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mardi, 06 octobre 2015

J’AI PRESQUE VENDU MON SLIP POUR UN JOB

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Il y a quelques temps, au travers de mes pérégrinations estivales sur les Internets, je suis tombée et j’ai lu un article de Vice titré « L’horreur, la vraie : ma vie d’hôtesse d’accueil à Levallois ». Il raconte l’histoire d’une jeune femme, qui, dans une merde très certainement financière, a cherché un job alimentaire : hôtesse standardiste au service des plus grandes entreprises et des clients les plus friqués.

Ce que je ne savais pas, c’est que quelques semaines plus tard, moi aussi j’allais en faire l’expérience, ou presque. A 25 ans bientôt et fraichement diplômée d’un master 1 en Communication, j’ai en effet subitement décidé de mettre un terme à ma petite vie d’étudiante, pour diverses raisons que je n’aborderais pas ici. En plein mois d’août donc, approximativement quinze jours avant la fin de mon contrat pro (ou d’apprentissage, je n’ai jamais vraiment saisi la différence) qui ne débouchera pas sur une embauche, je me trouvais en effet couillonnée et donc évidemment contrainte de chercher un job, pour continuer à payer mon loyer et tout le toutim. Sans trop savoir où regarder, sans trop savoir où et comment on cherche un vrai métier aujourd’hui.

Mes quelques expériences professionnelles - 18 mois en tant qu’hôtesse de caisse Auchan au sein de l’une des galeries marchandes les moins pimpantes du Val d’Oise; et quelques stages et alternances à la pelle – ayant toujours été le fruit de quelques rapides recherches sur la Toile, ou autres dépôts de CV à la va vite, comme des dizaines de milliers d’étudiants.

A la mi-août donc, il m’a fallut trouvé un job, et vite. Serveuse ? Pas vraiment dans mes cordes, moi qui casse un verre à chaque fois que je fais la vaisselle (merci Ikéa pour tes tarifs abordables, m’ayant toujours permis de remplacer le dernier verre flamand rose brisé entre mes mains). Vendeuse ? Pourquoi pas, mais pour des raisons qui me sont propres, je ne peux malheureusement pas me rendre disponible les week-ends.

Il me fallait donc trouver un job dit « de bureau », me laissant un peu de temps libre à partir du vendredi, 19h. Ayant étudié l’art plastique et la communication, j’avais face à moi deux possibilités : trouver un poste à peu près dans ma branche (nécessitant des semaines de recherches) ou accepter un job dit « alimentaire ». L’un dans l’autre, j’étais à peu prêt partante pour tout, du moment que je m’assurais un revenu à la fin du mois.

Ca, c’est en tout cas ce que je pensais, jusqu’au jour ou j’ai moi aussi postulé pour devenir hôtesse d’accueil, sous les conseils d’une amie bienveillante. Inscrite sur le site « hotessejobs », j’ai ainsi postulé à 7 ou 8 annonces de standardiste et réceptionniste, sans trop faire attention à la description de celles-ci, qui mentionnaient à peu près toutes la même chose : « Soyez souriante et parlez plus ou moins l’anglais. »

Le lendemain, plusieurs agences d’hôtessariat m’ont alors rappelé, me proposant des entretiens. On m’invita à troquer mes habituelles Doc Martens contre de jolis escarpins, un tailleur et un chignon. C’est là que ça s’est premièrement compliqué.

Mais déguisée en Petrouchka des années 80 et remontée comme un coucou, j’ai enchaîné ces quelques rendez-vous. Rendez-vous au cours desquels il a fallu que j’exprime ma motivation, mon envie de construire une carrière dans l’hôtessariat et le larbinage, quand face à moi, les dames et messieurs qui me recevaient, me faisaient miroiter des postes à hautes responsabilités : répondre au téléphone, aux mails et de temps à autre, affranchir et poster le courrier.

C’est au cours des deuxièmes rendez-vous, cette fois avec les clients auprès desquels j’allais être placée, que tout à coup le tableau s’est noirci.

On m’a en effet convié à rencontrer le chef hôtesse d’une grande banque suisse, qui sur le terrain, aurait été mon supérieur. Pour faire connaissance et comprendre les enjeux du « site » (jargon du métier) il m’a alors expliqué que pour vous ouvrir un compte auprès de cette banque, il fallait au minima posséder un million d’euro. Quand, à chaque fin de mois, le mien affiche fièrement un tout petit découvert : fruit de deux semaines à manger des pâtes, pour éviter de faire un trou dans le buffet.

David, m’a ensuite expliqué qu’il ne fallait pas s’attendre à un bonjour, ou autre merci de la part des clients à qui j’allais ouvrir la porte et transférer des appels. Que pour eux, je n’étais qu’un simple maillon de la chaine, tout juste bonne à leur rendre le plus petit des services. Gloups. Mais qu’en réponse, il fallait évidemment être souriante et dire « Merci madame, bonjour monsieur » au lieu des « enculés » et autres « salopes » qui résonnaient dans ma tête. On m’a expliqué également, qu’il fallait évidemment être à la hauteur du standing et de la réputation de la banque : classe, chic, distinguée. Traduisez : snob, hypocrite et pompeuse ; puisque messieurs les clients avaient pour habitude de ne côtoyer que le gratin des hautes sphères.

J’avais pris un sérieux coup dans l’aile.

Mais toujours motivée, et pas vraiment fille à papa, je savais bien que l’argent ne tomberait pas du ciel (même si j’ai parfois j’ai trouvé quelques euros sur ma route, aux pieds d’horodateurs, ou même dans la petite fente des distributeurs de bonbons) et qu’il me fallait faire quelques sacrifices pour honorer ma récente décision.

Bref, à peu près vaillante je me pointais alors à un second rendez-vous, cette fois auprès d’une boîte d’applications digitales, espérant qu’elle serait aux mains d’un patron un peu plus jeune et un peu plus cool. Dans un bâtiment sans allure, je montais au 5ème étage, avant d’être reçue par le Grand Manitou de la tôle en personne. Un type pas piqué des hannetons, plutôt franc-jeu, qui me demanda pourquoi j’étais là. (Je pense qu’il avait vu clair dans mon baratin) Pas franchement gêné pour autant, il déclara, face aux deux responsables de l’agence d’hôtessariat présentes au cours de l’entretien qu’il m’embauchait au plus vite afin de remplacer « l’autre conne à la réception », qui n’était « qu’une pauvre merde sous-qualifiée ». Il demanda même à ce que celle-ci ne soit pas en charge de ma formation, car « concrètement, elle ne sait rien faire. » J’ai bien cru qu’il allait ajouter « En plus, elle est noire. » mais Grand Dieu, non et je fus bientôt relâchée. C’est ainsi, et sur ces belles paroles de tortionnaire 2.0, que j’ai su que ma grande carrière d’hôtesse s’arrêtait là. Accepter un job alimentaire était dans mes cordes. Porter une tenue de poufiasse en talons, passe encore, mais serrer la main à des abrutis en Porsche Cayenne et se rabaisser à répondre au téléphone pour un abruti qui pense que tu es une pauvre merde et je signais mon arrêt de mort.

Mes biens chères sœurs et autres hôtesses d’accueil, vous avez là mes plus sincères respects.

Ann-Flore

Ann-Flore est née en 1990 et possède une superbe collection de papillons sous verre. Si cette jeune banlieusarde (qu'il est moche ce mot) rêve de monter une friperie spécialisée dans les années 50 et 70, elle termine pour le moment ses études et navigue entre communication et rédaction. Elle a en plus la gentillesse d'être réactive et rapide, ce qui n'est PAS FRANCHEMENT LE CAS de la majorité d'entre nous.