Nous sommes l’été 2015. Je reviens d’une année d’échange à l’étranger, j’enchaîne un stage qui m’ennuie beaucoup et il fait très chaud. C’est a peu près tout ce dont je me souviens de cette période sans intérêt de ma vie. Ça et le sentiment d’être en décalage avec le monde que j’avais quitté une année auparavant et que je retrouvais avec désarrois. Il faut dire qu’autour de moi, tout avait changé. Mes repères étaient bouleversés. La musique en premier. A l’époque, Zayn Malik avait quitté les One direction, mon groupe favori (j’avais 22 ans) et je sentais l’entourloupe pointer le bout de son nez (ils ont annoncé leur séparation quelques mois plus tard). J’étais triste et je crois que c’est dans un besoin de compensation que j’ai trouvé Jul comme d’autres trouvent le Christ. A ce moment là, vous allez vous demander comment passe-t-on des One Direction à Jul? La vérité, c’est que je n’en ai aucune idée. Mais comme pour les One D précédemment, mon cerveau a suivi un mécanisme mental bien huilé. Je vous explique. Il s’agit au début d’observer l’individu ou le groupe qui suscite l’enthousiasme chez une partie de la population avec curiosité, de plisser le yeux et de rigoler parce que c’est quand même pas sérieux. Au final, on finit par tâter la chose avec un bâton pour voir comme elle réagit, et sans trop comprendre pourquoi, on se retrouve à faire des grands cœurs avec les mains dans les gradins de Bercy.
Revenons à nos moutons. En 2015, le rap français vivait une de ses années les plus fastes. On assistait aux premiers pas de PNL, à la sortie de A7 de SCH ou encore au premier album solo de Nekfeu. Mais 2015, c’était aussi l’année de Jul (même si ça faisait déjà plus d’un an qu’il raflait du roro à tout va) qui, face à cette épidémie de lissages brésiliens et de mèches rebelles faisait en quelque sorte figure d’outsider capillaire et musical. Ptit gars venu de Marseille, Jul c’était un peu l’enfant différent, celui qui parle tout seul à un coin de mur, le regard rêveur et le sourire aux lèvres. Dans ma jeunesse, je ne me souviens pas avoir particulièrement témoigné d’affection à l’égard de ces enfants que la maîtresse forçait à considérer mais avec l’âge, et la suspicion d’être l’un d’entre eux à chaque fois qu’on dit me tapote l’épaule en me disant que je suis quand même une gentille personne, je me suis mise à apprécier ce genre de personnalité et, une chose en entrainant une autre, à vouer un véritable culte à Jul. Spoiler alert: il ne m’a jamais déçu.
Tout d’abord, Jul fait figure de guide dans ce monde capitaliste impitoyable. Quand j’ai commencé à suivre avec attention sa petite carrière, le gars venait de se faire jeter comme un mal propre de son label de l’époque, Liga One. En gros il s’était fait bananer pendant plusieurs années ne touchant aucun centime sur les ventes de ses albums pourtant certifiés, chose qui n’était pas si grave puisque selon les patrons du label, il bénéficiait de «visibilité», faisait des showcases, tout ça (vous connaissez la chanson). Comme Jul était content de vivre de sa passion, il n’a pas tout de suite capté l’entourloupe, et quand il l’a signalé, l’affaire a tourné au vinaigre: son label a fait supprimer sa chaîne Youtube tout en l’empêchant de sortir de nouveaux sons. Une annonce dramatique quand on se rappelle des mots bien trop intenses du boss de Musicast (son distributeur) qui expliquait: « s’il ne chante pas, il meurt »… Comme vous avez pu le constater, Jul n’est pas mort. Non non non. Tel le phénix qui renaît de ses cendres, l’homme est parvenu à construire un empire, déclinant toutes les propositions de contrat de la part des maisons de disque attirées par l’appât du gain pour créer son propre label, finement nommé d’Or et de Platine. Un exemple de réussite pour tous les freelances de France et de Navarre qui mangent du pain dans du pain mais qui sont riches de visibilité et d’expérience.
Parce que Jul ne semble pas avare niveau leçons de vie, il s’impose aussi comme un véritable rôle modele en ce qui concerne l’acceptation de soi. Il faut dire que le regard des autres, Jul semble s’en laver les mains. Il sort une déclinaison de la même pochette d’album depuis maintenant cinq ans, mise sur des clips audacieux qui mêlent science fiction petit budget et scripted reality façon quartier et se pointe en survêt’ d’Or et de Platine aux Victoires de la Musique, défiant ainsi toutes les règles du dress code en vigueur, pour réaliser un medley autotuné sous le regard abasourdi de la profession qui s’est d’ailleurs résignée à lui donner un prix, deux ans après la sortie de son album (un prix qu’il sobrement accueilli par un signe Jul). En fait, c’est comme si un champ électromagnétique se dressait entre le monde et lui, le rendant insensible au venin des haters d’une part, et aux manifestations de bon sens d’une autre. La vérité, c’est que seul l’avis de sa #Teamjul compte et ça c’est beau. Ainsi, quand elle s’est mobilisée pour lui signifier qu’afficher sa tête éclairée par le faisceau d’une soucoupe volante façon Soupe aux choux en guise de pochette d’album c’était abusé, il l’a immédiatement troqué pour une autre visuel, ce que n’a malheureusement pas fait Kalash Criminel. Et c’est bien dommage.
Alors voila, je n’aime pas toutes ses chansons. D’une part parce qu’au rythme où il les pond, il m’est impossible d’écouter toute sa discographie sans prendre de RTT (lol j’ai suis freelance), d’autres part, parce qu’à moi aussi, il m’arrive de me perdre dans ce mélange de rap, de variet‘, de dance, de raï et de pleins d’autres chose qui compose sa musique. Mais, dans la chasse au trésor permanente que constitue chaque sortie d’album, on trouve pas mal de perles et de réconfort. Quand il n’est pas occupé à faire du TMax en Y, à boire du Jack Miel dans l’Coca avec les copains, ou a faire des tofs avec des mamies, JuL c’est un type pas très heureux, un peu seul et grisé par le succès (il explique d’ailleurs qui s’il devait tout recommencer, il rapperait cagoulé pour ne pas être reconnu) qui passe sa vie en studio pour ne sortir que très tard le soir afin éviter les débordements des fans. C’est le gars qui est capable d’écrire un tube à base de « au volant du vroom vroom c’est nous qu’on pilote » puis d’enchainer avec une chanson touchante sur son petit frère qui tirerait les larmes à n’importe qui ou un texte de lover qui t’envoie plus d’amour que tous les psychopathes avec qui tu t’entêtes à construire une relation.
Quatre années plus tard, malgré les reprises d’Eddy de Pretto, dont les fans s’étonnent que le texte qu’il interprète est en fait «beau», les déclarations de chanteuses à franges et les interviews de Mouloud Achour qui font passer ma passion pour une sorte de hype de l’étrange, il m’arrive toujours d’avoir un peu honte de cet amour. Alors, je repense à la scène de clôture de Batman: The Dark Knight Rises, quand le chef de la police explique que Batman est le héro que Gotham mérite mais pas celui dont la ville a besoin et que, du coup, on le chasse car lui seul est capable d’encaisser. Personnellement, je pense que la France mérite Jul mais qu’elle a besoin de se rassurer en se disant que sa vraie force, ce sont les chanteurs « à texte » qui pompent les années 80 avec «chic». Alors ok, Jul revisite aussi cette période de la musique française, mais quand il remplace « Les démons de minuit » par «Les Sheitan de l’ennui», ça a quand même plus de la gueule. ET MERCÉ HEIIIIN!