« Je pense que beaucoup de femmes se voient comme M. Patate. C’est-à-dire que si elles pouvaient enlever telle partie de leur corps, ou si elles pouvaient en éliminer une autre, elles se sentiraient plus jolies” Jemima Kirke
J’ai toujours aimé les gens à la vie bohème. Tu sais, le New York arty cliché à mort, où tout le monde est fringué comme s’il passait sa vie dans une galerie d’art à Soho.
Parfois, je me demande si ce n’est pas pour ça que Jemima Kirke me fascine autant. Elle est un peu l’exception dans mon panthéon. D’ordinaire, j’ai l’amour fou des brailleuses. Mais pas vraiment le même métal avec elle.
Son appartement entièrement boisé aux meubles légèrement abîmés, un peu Emmaüs Pinterest sur les bords. Ses longs cheveux blonds, qu’elle ramène négligemment en chignon. Et puis ses quelques tâches de peinture sur les mains, parce que bien évidemment, Jemima Kirke peint.
C’est un truc qu’on oublie souvent chez elle, parce que le monde entier se focalise sur Girls. Un peu normal, quelque part. Pourtant, Kirke est diplômée d’une école de design, qui a vu passer sur ses bancs des nanas comme Jenny Holzer, Kara Walker ou encore Francesca Woodman, pour te poser un peu le décor. Parmi ses influences, elle cite facilement Edouard Manet et Lucian Feud. Mais si tu pousses un peu, ses portraits ont aussi pas mal d’Alice Neel, que ce soit dans sa technique ou le respect de l’intimité de l’autre qu’elle instaure à chaque coup de pinceau.
Son amour de l’art lui vient de sa mère, Lorraine, propriétaire d’une petite boutique vintage dans West Village. Mais c’est un compliment d’un proche de ses parents, gamine, qui l’encourage à embrasser une carrière d’artiste.
Pour rajouter à la liste, Kirke n’est pas une pure New Yorkaise et c’est à Londres qu’elle pousse en vérité ses premiers cris. Parce que oui, Kirke est anglaise. Ce n’est donc qu’à l’adolescence qu’elle s’envole pour les USA, où elle rencontre au lycée pour la première fois une certaine Lena Dunham…
Bordel. Que celui ou celle qui comprenne cette amitié lève la main. Il y a des trucs qui visiblement ne s’expliquent pas, malgré le malaise palpable. Une relation de longue date, qui finit par déboucher en 2010 par un rôle écrit par Dunham pour Kirke dans son film, Tiny Furniture. A cette époque, les nanas gravitent pas mal dans le milieu artistique. Logique, quand on sait que Dunham est aussi la fille de Laurie Simmons.
Et puis Girls arrive. Un peu avant 2012. Kirke dit oui au projet comme on dit oui à une pote, sans grande conviction. La preuve est qu’elle voudra se retirer de la série au bout d’une saison, quelque peu déstabilisée par le portrait que Dunham a d’elle, à travers le personnage de Jessa. Jessa est peintre. Tout comme Jemima. Jessa est allée en rehab. Tout comme Jemima. Mais Jessa est aussi une narcisse des temps modernes, un peu chiante sur les bords qu’on aime détester jusqu’à l’admiration la plus déchaînée. Mais on ne peut pas vraiment en dire de même pour Jemima. Ceux qui la connaissent vous le raconteraient. D’elle, on la dit surtout engagée, vulnérable et honnête. Fort envisageable, quand on creuse un peu le portrait.
Il faut dire que Kirke a la discrétion comme arme, ce qui bien évidemment crée un certain gap avec sa collègue passée maître dans le dérapage. Mais n’y voyez là pas une façon crasse de mettre en apposition Dunham et Kirke. Juste une remise à niveau sur une personnalité de second plan, seulement confondue avec ce personnage devenu presque encombrant, à certains égards.
Pas du genre à vraiment s’imposer, elle raconte la difficulté qu’elle a pu rencontrer dans sa carrière d’actrice, parce que qui dit femme dit forcément diva. Alors qu’elle n’arrive pas à boucler une scène, une amie elle aussi actrice lui dit: «Si tu as besoin de vingt minutes, alors prends-les. Si tu étais un homme, on te les donnerait sans hésiter». Un conseil qu’elle n’hésite plus à même à exécution, y compris dans sa vie.
Chez elle, les mots sont posés, choisis. Quand elle parle de son avortement. Ou quand elle appuie la nécessité d’un féminisme intersectionnel. Dans son discours, les choses sont simples, directes. Sans doute son côté british. Il faut dire que son assurance peut parfois déstabiliser. Traces de son enfance, traitée d’adultes à adultes dès son plus jeune âge. Une ado beaucoup trop butée, beaucoup trop à l’aise pour son propre bien, dira-t-elle, amusée.
Mais peut-être est-ce aussi une façon de se protéger, quelque part, quand l’intimité devient trop difficile à porter. Se cacher derrière un écran de fumée, pour éviter de se confronter aux failles.
Mais l’âge aidant, Kirke a réalisé qu’il est surtout important de se construire en fonction de son propre regard, et pas à travers la perception des autres, comme ça peut parfois être le cas à l’adolescence. Vieillir n’est pas un problème pour elle, au contraire. Elle y voit là une chance de se détacher enfin de la pensée de son physique. Ne se poser aucune restriction, et surtout pas de calculs. Un soulagement. Plus facile à dire qu’à faire pourtant, c’est certain, tant la réappropriation de son corps peut être parfois une lutte difficile pour certaines. Mais la philosophie, aussi simpliste soit-elle, est toujours bonne à garder dans un coin de tête.
Et puis aussi il y a le soulagement d’être enfin la mère qu’elle veut être, débarrassée de cette honte qu’on inflige à celles qui refusent de se conformer à l’idéal imposé. Un combat qui tient particulièrement à Kirke, inspirée de sa propre expérience personnelle. Car même si elle reste beaucoup plus discrète dans ses paroles que sa camarade de tournage, Kirke n’en reste pas moins une féministe convaincue à qui on devrait prêter un peu plus souvent une oreille attentive.