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lundi, 07 mai 2018

Je suis maman

Par
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Le soir où nous avons appris que j’étais enceinte, c’était l’hiver. J’avais arrêté ma pilule 2 mois plus tôt et je faisais déjà attention à ce que je mangeais.

J’arrêtais peu à peu de boire de l’alcool, du café, de manger du jambon, des sushis, des fromages à pâte crue.

J’avais pris la grande décision d’arrêter de traverser au feu rouge.

Médicalement j’étais apte : « 27 ans, c’est le meilleur âge pour avoir un enfant ! » m’avait dit mon médecin.

Ce soir là, après avoir fait le test dans les toilettes, attendu 5 minutes et vu les 2 barres bleues, nous avons passé la soirée devant la télé. Un téléfilm à la con.

J’étais comme une dingue, lui comme un légume.

Les trois mois d’après allaient être merdiques : j’aurais mal partout, la gueule de bois et le truc grandissait dans mon corps. J’ai déchanté vite et mal. J’ai maudit toutes les femmes du monde.

Ca a eu lieu le vendredi du premier jour de nos vacances.

J’avais mis mes boucles d’oreilles en forme de perroquet offerte par ma meilleure amie.

Je faisais la liste des personnes que j’allais appeler après l’échographie, suivant un ordre strict et consensuel.

Le centre médical était neuf mais dans un ancien appartement. Il restait l’escalier en bois et quelques poutres apparentes. Il régnait une ambiance générale familiale et accueillante. Nous étions seuls. Les murs étaient jaunes. Je me souviens m’être demandé pourquoi les murs sont souvent jaunes dans le milieu médical.

Le médecin est venu nous chercher et nous sommes rentrés dans la petite salle des échographies.

Ce n’était pas la première pour moi mais c’était la première échographie à laquelle E.M. allait assister. Il allait pouvoir écouter le cœur du bébé, que pour ma part j’avais déjà entendu 2 fois.

Je me suis déshabillée. E.M a pris une chaise et s’est installé à côté de moi, sans même attendre que le médecin le lui conseille.

J’ai avancé mon bassin sur la table, écartée les jambes pour que mes pieds rentrent dans les étriers. Le médecin a déroulé le préservatif sur la sonde et l’a fait pénétrer en moi.

E.M m’a pris la main.

En face, il y avait un écran géant pour pouvoir suivre l’échographie. Je n’y comprends jamais rien. Je ne sais pas si le noir c’est le liquide ou si c’est le blanc. Je ne vois pas les formes et les masses. Alors je fais confiance au médecin.

On a vu le bébé, ou plutôt le grand fœtus. Je savais que nous devions entendre son cœur. Pourtant nous n’entendions rien. Je pensais que le médecin n’avait pas appuyé sur le bouton du son.

Je l’ai vu appuyer sur un bouton en haut de son clavier.

….RIEN….

Puis, il a prononcé cette phrase que je n’oublierais jamais :

« Cette échographie ne va pas nous apporter une bonne nouvelle. Le cœur s’est arrêté et il n’y aura pas de suite de grossesse ».

Il avait dit « nous » ? Il avait dit « pas de suite de grossesse » ? Je ne comprenais pas si cela voulait dire que le bébé était mort ou que l’échographie ne marchait pas.

Le temps s’est arrêté. Je n’ai rien dit car je n’ai pas compris. Alors j’ai tourné la tête vers E.M. Il avait baissé les yeux, pris la tête dans ses mains. J’ai senti monter en moi une énorme vague de chaleur. Des pieds jusqu’à la tête.

E.M. s’est mis à pleurer. Je lui ai dit « je suis désolée ».

Le médecin a retiré la sonde de moi. Il s’est levé et nous a expliqué les démarches à suivre : aller à l’hôpital pour l’expulsion. Selon la taille du placenta les médecins me donneront soit un médicament pour le faire expulser, soit, si la taille ne permet pas une expulsion naturelle, il y aura une intervention.

Je ne sais plus à quel moment le médecin nous a expliqué que le cœur s’était arrêté il y a à peu près 2 semaines. Que ce que je faisais ne s’appelait pas une fausse couche - car il n’y a pas eu d’expulsion- mais une interruption de grossesse. Que le placenta continuait de grossir car mon corps ne s’était pas rendu compte que le bébé ne vivait plus.

2 semaines. C’est le moment où j’avais fais la paix avec lui. J’avais enfin accepté.

Il a dit « Je vous laisse un moment pour vous rhabiller. Attendez-moi dans la salle d’attente ». Puis il est sorti.

J’ai refermé les jambes, pris E.M dans mes bras et je lui ai demandé pardon.

J’étais nue dans cette pièce noire et je m’excusais de ne pas avoir pu ou su garder cet enfant.

Je lui demandé pardon d’avoir pensé tout ce que j’ai pensé, de ne pas avoir voulu ce bébé souvent et de ne pas réussi.

Je me suis rhabillée et nous sommes sorti pour attendre les photos de l’échographie, sans savoir le chemin qui nous attendait. Ce n’était pas une échographie comme les autres, pas celle l’on montre comme première photo de famille.

C’était la preuve d’un fœtus inachevé, d’un bébé mort, d’une famille qui ne naitra pas.

Il y en a eu 2 autres comme ça. Dans la douleur et le sang. Avec des phrases de réconfort qui ne guérissent pas. Sentir poindre la douleur d’une mère que tu n’es pas.

Les inachevés.

Les bébés suspendus. Mes parenthèses…

J’y pense parfois, en regardant ma fille.

Élise

Elise a 23 ans et une passion pour le Blind Test. Après avoir grandi à Lille puis à Toulouse, elle réside maintenant à Paris où elle essaie de gagner sa vie en dessinant des Mickeys. Comme c'est pas toujours facile, elle est aussi surveillante dans un collège à mi-temps et rêve de devenir Isabelle Adjani avec les cuisses de Beyoncé (j'arrive pas à visualiser vraiment, mais le résultat doit forcément être super).