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lundi, 11 juin 2018

La débandade

Par
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J’ai été ado dans un monde bien antérieur à celui du #MeToo.

Aller sur Internet était une sacrée galère. Grosso modo, il fallait piquer les zines de ses darons ou taper « sexe » dans Google (sans ADSL) pour se faire une idée. Grosse ambiance.

On ne m’avait jamais parlé de consentement. J’avais entendu parler de viol, bien-sûr, mais à aucun moment je n’aurais pensé que ça pouvait arriver avec son mec ou sa meuf par exemple. On m’avait très peu parlé de désir, quasiment jamais de MST, et encore moins du fait que j’avais le droit de dire non.

En fait, je suis arrivée dans la vie sexuelle avec une connaissance très limitée de la chose.

Par chance, mon entrée en la matière a été carrément cool. J’étais raide dingue d’un mec qui m’aimait tout autant, tout juste un peu plus expérimenté que moi, il était doux, à l’écoute, bref, l’amant idéal. J’avais 15 ans, il en avait 17 et la vie était belle.

C’est après que ça a commencé à être le bordel. Quand cette première relation s’est terminée, j’avais 18 ans et allez savoir pourquoi, j’étais mais PERSUADÉE qu’une sexualité débridée avec un maximum de partenaires était ce qui se faisait de plus cool.

Je pensais par exemple que sucer un type dans les toilettes d’un club était une preuve irréfutable de ma toute puissance. Je possédais une collection de porte-jarretelles à faire pâlir toute l’équipe de prod de Marc Dorcel. J’avais des sex toys en pagaille, principalement achetés pour faire la grande et que je ne savais pas utiliser.

Voilà le tableau. Entre 18 et 23 ans, je couchais avec des mecs, tout le temps, partout, dans la rue, dans un hall d’immeuble, dans un parking, je me faisais attacher si on me le demandait, je leur disais des trucs dégueulasses si ça les excitait, sans AUCUN PROBLÈME.

Putain quand j’y repense.

En fait, je pensais qu’accepter d’aller toujours plus loin avec les mecs était juste NORMAL. Je ne pensais même pas que refuser une avance était autorisé.

Dire non, c’était forcément être nulle / frigide / vieux jeu. C’était forcément devenir la risée de toute l’île de France. Tout ce qui m’importait, c’était d’être la meuf la plus bonne qu’on se soit jamais tapée.

Et jamais, mais alors JAMAIS, pendant toutes ces années je me suis demandée ce que MOI j’aimais. Ce que MOI je voulais.

Il m’a fallu des années d’apprentissage en autodidacte pour parvenir à une sexualité dans laquelle je m’épanouisse vraiment. Et aussi l’intervention d’un mec qui aimait vraiment le sexe pour m’ouvrir les yeux. Il m’a appris à découvrir mon corps, à l’écouter, et surtout à recevoir autant que je donnais. Il m’a montré du porno indé qui mettait plus en scène le désir des protagonistes que leurs pénis démesurés. Il m’a appris à partager certains fantasmes et à en garder d’autres pour moi. Et surtout, il m’a démontré l’importance cruciale de parler de sexe, au moins autant qu’on le pratique.

Aujourd’hui, j’ai 25 ans et je sais ce que j’aime, je sais ce que je n’aime pas, je connais mes limites, j’aime jouer avec elles parfois, et des fois je n’ai juste pas envie de baiser. Et tout ça, c’est cool.

Je ne me mets plus la pression avec le cul. Je le prends comme il vient : un moment de partage entre deux adultes consentants. Souvent c’est très normal, type missionnaire/levrette pliées en 20 min, et c’est ok. Parfois c’est génial, et dans ce cas là, tant mieux. Coup de bol.

Récemment, j’ai rencontré un mec très cool. Après quelques verres, on a décidé de rentrer chez moi. À ma grande surprise, il ne voulait pas mettre de capote.

“Ça le faisait débander”.

Pour moi, hors de question de le faire sans. Ça m’est déjà arrivée, évidemment, et je me suis justement assez tapée de coups de flip suivis de semaines de culpabilité pour m’être jurée de ne jamais recommencer.

Et surtout, mais SURTOUT, ON S’EN BAT LES COUILLES SI TU DÉBANDES. Je répète : on. s’en. bat. les. couilles.

On fera une pause. On recommencera plus tard. Non, je ne penserai pas que t’es une merde. Ça va bien se passer, je t’assure.

Non, je ne prends pas la pilule. Et non, les IST c’est pas que pour les homos.

À l’issue de la discussion, il m’a dit ok, il m’a dit t’as raison, on a mis le préservatif et on a fait l’amour.

Et quand il a fini, j’ai réalisé qu’il n’y avait plus de capote. Il l’avait enlevée. Pendant. À mon insu. Et il avait joui en moi.

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……..….

J’ai pleuré trois jours, je l’ai insulté des heures, j’ai pris la pilule du lendemain, j’ai hurlé, j’ai regardé sur Internet les traitements d’urgence contre le VIH, c’était trop tard, j’ai noté le jour exact où je pourrai aller me faire dépister, je me suis sentie souillée, abusée, j’ai pleuré encore, et quand je n’ai plus eu de larmes, j’ai réfléchi.

Ce mec avait tellement peur de débander, tellement peur de ne pas assurer une performance digne des meilleurs pornos mainstream, qu’il a préféré prendre le risque que je tombe enceinte - ou qu’on attrape un truc. Ma santé physique et mentale était tout simplement moins importante que son érection.

Putain.

Moi qui pensais être la seule bouffonne à m’être jamais autant foutu la pression avec le sexe. Ce mec n’était pas un gros con pourtant. À ce moment précis, il n’était ni plus ni moins la gamine de 19 ans en porte-jarretelles que j’avais été. Flippé, paralysé, et oui, un peu con.

Je ne sais pas si d’où vient cette peur bleue de débander. Sûrement du même endroit que celui qui m’a fait repousser toutes mes limites quand j’étais plus jeune. Et ça me rend terriblement triste.

Je ne sais pas s’il faut blâmer l’industrie du porno, l’éducation sexuelle à l’école, le dialogue à la maison ou que sais-je encore. Ce que je sais, c’est que ces 10 années de sexualité chaotiques m’ont amenées à un constat : il faut vraiment, vraiment qu’on apprenne TOUS à se foutre la paix.

Roca Balboa

Bricole Gueurle officielle de la Team Retard
Roca Balboa est née en 1990 et aimerait bien réadopter des rats. Amie d'Anna, la première fois qu'on l'a rencontrée on a vu un petit chaton tout mignon. Puis, en mangeant un kebab sur un banc, on a constaté la bouche pleine d'une viande qu'on connaissait pas qu'elle avait la gouaille la plus hardcore qu'on connaisse. Et un putain de talent pour le dessin. SON SITE PERSO : http://rocabalboa.com/