Ils regardent le temps passer dans ce Macdo miteux. Le regard un peu vide, ambiance no future. Parce qu’ils n’ont nulle part d’autre où aller et puis rien d’autre à faire de toute façon. Les parcs s’en est fini, il fait bien trop froid avec ces putains de -25. Pas la thune pour chiller au starbuck, les voyages c’est pour les autres ! Ils zonent au milieu de l’odeur de frite molle et se racontent les histoires de quartier. Ils sont beaucoup, se déplacent en bande, et te font bien comprendre que faudra pas leur piquer la deuxième table au fond à droite. Tu rentres dans ce Macdo et tu sais que tu empiètes sur leur territoire, tu t’incrustes dans LEUR QG, et autour de toi la menace et le malaise s’installent. Toi tu voulais juste le menu maxi best of, c’est légitime. Et puis à force de passer devant tous les matins, tu te dis que de toute façon toi aussi tu feras partie de la bande un jour. Celle des vieux.
Babette et Yveline ne viennent jamais trainer ici, non non non, elles attendent juste une amie (qui ne viendra jamais sur les 45 min de temps passés avec elles). Elles connaissent très bien toutes les têtes qui viennent « jaser » ici mais le commérage ça ne les intéresse pas, non non non… Pourtant elles ont depuis bien longtemps adhéré malgré elles à ce phénomène de rassemblement.
L’explication de Babette est très simple : Au Macdo le café est dégueulasse mais il est pas cher, et tu peux rester 6h d’affilée le cul sur une chaise sans que personne ne t’invite à t’en décoller. Hors de question d’aller au club super-ageux alors qu’on peut jouer aux cartes des heures entières sur une table pleine de mayo. Mais quand je leur dis que ma mamie en 90 ans de vie n’aura jamais mis les pieds dans une place pareille, il y a comme une vapeur grasse d’incompréhension… « Ben on s’entend Babette, c’est pas le top niveau de la gastronomie ici ! - Mais ma petite, on vient pas ici pour manger des nuggets, nous c’est pouvoir piailler toute l’après midi qui nous plait ! » OK Babette tu viens pas pour la sauce deluxe et ça c’est un point qui me rassure… Yveline va même parfois s’acheter le café en face parce qu’il est bien meilleur, et puis revient tranquillement glousser avec ses copines du tiéquar. Elle en connait une qui vient 5 jours par semaine faire un kikou à Monsieur Ronald.
© Julien Guinguette
Babette et Yveline sont des mamies vraiment mignonnes, et je me souviens avoir ressenti la même empathie en regardant le film Zombie il y a quelques années. À coups de carte café fidélité, nos septuagénaires sont devenus nos zombies à nous, comme ceux du centre commercial de Romero. Ils rodent là où on veut encore bien d’eux, pas encore morts, mais plus très vivants, ils se déplacent lentement mais toujours plus nombreux et viennent hanter nos places chéries de la surconsommation. Comme pour nous rappeler que le modèle social dans lequel on nous a foutu nous fera toujours revenir instinctivement là où la masse ingurgite . Ne leur piquez jamais leur place.