Elizabeth, c’est un peu le genre de femme qu’on aimerait avoir dans son entourage, tout près. Pour nous susurrer tout le courage du monde quand on doit gravir des montagnes. Elle fait partie de celles qui n’ont peur de rien, pas même de construire une maison seule, à bout de bras et sans un rond. Une guerrière des temps modernes. Et c’est avec une certaine malice entremêlée d’une pointe d’admiration que Morgane a filmé ce projet un peu fou, donnant naissance à un documentaire faisant d’Elizabeth le personnage principal de cette aventure. Mais à travers Elizabeth, c’est aussi un portrait en creux de Morgane qu’on entrevoit. Du coup, on a échangé toutes les trois en faisant des parallèles sur le film, la question de la place de la femme actuellement et sur ce combat perpétuel pour trouver nos fondations et un point d’équilibre, comme cette maison en forme de A. Elizabeth et Morgane mènent deux combats de front : l’une pour finir sa maison, l’autre pour faire vivre son documentaire.
Dans le film, on vous entend échanger quelques mots. On s’aperçoit que vous êtes très proches toutes les deux sans jamais connaitre réellement la nature de votre relation.
Morgane : On est amies de longue date. J’ai rencontré Elizabeth dans la librairie de mes parents à huit ans et je faisais des pieds et des mains pour que mon père m’emmène tous les dimanches la voir. Après on s’est un peu perdues de vue car j’étais à Paris. Je revenais une fois par an mais je passais la voir à chaque fois. Un jour elle m’a parlée de son projet et j’ai décidé de la suivre.
Elizabeth : Dans le coin, tous les gens qui passaient voir la construction pensaient qu’on étaient amantes. Tu ne peux pas être une femme seule. Il faut toujours que tu sois accolée à quelqu’un ! On se bat là-dessus depuis tellement longtemps.
Morgane : Après l’une des projections, on a été dans un bar et le barman a demandé à Elizabeth si son mari avait aussi construit la maison !
Elizabeth, tu évoques l’idée que ta vie professionnelle a été compliquée car tu es une grande gueule. Ça a été difficile pour toi d’être une femme architecte ?
Elizabeth : J’ai fait beaucoup de chantiers. Tu arrives à te faire respecter par les mecs mais faut les castrer. J’allais faire la tournée de mes chantiers en tenue panthère dans ma 203 berline ! Un jour il y a un mec qui m’a dit : « Est-ce que vous êtes consciente que vous avez une grande gueule et que je ne peux pas vous inclure sur mes chantiers car vous me fouteriez un bordel monstrueux ». J’ai toujours été complètement libre. J’ai jamais fait de compromis. On m’a dit que les seuls filtres que j’avais c’était dans mes cigarettes !
Tu peux nous parler un peu de la construction de la maison ?
Elizabeth : Mon copain Hugues est venu 8 jours pour me filer un coup de main et j’ai employé un mec pour m’aider à monter la structure. On pense toujours qu’on est incapables de réaliser un truc pareil mais on est capable de tout et moi j’ai peur de rien. Tout est possible depuis que je suis née.
Parce que tu as été éduquée avec cette vision des choses ? Que tout était réalisable ?
Elizabeth : Pas du tout, j’étais considérée comme l’idiote de la famille. J’étais très belle et on allait me marier parce que j’étais con. Quand je suis partie faire mes études en Angleterre, mon père n’a pas voulu payer mes études. Il me disait que j’étais trop con pour être archi. Il faut avoir peur de rien. T’as envie de descendre de la voiture parce que ton mec te fait chier, ben tu descends de la voiture au milieu de nulle part et puis tu lui dis d’aller se faire foutre. Faut prendre le risque d’être heureuse et libre. On a une vie, faut y aller à fond quoi. Tout le monde me disait que j’étais complètement folle avec cette maison et je leur ai tous dit de ne plus revenir me voir car ils me foutaient le moral en l’air.
Dans le film tu parles de chantiers participatifs dont tu as fait partie. Tu continues un peu cette démarche ?
Elizabeth : Non ça ne m’intéresse plus dans le sens où ça me fait un peu chier. C’est tous des jeunes qui ne t’écoutent pas et qui font ce qu’ils veulent. Ça me gonfle un peu. Mais la maison fait des petits, il y a plein de gens qui viennent la voir. Tout le monde peut venir mais il faut ramener la bouteille de pinard.
Comment tu perçois le fait que l’Etat ne s’investit plus dans son rôle d’accès au logement alors que le droit au logement est un droit constitutionnel ?
Elizabeth : Je trouve que les gens se reposent un peu trop sur les aides. Ça les rend un peu faible et c’est pas mal d’avoir à se battre. Mais bon, pour les SDF ça craint un max. Dans les années 60, nous les bonnes femmes on s’est battues pour le droit à l’IVG et ça nous a rendues plus fortes. De toutes façons, il n’y a plus de politique de logement. Et c’est pour ça que j’ai fait cette maison. Pour montrer qu’on pouvait faire quelque chose. J’ai contacté pas mal d’associations pour leur parler de mon projet et leur filer les plans. Mais elles n’étaient pas intéressées. Emmaüs m’a envoyée bouler car ils ont déjà leur projet mais c’est un abri de jardin leur truc, c’est pas une maison. Il y a une espèce de bagarre d’ego. Les associations ne font pas avancer les choses. Moi je fais mon truc de mon côté mais je ne comprends pas tellement comment fonctionnent les associations et les administrations.
Morgane, tu étais donc à la Femis à l’époque du tournage. Ils t’ont aidé dans ce processus créatif ?
Morgane : J’ai installé ma tente sur le terrain au début du chantier. À l’époque je suivais un cursus à la Femis. Donc j’étais trois semaines sur le chantier et une semaine à la Femis.
Elizabeth : Elle revenait ici complètement déprimée car ils n’étaient pas d’accord sur la vision du film. Mais le jour où le film a été projeté à la Femis, Ils lui ont tous dit qu’elle avait bien fait de ne pas avoir écouté leurs conseils ! On arrive à comprendre des choses contre quelque chose finalement. Si on a un combat à mener, ça nous fait travailler l’esprit.
Morgane : Ils m’ont félicitée d’avoir été aussi têtue !
Est-ce que tu peux nous parler un peu de la distribution de ton film ?
Morgane : Je suis seule sur ce projet. J’avais un producteur à la base mais on s’est séparés en cours de film. Je voulais faire un 52 minutes pour essayer de le vendre en télé et puis je me suis dit que si je n’avais plus de prod, autant faire un long métrage et essayer de le distribuer partout. Là ça fait un an qu’il est sorti et ça commence à bouger.
On sent deux problématiques que tu rencontres Elizabeth pour cette maison. D’un côté il y a l’aspect administratif chiant et de l’autre ce manque de soutien de tes proches. Qu’est ce qui t’a affecté le plus ?
Elizabeth : C’est surtout que j’attendais un soutien moral en fait. Mes potes ne sont pas venus me voir sur le chantier. Mes potes, que je voyais une fois par semaine pour boire des coups, ne sont pas passés une seule fois alors qu’ils habitent à dix minutes d’ici. Ils trouvaient le projet super mais dès que ça devient une réalité c’est trop pour eux.
Morgane : C’est comme les gens qui visitent la maison et qui disent que le plan de travail de la cuisine est génial. Ils ne réalisent pas que le reste de la maison a été fait par une nana de 65 ans.
Elizabeth : Dans le film, on a l’impression qu’il y a beaucoup de gens sur le chantier alors que j’ai fait la maison à 98% toute seule. Le mec qu’on voit venir m’aider le soir c’est parce qu’il était amoureux de Morgane et qu’il voulait montrer ses muscles ! Ça m’arrangeait pas mal. À l’une des projections du film, il y a un des mecs qui m’a demandé ce que je pensais de l’architecture des hommes, les trucs massifs et moi je lui ai dit que c’est toujours cette histoire de taille de bite. Ça a choqué toute la population masculine ! Ils étaient choqués car j’avais utilisé le mot bite. Quand t’es une femme t’as pas le droit de dire bite. Les hommes ont encore beaucoup de chemin à faire de ce côté-là. Mais la génération des trentenaires chez les femmes, ça avance. Moi je suis entourée de bonnes femmes victimes, coachées par des mecs. Mais chez les plus jeunes ça bouge, vous avez une pêche d’enfer.
Si vous voulez visiter cette maison singulière, aussi singulière que sa propriétaire, c’est en Dordogne que ça se passe. Mais n’oubliez pas d’apporter la bouteille de vin ! En attendant, voici la liste des projections à venir :
Festival Toiles sous Toiles – Clichy sous Bois – 17 novembre 2017
Institut Catholique de Paris – 5 décembre 2017