Je pratique le snobisme culturel et social, ce qui consiste principalement à trouver la majorité de mes camarades de vie fades et inintéressants. Un selfie stick, une couronne de fleurs, le port d’un tote bag avec écrit « quand je serai grande, je serai gentille » ou vous surprendre en train de lire « Fifty shades of Gray » ou un Marc Lévy, me suffit pour vous juger.
Je pratique le jugement intempestif.
Et parce que j’ai fait des études supérieures, ce jugement se base sur une échelle de valeurs des comportements sociaux. L’ensemble d’une vie consacrée à établir un référentiel du cool et du non cool dans l’intérêt de ma seule envie de catégoriser les humains m’entourant. Il ne s’agit pas seulement de vous juger, il s’agit aussi de s’entraîner à avoir du nez et de réussir à rester pertinente sur le long terme, ce qui induit que par exemple, Wes Anderson restera cool même s’il se met à réaliser des publicités pour des sofas avec Pamela Anderson, et que Plus belle la vie restera non envisageable même si Ryan Gosling y est en guest. Le snobisme ne dispense pas de l’intégrité.
Mais mon intégrité a ses limites, elle a même une limite annuelle plus communément nommée le mois d’août. Car la snob que je suis n’a malheureusement pas les moyens de partir en vacances tout le mois d’août parce que toutes ses économies passent dans sa consommation de sneakers en édition limitée et d’abonnements UGC illimités. Le snobisme demande paiement d’un lourd tribut. Mais étant moi-même issue d’une famille ayant érigé le snobisme intellectuel en valeur familiale, il était de mon devoir de perpétuer cette philosophie.
La déchéance arrive tout doucement, de manière imperceptible. Cela commence au MK2, bien installée dans ton fauteuil, prête à apprécier un bon film indépendant moldave, tu te dis que cette bande annonce de film avec Kev Adams n’est pas si mal. Après tout, tu as déjà vu le film sur les deux lesbiennes lettones, le porno en 3D et tous ceux sur les migrants, tu es un peu à court de films répondant à ton niveau d’exigence. De toute façon, personne ne le saura, ça fait déjà une semaine que tu essaies d’organiser une pseudo vie sociale en prenant en compte le fait que tous tes amis sont en vacances.
Et voilà, tu te retrouves, honteuse, à faire la queue à admirer Kev Adams sur un tapis volant, en priant pour que tes parents ne le sachent jamais.
Au bureau, après avoir écouté dix fois toutes les playlists « chillax » de la saison, tu as déjà dû te faire une raison et finis par te faire agresser les oreilles de manière consentie par le dernier David Guetta/ Nicki Minaj, tout en espérant ne pas faire une triste manipulation et en faire profiter tout l’open space.
En rentrant chez toi, tu te sens en sécurité, seule, à l’abri des regards, tu ris de bon cœur devant les vannes lourdingues de l’équipe « Hanouna » et tu attends avec impatience l’arrivée à l’antenne de la dixième saison de Secret Story. Mais ça, tu ne le twitteras jamais…
Et petit à petit, tu atteins le stade ultime. Tu craches sur tes principes millénaires et tu t’émeus devant des selfies « coucher de soleil/ keur keur love » sur Instagram. Pire encore, tu deviens cette psychopathe 2.0 qui like les photos deux secondes après leur publication et qui s’éclate à utiliser des emojis inconnus en commentaires.
Dépitée, tu t’es même mise à suivre Karim Benzema et Britney Spears.
Tu pensais toucher le fond. Oui mais voilà, non seulement, ton activité sociale n’a jamais été aussi peu stimulante mais tu te dois aussi d’entretenir les doux foyers de tes amis partis en vacances.
Ceux-là même qui le reste de l’année ne comprennent pas ton engouement pour les jeans taille haute de daronne des 90’s et ton idolâtrie pour Christine and the Queens.
Tes camarades qui, pendant que tu chillais au dernier concert de Chet Faker, regardaient « Envoyé Spécial ». Ceux-là même qui ont aujourd’hui les moyens de partir en vacances 1 mois.
L’arrosoir à la main, scrutant leur mobilier made in Conforama couleur faux bois, tu te demandes où est-ce que tu as bien pu merder.
Est-ce qu’après tout, tu ne serais pas plus heureuse au camping des flots bleus, à te promener le slip au vent, la serviette de bain Décathlon au bras et la canette de bière à la main?
Tu te promets solennellement qu’à la rentrée, tu arrêtes tes conneries, tu t’habilles chez CA, tu regardes Patrick Sébastien et tu arrêtes de faire chier.
Toi aussi, tu feras partie de ce gens responsables qui ne voient plus trop l’intérêt d’aller en soirée, qui prévoient leurs vacances six mois à l’avance et qui trouvent que les peignoirs en polaires, c’est quand même vachement sympa tout en étant chaud…
Oh un kiosque d’ouvert, voyons voir.
OH putain, les Inrocks spécial rentrée…
« Ouais, allô, je ne te dérange pas ? Non mais c’était pour te dire de réserver ton premier week-end d’octobre, on prend des places pour un festival de musique électronique en Moldavie, ça a l’air dingue. »