RETARD → Magazine

lundi, 03 novembre 2014

La guerre d’Oscar, rencontre avec Clément Béraud

Il y a 100 ans, certains d’entre nous auraient dû mettre une paire de chaussettes dans leur sac et partir au front sans poser de questions. Pour ne jamais revenir, ni revoir une seule fois leur famille avant de mourir.

La Première Guerre Mondiale se fait vieille. Nos grands-parents et arrières grand-parents l’ayant connue sont maintenant morts, et nos livres d’histoire sentent la poussière. Que reste t-il alors ?

Le regard des jeunes. Notre regard. Si plus personne n’est là pour nous raconter ce qui s’est réellement passé, alors peut-être est-il temps de se ré-approprier les souvenirs, en faire une affaire personnelle. C’est le regard du jeune photographe Clément Béraud qui m’a interpellée, lorsqu’une amie m’a fait suivre sa série photo « Oscar ». Clément est parti sur les traces de son arrière grand-oncle, à la recherche des lieux où cet ancêtre inconnu a attendu de longues heures dans la boue et a risqué plusieurs fois sa vie sans avoir le choix.

Clément nous propose une vision désespérée de ces lieux, hantés par des âmes dont la mémoire s’oublie peu à peu. À travers ce devoir de mémoire, le photographe s’est approprié l’histoire de ce soldat, et au sens plus large, est revenu sur ses propres origines.

À ce jour, les grandes institutions (Mission du Centenaire, les mairies, associations d’anciens combattants…) ne relaient que très peu les jeunes initiatives. Comme si le fait de ne pas avoir connu cette guerre ne nous donnait pas le droit d’en parler en son nom propre. Vous pensez bien qu’on ne va pas laisser faire. Voici une histoire parmi d’autres, de ces paroles enterrées qui attendent quelque part sagement au fond d’un grenier, qu’un petit gars vienne les dépoussiérer à sa manière.

  • slide_11

Coucou Clément, pour commencer, peux-tu te présenter ?

Clément, 26 ans, j’habite à Paris. Je suis photographe et plein d’autres choses.

Comment en es-tu venu à la photo ?

Un peu par hasard, après le Bac, je suis parti faire des études de Sociologie à Tours, j’y suis resté 2 ans. Mais être derrière un bureau et lire des textes à longueur de journée m’a vraiment gonflé. Le rythme « fac » me laissait trop le temps de faire n’importe quoi.

Au bout de deux ans, j’ai voulu arrêter et me concentrer sur quelque chose qui pouvait allier le fait d’être un peu plus « libre » et d’en savoir un peu plus sur les différentes sociétés et nos comportements. La photographie m’est venu un peu toute seule, j’ai tenté le concours d’une école sur Paris, et je l’ai eu. C’est parti comme ça.

Parlons maintenant de ton projet « Oscar ». Comment es-tu tombé sur ces cartes postales ?

En janvier 2013, je suis tombé sur des vieilles boites chez mes parents, et à l’intérieur, se trouvait tout ce qu’il reste des vies familiales passées. Des photos de mariage, des photos de copains autour de verres de pinard. Ces photos venaient du coté de mon père.

Là dedans, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de lettres, et c’est mon père qui m’a expliqué que c’était mon arrière grand-oncle Oscar qui les envoyait à mon arrière grand-mère pendant la première guerre. Ils étaient très proches. Comme le XXème siècle est une partie de l’histoire qui m’intéresse et que la guerre des tranchées en est la base, j’ai décidé de monter ce projet.

Peux-tu présenter le soldat dont tu parles dans cette série photo ?

Oscar est né à Valenton dans le Val-de-marne (94) c’est la ville d’où est originaire la famille du coté de mon père. Son père était cultivateur et vendait ses légumes aux halles de Paris, Oscar l’aidait avec son frère François. Il avait également une sœur Eugénie, qui est mon arrière grand-mère.

Il est parti à la guerre en décembre 1914, à l’âge de 19 ans, il a été blessé une première fois au crâne. Un éclat d’obus l’a touché une deuxième fois au bras droit. Il est resté au front jusqu’en Mai 1917, date spécifiée dans sa fiche matricule où il fut amputé de l’index droit et notifié de troubles trophiques. Il ne pouvait plus tenir un fusil et a été envoyé dans les sections de commis et ouvrier administratif à l’arrière. Je ne saurai jamais comment il a perdu son doigt car cela n’est pas spécifié, contrairement aux autres blessures qu’il a eu. En avait-il marre ? Était-il à bout ? S’est-il lui même blessé volontairement? Mai 1917 était la période des mutineries alors je ne sais pas… Mais l’ennui profond et la tristesse de voir ses potes crever n’a pas dû l’aider. Il n’en a plus jamais parlé par la suite, ni à sa femme, ni à sa fille.

De quoi parle t-il dans ses lettres ?

Oscar était comme beaucoup de soldats, souvent en deuxième, ou troisième ligne, dans le froid ou la chaleur étouffante, dans la boue et dans la puanteur, à attendre qu’on l’envoie en première ligne. La plupart de ses lettres relatent un ennui profond et une volonté de rentrer chez lui. Dans une de ses lettres adressée à sa sœur, il s’inquiète de ne pas avoir de nouvelles de ses parents et menace de rentrer à Valenton, « quitte à passer au tourniquet » (NDLR : désertion donc fusillade). Le reste du temps il était en caserne à l’arrière pour former les jeunes recrues et c’était sûrement les seuls moments où le moral était au mieux (l’ennui est moins présent et il parle de balades qu’il a fait et qui sont « très belles »).

Contrairement à ce que l’on pense, un poilu passait une semaine tout au plus par mois en première ligne, et ne chargeait pas tant que ça. C’est les obus qui ont tué le plus de soldats, certains sont morts sans même avoir vu l’ennemi.

Tu n’as pas connu ton arrière grand oncle, est-ce que tu t’es tout de même senti proche de lui ?

Il est décédé en 1970, donc je ne l’ai pas connu oui. En revanche j’ai connu mon arrière grand-mère, décédée quand j’avais 5 ans. Au début, je ne savais pas grand chose de lui, mais en lisant les lettres et en regardant les photos, j’ai perçu son histoire, ses sentiments, sa tristesse quand il était là-bas. Et puis il y a des ressemblances physiques avec mon père alors oui, j’ai fini par me sentir proche de lui. En réalisant ce projet, j’ai eu l’impression de le refaire vivre une seconde fois, pour qu’il puisse témoigner.

Le lieu où tu prends tes photos est très important, raconte nous comment tu t’y es pris.

Pour savoir exactement où il est allé, j’ai demandé sa fiche matricule sur laquelle on renseigne normalement les blessures, les batailles, les campagnes qu’ils ont faites etc. En général, tous les déplacements de son régiment sont marqués. Tout dépend du gars qui a écrit ses fiches. Moi, pas de bol, le gars avait juste marqué « campagne 1914-1918 - Allemagne » mais comme il a été très souvent blessé lors de ses combats, j’ai pu deviner ses batailles.

J’ai donc procédé à un travail de recherche pour savoir où étaient des lieux comme « Noulette », « Soyécourt » etc. J’ai recoupé les infos en lisant également les journaux de marche de son régiment, et divers articles qui font référence aux batailles, pour savoir comment s’était déplacé son régiment et dans quel but à chaque fois.

C’est donc comme ça que j’ai commencé à aller dans l’Artois, vers Lens. J’ai remarché sur ces lieux de tranchées, je suis retourné dans le petit bois où il a été touché au crâne. Il existe encore, 100ans après. Les trous d’obus sont encore visibles d’ailleurs, et j’ai retrouvé en marchant dans les champs, une balle, et un bout de barillet. Puis direction Soyécourt dans la Somme, où il a été blessé au bras. Je suis également allé à Verdun où son régiment a participé à des mouvements de batailles. Ensuite le Chemin des Dames. Et enfin Langres, là où son régiment casernait et là où il passait beaucoup de temps à former de jeunes soldats.

En fait, j’avais l’impression de le suivre, et sur chaque route, chaque chemin, chaque bois ou champ, je l’imaginais là, en galère avec ses potes dans la boue. Ça m’a pas mal marqué, j’encourage tout le monde à le faire, ces lieux sont vraiment chargés en émotion.

Est-ce que c’est un travail d’investigation sur l’histoire de ta famille, ou quelque chose de plus général ?

C’est difficile à dire. Au début, je voulais réaliser quelque chose sur un poilu parmi tant d’autres, un jeune gars cultivateur, qu’on envoie à la boucherie, un truc plutôt documentaire, au fur et à mesure, j’ai appris des choses sur ma famille, et évidemment cela a pris un peu en charge émotive, un travail historique sur la famille de mon père. Au niveau de mon travail photographique, je voulais montrer des lieux communs, des lieux anodins dénotés de tout objet perturbateur. Lorsque j’étais sur le terrain, je me fixais un protocole strict. Garder la distance, se focuser sur les strates de couleur, l’abstraction des lieux (bâtiments, bois etc…) Je voulais garder une certaine objectivité pour amener un lien entre la partie archives et l’histoire d’Oscar. Que le lieu soit évoqué en relation avec son histoire.

Qu’on se dise « C’est un endroit commun mais il s’est passé quelque chose ici. »

As-tu parlé de ce projet à ta famille ? Si oui, qu’en pensent-ils ?

Oui, ils ont été les premiers à le savoir. Ils sont tous très fiers de ce parcours et de pouvoir retracer l’histoire d’Oscar. J’ai aussi senti un lien générationnel venant de ma mère et de ma grand-mère, qui m’ont demandé de faire également des recherches sur leur histoire. On est tous plus ou moins fier d’avoir eu de la famille « tombée pour la patrie ». Même si aujourd’hui, ce sentiment ne devrait plus avoir lieu d’être.

Avec quel matériel ou procédé travailles-tu ?

Je travaille en argentique, avec un Hasselblad au format 4,5×6. Le tout au trépied.

Comment le projet suit son court aujourd’hui ?

Il a été publié dans le fish-eye n°7 de cet été, j’ai également participé à une exposition collective sur la Guerre des Tranchées en Juin, au Centre d’Art Contemporain de Touzac dans les Charentes. Une exposition qui réunissait sculpteurs, dessinateurs, peintres et photographes.

Je cherche à l’éditer en bouquin, le projet compterait une centaine de pages et regrouperait plus d’images que ce que je montre sur mon site. Je suis en ce moment à la recherche d’une maison d’édition (contactez moi!). Je suis aussi en relation avec un ami graphiste (Rémi levezier pour la pub) qui s’occupe de toute la mise en page. La maquette est finie.

Je n’ai pas (encore) de renommée ni de soutiens financiers, dans ce cas-là il est très difficile de faire valoir sa seule motivation. Quoi qu’il en soit j’ai tout réalisé tout seul avec les moyens du bord et sur mon argent personnel (ce qui m’a quelque fois foutu dans la merde).

D’autres projets sur le feu ?

J’ai commencé un travail à la chambre photographique, mais c’est au stade du plaisir pour l’instant.

Retrouvez le travail de Clémend Béraud sur http://clementberaud.com

Et ne manquez pas de relire notre formidable article sur les Gueules Cassées

Ophelie

Ophélie est née en 1988 et un super putain de vélo. Leader de groupes de filles aussi ultra classes ( Fury furyzz et Mercredi Equitation), la jeune donzelle au casque d'or dorénavant chroniqueuse radio et constellée de tatoo fait parfois un peu flipper. Elle crie fort, quand même. Mais au cas où, rappelle toi ces propos: elle fait les soldes chez Jennifer, et possède la larme facile à l'écoute d'un bon vieux titre de son cd de dance machine 2001. Un coeur en chamallow on t'a dit.