J’ai troqué ma paire de repetto contre une paire de santiags.
Fini les quartiers hip’ de Brooklyn et les cupcakes hors de prix. J’ai pris l’avion pour une destination bien paumée en Oregon et j’ai bien décidé d’y passer mon mois de Juin. D’abord pour échapper à la chaleur grotesque et humide de New York durant l’été, mais aussi parce ce que j’ai toujours voulu apprendre à manier le lasso et à monter à cheval avec une main sur les rênes et une autre dans la poche. Enfin, quelque chose du genre quoi.
J’ai donc débarqué à Sisters, une espèce de petite « ville » éloignée de tout où les gens se baladent avec un chapeau de cow-boy sur la tête alors que c’est même pas Halloween.
À Sisters, une seule route traverse le patelin et il faut moins de 10 minutes pour en faire le tour. Mais là où le délire commence vraiment, c’est que mon ranch d’adoption se trouve à trente minutes de là, entre les champs et les collines rocailleuses. Au milieu du rien quoi.
Sur la route pour s’y rendre, on passe à côté d’une ferme remplie d’alpagas. Il y en a tellement que ça en devient presque débile. Je veux dire, on est dans un trip western ou pas ? Sérieusement, j’ai jamais vu John Wayne monter un alpaga. Mais quoi qu’il en soit, ils étaient bien là, par centaines, alors faut bien composer avec.
Les paysages défilent et j’arrive enfin à ma destination. Un beau drapeau américain garde l’entrée et déjà j’aperçois des chevaux à proximité de la bâtisse principale. Ils ont l’air jolis et pas trop gros. C’est chouette. Il y en a qui me regarde. J’apprendrai plus tard qu’il s’agit de « Smokey », un mustang gris issu d’une réserve indienne. Une fois, un couguar lui a sauté sur la croupe pour essayer de le bouffer. Mais Smokey ne s’est pas laissé faire et l’a envoyé bouler bien comme il faut. En guise de souvenir de cette bataille, il garde une cicatrice en forme de croissant de lune. Vénère le poney. Bref, c’est rapidement devenu mon préféré.
La chose qui m’a le plus décontenancée par contre c’est la prière en début de repas. Il faut dire que les bondieuseries c’est pas vraiment mon truc et quand tout le monde ferme les yeux pour remercier le seigneur, moi j’espère juste secrètement que le délire durera pas trop longtemps histoire que le bacon refroidisse pas. Parce ce que le bacon froid, c’est quand même bien dégueu. Amen.
Sur la propriété, il y a une quinzaine de chevaux, deux tracteurs, deux cottages, une maison principale et des enclos un peu partout. Je loge dans une caravane de luxe, avec des petits rideaux brodés et une chambre à part avec douche à l’italienne. J’ai un peu l’impression d’être sur un plateau de tournage parfois. C’est peut-être bien le cas. Bref, on s’en fout. Le plus important c’est que j’ai appris à conduire un tracteur. Je vais pouvoir mettre ça sur mon profil Tinder désormais.
Au ranch, tout le monde ou presque s’appelle « Ron ». Il y a eu « Ranch Ron » un wrangler que je remplace désormais. « Pastor Ron », un mec qui était pasteur avant et qui fait trois le tour de la pelouse sur un petit tracteur-tondeuse. Et parfois les guests s’appellent « Ron » aussi. C’est un peu perturbant, mais on s’y fait.
Après deux semaines de résidence, je suis désormais capable de regrouper des chevaux d’un pâturage à un autre à l’aide d’un quad, (Bon je vais pas mentir ça me défonce les épaules et un soir j’ai pleuré de rage car les chevaux voulaient pas se regrouper alors que la pluie commençait à tomber.), je sais sceller un cheval avec tout l’attirail western, maitriser un mustang qui a flippé parce qu’un coyote à déboulé subitement sur le parcours de balade (true story) et je connais les règles du rodéo par cœur.
Ma peau couleur yaourt nature a peu à peu pris le « bronzage du fermier » et j’ai avalé plus de poussière et de moucherons en quinze jours que dans toute ma vie. J’ai des ampoules sur les paumes et les sourcils en bataille. J’ai arrêté de penser à me coiffer. De toute manière, je planque tout sous mon chapeau de cow-boy.
Bientôt, un type complètement fou et qui vote Trump m’emmènera tirer dans les bois. Il a même un sniper mais il paraît que le recul est tellement violent que ça déboîte les épaules (décidément), mais je compte bien essayer quand même.
Dimanche, ce sera le « Cattle ride » : une journée complète à cheval pour déplacer un bétail de cent bêtes. Par « bêtes » j’entends des vaches hein, au cas où vous ne suivriez pas. L’année dernière, trois d’entre elles se sont perdues et sont mortes de déshydration dans l’une des collines arides qui entoure le domaine. J’espère vraiment que ça n’arrivera pas cette année, car même si j’aime bien le bacon, je n’aime pas trop savoir les bêtes en souffrance. Bref, la contradiction ultime de tout bon carnivore. Mais c’est un autre débat.
Bilan de l’expérience (so far) :
- Plus de 20 heures passées à cheval.
- Plus de 100 heures passées à côté d’un cheval.
- 78 moucherons avalés.
- 3 doigts presque perdus à cause d’un cheval fou et d’une longe enroulée autour de mes phalanges.
- 4 kilos de moins.
- 5 nouvelles cicatrices.
Mais malheureusement (ou heureusement), l’aventure s’achèvera bientôt et je continuerai ma route vers d’autres aventures (C’est cliché comme phrase mais pourtant c’est bien ce qu’il va se passer). D’ici deux semaines, je serai sur une île où on peut faire du kayak au milieu des orques et dans deux mois, j’essayerai de rester en vie dans un camp d’observation de grizzlys pas loin de l’Alaska. J’imagine que je trouverai le temps d’écrire un papier là dessus pour Retard.
Amen.