acné alors que tu as 28 ans.

Je continuerai, non sans culpabilité, à me shooter dès le réveil de clichés “lifestyle” et “inspiration”, en me disant que demain, ouais, demain, je repeindrai mon appart en blanc, j’acheterai aux petits producteurs pour me faire des salades au fenouil et que j’irais bien courir plus de sept minutes sans sortir l’excuse de mon souffle au coeur.

Au pire, si je fais pas tout ça, je trouverai bien sur Instagram un mec qui le fera à ma place. Promis, je ne manquerai pas de coller un petit coeur dessus.

P.S.: suivez nous comme une ado de 13 ans poursuit les One Direction :

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Marine

Leader Autoritaire
Marine est née en 1986 et vit avec un petit chien trop mignon. Après avoir joué avec des groupes de filles ultra classes d'après les autres membres (Pussy Patrol/Secretariat/Mercredi Equitation), elle gagne sa vie en écrivant sur des sujets cools et se la pète déjà un peu. Ca ne l'empêche pas de traîner en pijama dégueulasse le dimanche en essayant de twerker mal sur du William Sheller. L'AMOUR PROPRE C'EST DÉMODÉ OKAY.

Roca Balboa

Bricole Gueurle officielle de la Team Retard
Roca Balboa est née en 1990 et aimerait bien réadopter des rats. Amie d'Anna, la première fois qu'on l'a rencontrée on a vu un petit chaton tout mignon. Puis, en mangeant un kebab sur un banc, on a constaté la bouche pleine d'une viande qu'on connaissait pas qu'elle avait la gouaille la plus hardcore qu'on connaisse. Et un putain de talent pour le dessin. SON SITE PERSO : http://rocabalboa.com/