« Je ne fais rien ce week-end » is the new « Je me couche tôt ce soir ». Prévoir de ne rien faire le week-end, c’est comme prévoir de se coucher tôt, c’est très difficile, voire impossible, du moins en ce qui me concerne. En général, dès le début de la semaine, les cases samedi et dimanche de mon agenda sont déjà remplies de plans, de missions, de sorties. Des soirées, des brunchs, des anniversaires (parfois deux la même soirée, horrible), des expos à voir (souvent c’est le dernier jour du coup il faut il y aller absolument #fomo), des déjeuners de familles. Sans parler de tout mon agenda « mental »: appeler maman, aller au marché, récupérer des trucs au pressing, passer l’aspi, trier mon placard, mettre un numéro sur cette putain de chaise cassée pour les encombrants… L’angoisse. Heureusement, le temps et l’expérience m’ont montré que je ne pouvais pas tout faire, du coup je sais d’avance que je ne pourrai pas aller à ces deux anniv’ et être attending à ce brunch - dans les faits parce que parfois les activités se chevauchent - mais aussi parce que je n’en aurai pas l’énergie.
Je disais donc: dès le lundi ou le mardi, mon week-end est déjà quasiment entièrement planifié. Ce qui est angoissant parce qu’en général les jours qui suivent, vous avez forcément un pote qui lance un message groupé « On boit un verre samedi soir ? Ça fait longtemps qu’on s’est pas vu ». Sauf que vous, vous allez voir Mamie à Plaisir le midi, et vous savez que vous allez rentrer par le train de 18 ou 19h32, plein comme une outre, épuisé d’avoir trop mangé et d’avoir fait des kilomètres dans les couloirs de la gare Montparnasse. Vous savez que vous n’aurez pas la force d’aller à Oberkampf pour boire un verre dans un endroit bondé, que vous allez passer votre temps à bailler, à dire « Ouais dézo j’suis crevée » et a penser au moment où vous allez enfin partir pour rejoindre votre nid et votre legging de maison (celui qui a un trou derrière la cuisse).
Du coup, je culpabilise. Je culpabilise de ne pas répondre par l’affirmative à cette invitation, je culpabilise de ne pas voir mes potes aussi souvent que je le voudrais, de ne pas pouvoir tout faire, même si je sais que c’est impossible. Je sais que certains de mes amis comprennent parfaitement que c’est la vie, qu’on est occupés, qu’on a un travail, des activités extra-scolaires, d’autres amis à voir, une famille voire un compagnon de vie et des enfants, et de la paperasse à traiter. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser « Merde, je suis en train de dire non, le mec il va se dire que je le snobe, que j’ai plus jamais le time, que ça y est j’ai une petite vie rangée entre mon boulot salarié et mon mec et qu’on va plus jamais se voir et que rien ne sera jamais comme avant, et que j’ai perdu mon étincelle car on ne refait plus le monde ensemble durant des heures entre un thé vert grillé et une choré sur du Sky Ferreira ».
Sans parler des fois où vous avez plusieurs plans de possibles (aller voir Mamie? emmener mon italien à Giverny? À l’anniv’ d’Anne-Marie, au pique-nique de JB? Qu’est-ce que j’ai envie de faire VRAIMENT? PUTAIN). En conséquence, vous ne répondez pas forcément tout de suite aux textos et invitations, parce que vous ne savez plus ou vous en êtes. Vous êtes à la limite du burn-out, vous êtes en mode « Laissez-moi tranquille ! ». C’est un peu le syndrome Primark ou HM: vous rentrez dans la boutique, vous trouvez plein de trucs bien, tout vous va (ou alors vous zappez l’épisode de la cabine), et quand vous arrivez en caisse, y’a mille personnes. Vous laissez tout et vous partez: le renoncement.
Jusqu’ici, j’ai parlé des aspects plutôt négatifs de ce « trop plein » à l’arrivée du week-end. Mais il y a aussi LA FIN du week-end. Le dimanche on est tôt à la maison, à grignoter des olives devant Sept à Huit ou une rediff de Cold Case, ce moment où vous êtes à la fois heureux d’être lové dans votre couette et en même temps assailli par le spleen à la pensée d’aller au boulot le lendemain, car il faut se lever tôt, prendre la pire des lignes de métros DEBOUT avec tous ces boloss’ (aussi dits « Les autres » ) et faire la queue pour un café allongé parce que tous les employés de votre groupe arrivent tous en même temps et que la dame de la cafète est leeeente. Vous allez donc vous coucher tard (cf « Ce soir, je me couche tôt »), l’oeil ahuri par la lumière de la tablette sur laquelle vous avez regardé un film qui « buffer » .
MAIS EN MÊME TEMPS VOUS ÊTES MALHEUREUX SI VOUS NE SORTEZ PAS LE WEEK-END. Ça a bien du vous arriver, de ne pas sortir non? De RÉUSSIR à refuser toute sortie, tout plan. Je vous refais le scénar. Samedi, 9h: réveil (vous avez pris le rythme de la semaine - je parle de ceux qui ne sont pas en free lance en ce moment). Petit-déj’ au lit. 10h: fin du petit-dèj, début de la troisième rediffusion de Génération Hit Machine, avec Derka « PAN PAN pour vous servir ». Votre mood commence à passer de l’auto-congratulation à l’ennui ( « Merde, y’a rien à la téloche, j’ai pas envie d’aller au marché ni au ciné ni de faire le ménage, je vais faire quoi? En même temps j’avais dit que je me reposerai »). 11h: vous êtes sur vide-grenier.org. 12h: vous avez repéré trois brocantes, textoté un pote et envisagé d’aller dîner chez Les bols de Jean ou dans ce petit troquet à Strasbourg Saint-Denis. 13h: vous êtes lavé, et hurlez à votre mec « À LA DOUCHE !!! ». 14h: vous sortez alors que vous ne deviez pas sortir du week-end. Dans « notes » sur votre smartphone, vous avez une liste de sept choses à faire dans la journée (car oui au fait il y avait aussi cette vente privée Machin à côté du Musée d’Orsay).
Ceci dit, j’ai noté un truc. C’est vrai qu’il faut se reposer. Prendre son temps. Ne pas tout le temps prévoir des trucs ou tout accepter. Car pour pouvoir être créatif, avoir de l’inspiration (dans tous les domaines de la vie), il faut glander. C’est nécessaire. Il faut que le cerveau se repose, qu’il vagabonde. Que vous ne pensiez à rien, ou du moins que vous ne prévoyiez pas de penser à quelque chose. Que vous buviez votre café le regard dans le vague, perdu entre l’immeuble d’en face et la lumière qui se reflète sur le trottoir.
PARENTHÈSE Ça me fait penser à un truc qu’avait raconté un de mes profs d’arts plastiques à la fac. Il avait raconté qu’un peintre (me souviens plus le nom) disait qu’il n’était pas nécessaire de peindre une toile en une journée. Qu’il fallait laisser les choses se décanter, laisser la toile quand on en avait marre et reprendre par exemple le lendemain, frais et dispo, après avoir laissé l’esprit errer et les rêves se promener dans votre tête FIN DE LA PARENTHÈSE
MAIS sortir le week-end, ça rend heureux. Déjà on a des trucs à raconter le lundi à ses collègues. Et on a vu ou appris des choses parfois insoupçonnées (je me souviens d’une sortie impromptue où je m’étais retrouvée à visiter le château de Vincennes un dimanche MATIN. Eh ben après j’étais ravie); ou surtout vu ses potes, ce qui est une extrême source de bonheur. Ça fait vraiment du bien de se voir, de se toucher, de rire pour rien, de se goinfrer à un brunch « chacun ramène un truc ». Après on est trop content, on se dit « Putain j’ai vraiment des bêtes de potes (cf le concept de belle personne inventée par Marion Cotillard) la vie est belle. Je vais peut-être pas me coucher tôt mais content ». C’est peut-être ça l’important.