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mardi, 26 juillet 2016

Interview de Laurent Kronental, le photographe de la bouleversante série « Souvenir d’un futur »

Par
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Difficile de ne pas être bouleversé par le travail de Laurent Kronental, l’une des révélations de la photographie de cette dernière année. Dans sa série “Souvenir d’un futur”, il a magnifié l’architecture rétrofuturiste de grands ensembles de la région parisienne, ceux-là même que vous avez peut-être déjà traversés sans jamais vraiment les regarder. Il y révèle aussi l’interaction entre ces quartiers et ses habitants. J’ai posé quelques questions à cet autodidacte de la photo dont le travail est exposé jusqu’au 7 août au Festival Circulation(s) au 104.

Bonjour Laurent. Peux-tu nous parler un peu de ton parcours? Comment est née ta passion pour la photographie?
J’ai commencé la photo par hasard, quand j’étais en Chine. J’avais un petit appareil photo juste pour prendre des souvenirs de voyage et je me suis pris au jeu. J’étais déjà intéressé par tout ce qui était du domaine artistique puisque je faisais de la musique depuis plusieurs années et je réalisais des petits courts-métrages, très modestes, mais en tout cas j’avais un réel intérêt pour la partie visuelle. En revenant de Chine je me suis dit que j’allais continuer sur cette lancée. En 2010, je suis parti six mois à Londres. J’ai un ami qui m’a prêté un reflex et j’ai commencé à apprendre la technique et les bases. A cette époque, je réfléchissais à ce que je voulais faire et finalement la photo s’est un petit peu révélé à moi à la fois par hasard et de manière naturelle selon une sorte de cheminement qui s’est fait intuitivement.

Tu as photographié pendant quatre ans des grands ensembles de la Région Parisienne. Comment est née cette idée?
Quand je suis revenu de Londres, je faisais des photos à la Défense car j’habite à Courbevoie. J’ai toujours été attiré par les grands immeubles, par l’urbain. L’urbanisme, la ville, l’habitat et l’humain sont des sujets qui me passionnent. Je réfléchissais à faire un sujet, quelque chose qui ait du sens. J’ai une grande curiosité envers les personnes âgées, pour cette génération, pour ce qui me différencie moi qui ait 29 ans et eux qui peuvent en avoir plus de 90. J’avais envie de raconter une histoire sur les personnes âgées mais aussi sur le passage des époques, sur la notion de temps. Parallèlement à cela, j’ai développé une attirance pour une architecture démesurée, à la fois brutale et poétique. J’étais impressionné par les grands ensembles, ces mastodontes de béton à l’allure presque organique. J’étais émerveillé par le quartier des Damiers à côté de chez moi. De loin j’apercevais les Tours Aillaud et il y avait quelque chose qui me prenait aux tripes. Ce côté à la fois vieilli et futuriste. On est perdu dans la temporalité, entre passé, présent et futur. Je trouvais qu’en associant les gens qui vivent dans ces quartiers avec la dimension puissante de l’architecture, je pouvais mettre en lumière une histoire parlant d’époques et de contrastes des générations. Et puis, il y avait un parallèle pour moi évident entre la marginalisation de cette génération et de ces quartiers qui sont soit méconnus soit souvent illustrés par les mêmes thématiques. Je voulais montrer une autre facette de ces ensembles, les mettre en valeur.
Le projet n’est pas tout à fait terminé, j’ai peut-être fait 80%. Je n’ai pas eu le temps de m’y remettre, j’ai bossé sur une deuxième série que je mène depuis deux ans. J’aimerais peut être faire un livre avec cette 1ère série.

Comment as-tu appréhendé l’usage de la chambre photographique? (type d’appareil photo grand format traditionnellement argentique qui permet de décentrer les perspectives, il est très souvent utilisé en photographie d’architecture).
Je savais quel rendu je voulais avoir mais je n’arrivais pas à comprendre comment faire. Au numérique, il y avait des choses qui n’allaient pas, qui ne créaient par cette magie que je recherchais. Petit à petit, je me suis tourné vers l’argentique. J’ai failli me lancer avec du moyen format, il y a déjà plus de précisions, mais dans l’argentique tu sens les échelles, tu sens les distances, les reliefs. C’était très important de magnifier l’architecture justement en gardant des lignes bien droites et en allant chercher la hauteur ou la largeur d’un bâtiment, je me suis dit que ça ne pouvait pas fonctionner avec le moyen format, même si il y a des optiques intéressantes. Je me suis demandé comment j’allais faire avec la chambre pour apprendre mais il y a des personnes qui m’ont beaucoup aidé dans des étapes clés de mon parcours et qui m’ont permis d’oser me lancer avec cet outil et d’apprendre les bases. Tu es obligé de travailler sur trépied et de prendre ton temps car c’est un processus très lent qui permet de regarder avec beaucoup plus d’attention ton sujet et de savoir ce que tu as envie de montrer. Tu ralentis, tu es moins dans un systématisme qui fait que tu robotises un petit peu ton approche de la photographie. Dès que je repasse au numérique, j’ai tendance à en faire parfois un peu plus que nécessaire et du coup je ne regarde parfois pas assez intensément. Au final, tu perds ce qui fait la beauté de l’acte, vibrer à l’instant où tu fais ta photo. Si tu arrives à être connecté avec cet instant présent que tu considères magique, tu vas pouvoir peut-être mieux le retranscrire après aux spectateurs par la suite.

Est-ce que tu avais conscience, quand tu as commencé la série il y a quatre ans, de l’impact qu’auraient tes photos?
Je sentais que ça me plaisait. Je ne savais pas qu’il y aurait autant d’écho mais je savais que ça me donnait énormément d’émotions. Pendant longtemps je ne montrais à personne ce que je faisais et au fur et à mesure j’ai commencé à montrer à quelques amis, à des gens de la famille, à quelques photographes avec qui j’étais proche. Quand je voyais ce que cela leur procurait, je me disais que j’étais peut-être sur la bonne route. Je savais qu’une série comme ça n’avait jamais été faite, une série qui mêle à la fois une dimension architecturale avec les personnes âgées. Plus spécifiquement qui parle d’une certaine époque d’architecture, une époque où l’on imaginait un futur.
Franchement, j’étais super surpris de constater à quel point l’étincelle avait pris. Maintenant quand je pense un sujet, j’essaye de réfléchir, comme les autres photographes je pense, à un thème qui n’a pas été déjà abordé d’une certaine manière et je prends ce chemin en espérant que ça fonctionne. L’idée est avant tout de se faire plaisir et si tu te fais plaisir, tu peux faire plaisir aux autres.

Quelles sont tes influences?
Dans la photographie, Nadav Kander, Pieter Hugo, Alec Soth, Alexander Gronsky m’inspirent énormément. Il y a aussi certains films qui m’ont vraiment marqué comme Blade Runner et Brazil. Ce qui revient dans ces films, c’est la représentation dystopique que l’on se faisait du futur, un futur qui nous dépasse. Dans Blade Runner, c’est un futur qui est un mélange d’une avancée technologique certaine et de quelque chose de très traditionnel. L’architecture est à la fois décrépie, ce que l’on retrouve un peu dans Le Cinquième élément et dans Brazil, et à la fois hyper-moderne. Dans Brazil, tu as aussi ce côté un peu destructuré et un peu anarchique de la forme d’une organisation, d’une architecture ou d’un urbanisme qui me plait et que j’ai retrouvé d’une certaine manière dans les grands ensembles. Ce côté intemporel, on ne sait pas à quelle époque l’on est, on a l’impression que ce sont des bâtiments ovnis qui se seraient posés là, qui sont un peu comme perdus dans le temps, perdus en translation. L’univers de Jeunet, de Gondry ou de Sylvain Chomet qui a fait des films d’animations comme Les triplettes de Belleville et L’illusionniste me touchent beaucoup.
Il y a aussi le dessin qui m’a pas mal inspiré, l’univers d’Enki Bilal, de Moebius aussi. En peinture, celui qui m’a le plus touché est Edward Hopper. Et puis, je crois que le plus inspirant reste les rencontres, ce que l’on voit devant nos yeux, les quartiers en eux-mêmes, les personnes seniors, leurs histoires, leurs personnalités qui m’ont, au fur et à mesure inspiré.

Pour terminer, s’il y avait une bande son à “Souvenirs d’un futur”, ce serait quoi?
Il y a une musique que j’aime beaucoup dans le film Blade Runner : “Blade Runner Blues” de Vangelis.

Quand j’écoute ça avec mes images, je me dis que ça colle complètement à l’univers.

www.laurentkronental.com

Elodie Zaig

Elodie est née en 1984 et porte parfois de superbes bottes rouges, héritées de sa mère. Cousine de Marine (sisi LA FAMILLE), cette jeune maman a décidé, après un bac + 5 bien comme il faut, de faire tout ce qu'elle voulait. Elle a vécu en Australie, en Grande-Bretagne, et se consacre aujourd'hui à la photographie, sa vraie passion. Une femme accomplie, dont tu peux checker le travail ici si tu veux : http://elodiezaig.tumblr.com/

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com