Le 9 janvier dernier, cent femmes publiaient une tribune dans Le Monde intitulée « Des femmes libèrent une autre parole », revendiquant pour les hommes « une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle ». Elles y affirmaient que « la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste ». Je suis en accord avec ces femmes sur un point : il ne faut pas condamner la galanterie. Je crois même à l’inverse qu’il faut l’étendre.
Depuis que je suis fille, j’ai subi la liberté des hommes. Liberté de regarder. Liberté de juger de mon corps et mes gestes. Liberté de désirer. Liberté de s’approcher - près, un peu, trop. Liberté de salir mes intentons. Liberté de m’importuner.
J’ai subi parce qu’on ne m’a pas enseigné à réagir, et parce que personne ne m’a protégée, ni ne m’a même demandé mon avis. Je revois mon père me sermonner. Tu ne sais pas ce que les garçons ont dans la tête. Je revois ma mère lors d’un barbecue avec des amis de la famille. Couvre toi !
C’est vrai, longtemps je ne voyais pas ce qui se jouait autour de moi. J’étais naïve ? J’étais juste moi. Parce qu’on m’avait enseigné que nous sommes dans un pays libre, où chacune est l’égale de chacun. Moi aussi j’étais libre. Et je trouvais bien élégant qu’on me laissât passer la première et qu’on me tint les portes.
Il m’arrivait juste, quand les regards ou les gestes étaient trop insistants, quand les mots étaient trop violents, de me sentir gênée. Alors j’essayais de me cacher, parfois de fuir. Et quand c’était impossible, quand je ne pouvais pas prendre ma peur à mon cou, je restais figée. Muette. Éberluée. Glacée d’angoisse. Ça pourrait être pire. Ça peut toujours être pire.
J’ai mûri. Comme la plupart des femmes, j’ai appris à prendre conscience de ce qui m’entoure. J’ai appris qu’il peut être risqué de marcher seule dans la rue. Que mes vêtements peuvent induire des sous-entendus. Que mes gestes et mes mots peuvent être interprétés, déformés, dénaturés. Pourtant je veux continuer à être libre, à être moi. Alors je choisis l’insouciance, même s’il arrive à la peur de me rattraper.
La peur, c’est aussi ce qui anime cette tribune des cent femmes. Peur du retour de la morale et de la censure dans l’espace public. Peur de perdre une liberté sexuelle acquise au prix d’âpres lutes. Peur que les femmes ne puissent plus ouvertement exprimer leur désir et être elles-mêmes objets de désir, exprimé si possible de manière galante - n’oublions pas la genèse de la galanterie, qui est née pour civiliser les brutalités masculines.
Mais la peur ne peut pas être un moteur. D’autant que les femmes ne sont pas toutes insouciantes, ni exposées avec la même force au désir masculin. D’autant que les femmes elles-mêmes s’autocensurent pour ne pas choquer, et sont trop souvent accusatrices et juges de gestes, de comportements, de vêtements trop courts ou trop longs. D’autant que les femmes sont elles aussi capables de prendre la défense des agresseurs.
La peur est le regard chaperon qui interdit aux femmes allures et habits amoraux. La peur est le bâillon qui empêche de réagir aux regards déplacés, aux gestes inappropriés, aux porcs s’approchant de trop près. La peur est le relativisme qui autorise le manque de respect. Ce n’est pas #metoo mais bien la peur, l’ennemi de la liberté sexuelle.
Plutôt que la peur, pour luter contre la tyrannie de la morale, j’ai pour ma part choisi l’audace. J’ai entrepris de voler aux hommes leur territoire, puisqu’ils pénètrent le mien sans mon accord. Je suis devenue galante.
Armée de courtoisie et de savoir-vivre, je démasculinise au quotidien la grammaire de la galanterie, et tente de faire mentir le Larousse, pour qui une femme galante est une « femme de mœurs légères, qui vit de la galanterie ». Je suis prévenante. Je tiens les portes, cède ma place dans les transports, porte les sacs et ne manque pas l’occasion d’adresser des compliments sincères.
Ma galanterie va plus loin que la simple politesse. Elle pratique la bienveillance. Je n’offre pas mon attention aux femmes par automatisme ou parce que j’attends d’elles une contrepartie. Je prétends pas me distinguer par mon éducation ou mettre à jour mon tableau de chasse. Non. Bénévole de la galanterie, je suis attentionnée par plaisir. Je suis attentionnée par engagement, parce que, oui, les femmes sont moins libres que les hommes et subissent les libertés de certains d’entre eux. Si elles ne naissent pas « pauvres petites choses », on leur enseigne à le devenir.
La différence entre ma galanterie et celle des porcs tient en un mot : le respect. Tout acte non consent est une violence, sans qu’il soit besoin de faire une hiérarchie de la cochonnerie. L’usage de la contrainte n’est pas un prérequis au jeu de la séduction, et l’art de la galanterie n’est plus réservé à la gente masculine. Je ne hais ni les hommes ni la sexualité, Mesdames. Le féminisme n’est pas le censeur. Ma galanterie vous exprime au contraire mon attachement à la liberté que vous chérissez, car chacune est libre de se comporter comme chacun, s’il.elle a de la considération pour autrui.