Je ne m’en vante pas mais quand je me fais gauler en train de ne pas boire en soirée, je suis forcée d’admettre que j’ai arrêté l’alcool. Et là, j’affronte invariablement deux questions suivies d’une exclamation :
Pourquoi ?
T’es enceinte ?
Mais tu vas devenir chiante !
Dans un milieu, le nôtre, où boire est cool, où la drogue est cool, où faire n’imp en soirée est cool, ne plus picoler c’est risquer d’être évité, exclu, excommunié, oublié. C’est risquer de ne plus être invité à certaines soirées parce que “Nan mais c’est le genre de soirée qui est drôle que si t’as 3 grammes”. C’est risqué d’être vu comme le grand Inquisiteur, celui qu’on ne veut pas inviter à sa teuf parce qu’il pourrait juger les conneries qu’on se prépare à dire et à faire.
Oui mais non. Moi je me bats pour mener la même vie qu’avant mais sans picoler et pour ça il va me falloir un peu d’aide. Il va falloir changer de regard sur la sobriété. Un pote qui devient sobre ne devrait pas être vu comme un paria, ni un messie, juste un pote qui boit un autre truc que toi. Ca serait bien ça.
Moi encore, ça va. J’ai la chance d’avoir une solide street cred qui me permet, à 33 ans, d’arrêter de picoler sans trop perdre en coolitude. De mes 17 à mes 30 ans disons, j’ai fait vraiment n’imp, j’ai invoqué le chaos, encore et encore. Pendant mes études j’ai été bourrée non stop, je me retrouvais souvent aux urgences, j’hurlais dans les rues, je prenais beaucoup de drogues, je rigolais, je pogotais, je couchais, je me scarifiais, parfois je vomissais en parlant et je rebuvais derrière. Yeah! Clap clap Alice. J’étais toujours debout, toujours à fond, toujours jusqu’à 10h du mat. Et j’avais de la reconnaissance pour ça ! J’étais une bonne camarade de déglingue, un peu violente mais surtout rigolote.
Mais l’âge avançant, il y a eu de plus en plus de revers et de moins en moins de médaille. Gueules de bois, disputes, regrets, fatigue physique et morale, manque d’enthousiasme, diminution de mes facultés intellectuelles, traits marqués…
A partir de 30 ans je me suis calmée mais quand-même, j’aimais prendre 3 ou 4 verres de vin en terrasse après le travail… juste de quoi switcher du stress de la journée à la légèreté du soir, être la fille gaie qui enchaîne les bons mots et les histoires cools, le sourire aux lèvres. La légère ébriété qu’on a bien mérité, parce qu’on donne tout, toute la journée et que c’est un moment chéri, bourré de connivence avec les copains. “Attends, ça va, on n’est pas des alcooliques non plus”.
Oui mais si. A un moment, j’ai questionné l’omniprésence, la si haute estime qu’on a pour lui et l’injonction sociale à boire de l’alcool, tout le temps, et je me suis dit que ce n’était plus pour moi. J’avoue, j’avais sans doute dépassé mon quota (on a peut-être un “capital alcool” comme le “capital soleil” des pubs?) et comme l’alcool ne me faisait plus de bien je pouvais m’en débarrasser.
Mais je ne voulais pas devenir chiante pour autant. Dilemme ! Il fallait que je désinvestisse l’alcool de ses pouvoirs de désinhibition et de coolitude et que je tire désormais mes pouvoirs magiques d’ailleurs. J’ai essayé de les tirer de moi-même finalement et ça a marché.
Contre toute attente, je peux être aussi désinhibée (coucou le dancefloor) et légère, voire me sentir pompette, rien qu’en buvant du club maté et des bières sans alcool.
Ah, oui, car je ne suis pas une healthy freak. Je ne tire pas mes pouvoirs magiques d’un jus detox, non. Mon cerveau a encore un peu besoin de se faire leurrer et le fait de tenir une bouteille de 1664 sans alcool à la main toute la soirée m’aide vraiment à faire partie de la fête, en plus de m’éviter les deux questions et l’exclamation sus-citées.
Ma vie sociale n’a pas changé. Je travaille beaucoup certes, je m’occupe de ma petite fille, mais je me marre toujours autant avec mes potes, je vais toujours aux anniversaires et je serai toujours dans la fosse aux concerts. Bon, après, pour être honnête, les gens que je ne voyais ou ne supportais qu’en soirée parce qu’on était bourrés, je ne les vois plus mais est-ce une grande perte ? La réponse est RAB.
En revanche ma vie perso a changé, je suis d’avantage présente, consciente, en meilleure santé, j’ai l’impression que mon cerveau carbure à nouveau, j’ai beaucoup d’envies, des objectifs, j’affronte mieux les épreuves, je résous des trucs et j’ai l’impression que je vieillirai mieux, moins tapée. C’est gagné !
En résumé pour réussir sa sobriété je dirais qu’il faut croire en son propre potentiel de connerie. Je ne suis pas la reine du dancefloor parce que j’ai bu mais parce que j’ai la passion du Dirty Dancing chevillée au corps et que je n’attends plus “l’autorisation” de l’alcool pour l’exprimer. Je ne me sers plus non plus de l’alcool pour justifier mes fautes “Nan mais j’étais bourrée”, j’assume tout.
Une sobriété bien vécue c’est aussi un cercle amical et familial compréhensif. C’est bien de ne pas avoir à se cacher ni à se justifier sans arrêt. C’est sympa de ne pas m’exclure de peur que je gâche l’ambiance. Il y aura toujours quelqu’un pour te dire qu’untel qui a arrêté de boire est devenu super chiant, certes. Pour moi la sobriété ne signe pas l’arrêt de mort du fun, au contraire, c’est un big bang de fun : plus de possibles, plus loin, plus longtemps. C’est être plus soi, conscient de soi, totalement soi, jusqu’au bout de soi.
J’irai twerker sur vos tombes.