RETARD → Magazine

lundi, 20 janvier 2014

LA MALÉDICTION DE LA PILULE

Par
illustration

Après Elsa qui nous a dévoilé les quelques bonheurs d’être une fille, c’est mon tour de partager un des rituels qui accompagne une grande partie de la vie d’une meuf : la pilule. Un sujet qui n’arrive pas totalement au hasard en fait puisque je prépare un papier sur les jeunes femmes et leur rapport à la pilule un an après les différents scandales de santé publique sur les pilules de troisième génération. C’est un peu frustrant d’écrire sur un sujet qui me concerne sans pouvoir réagir et donner mon avis alors je profite de mon statut de collaboratrice Retard pour partager ma petite histoire personnelle. Ça ne sera pas sale, juste pas trop glorieux pour moi qui vais devoir revenir sur ma vie sexuelle. Et parler de ce que j’appelle aujourd’hui ma malédiction de la contraception… Si si tu vas comprendre.

J’ai eu 28 ans en 2013. J’ai commencé à prendre la pilule à 17 ans. Pour l’acné. Ah oui je vais aussi vous parler de mes boutons. Parce que la pilule est intimement liée à l’état de ma peau dans mon cas. Donc. Dix ans de pilule par intermittence. 17 ans, Terminale, je vais chez le gynéco de ma mère, super mal à l’aise (je l’imaginais regarder mon entrejambe et faire la comparaison avec ma mère…). J’étais vierge et pas disposée à être conciliante. Je voulais juste qu’elle me prescrive une ordonnance pour me débarrasser de mes boutons. Je n’avais pas eu de gros problèmes au collège mais arrivée au lycée, l’horreur. Après deux ans de traitements locaux (comprendre des crèmes qui piquent, décapent la peau et même décolorent tes draps) ma dermato m’envoie chez le gynéco.

La pilule c’était un truc auquel j’avais jamais trop pensé, j’avais des copines qui la prenaient depuis la 4ème, pour l’acné ou pour les règles douloureuses (et qui leur ont servi après de contraceptif). Pour moi c’était juste un médicament de plus et de toute façon un passage obligé dans ma vie. Commencer maintenant ou plus tard, c’était pareil. Je n’ai posé aucune question au médecin sur ce que j’allais avaler pendant trois ans, 21 jours tous les mois. Je n’y ai même pas pensé. Je m’en fichais.

C’était ma première fois. Je lui annonce dès le début que j’ai mes règles pour pas qu’elle mette la tête dedans. Elle est visiblement saoûlée de ma négligence dans mon cycle menstruel mais elle me prescrit Diane 35, le Saint Graal des pilules quand t’es une ado acnéique. Au bout de quelques mois, plus d’acné. En trois ans, elle ne m’a jamais servi de contraceptif. Parce qu’à 20 ans j’étais toujours vierge.

Persuadée que je finirai vieille fille. Sauf qu’au bout de trois ans, les boutons sont revenus. BIG TIME. Pendant cinq mois, j’étais au fond du trou. Parce que c’était pas des points noirs que t’es la seule à voir. J’étais pas la meuf de la pub Garnier. C’était des gros trucs dégueus que je ne pouvais pas cacher. Je ne sortais plus de chez moi. J’ai passé des soirs entiers à pleurer devant le miroir à détester ce que je voyais. J’étais seule et laide et en plus j’étais toujours vierge. Cette connasse de pilule que je prenais mécaniquement, sans y faire attention n’avait plus aucun effet sur moi. Loin de flipper sur ces symptômes de la saturation des taux d’hormones dans mon organisme, un jour je me suis dit qu’il fallait que je me bouge. La solution à mes problèmes d’estime, de confiance en moi et d’acné ? Le gynéco. Mais un gynéco homme.

J’arrive le jour du rendez-vous pas tellement stressée. Il est sympa, pas mal pour un “vieux”. Au bout du rouleau, je lui explique les boutons et mon absence de vie sexuelle persuadée qu’il va me trouver pathétique. Pas du tout. Hyper décontracté, il me lance “Eh bien il faut l’arrêter votre pilule si elle ne fait plus son boulot !” Sur le cul. C’est si simple que ça ? Là vient le moment des étriers et de l’auscultation : je crois que c’est ce qui m’a sauvée. Le fait qu’un homme regarde mon sexe, qu’il me dise que tout allait bien et que j’étais normale m’a rassurée. Ça a débloqué quelque chose en moi. J’ai arrêté ma pilule le jour même, j’ai oublié ce que c’était que l’acné et deux semaines après je n’étais plus vierge.

Je suis sortie quelques mois avec ce mec, sans pilule. J’ai couché avec d’autres, toujours sans contraception orale pendant plusieurs années. J’ai fait de la merde évidemment, j’ai pris la pilule du lendemain. La prochaine fois je me ferai avorter. Le boost d’hormones m’a complétement déréglée, j’ai fait une nouvelle poussée d’acné. Pas d’autre choix que de reprendre la pilule. On m’a prescrit Jasmine, pilule de troisième génération, elle aussi connue pour ses bienfaits sur les peaux “à problèmes”. Ça tombait bien je couchais avec un mec depuis quelques mois, je me disais que ça pouvait durer. Sauf que du moment où je l’ai reprise, plus de mec et plus de vie sexuelle. Rien. Pendant un an et demi. Sans rire. Et puis je décide de l’arrêter. J’avais grossi, je me trouvais moche et de toute façon, elle me servait à rien, je crois pas que la masturbation soit considérée comme relation sexuelle. Je me rends compte maintenant en écrivant que j’ai continué à prendre quelque chose que mon corps ne supportait pas pendant plus d’un an juste parce que je ne parlais pas à mon gynéco. Juste parce que je ne savais même pas que je pouvais.

Un mois après avoir arrêté, je rencontre un mec. Ça a duré quelques mois là aussi mais je le sentais pas donc pas de pilule, j’étais enfin bien dans mon corps. Seulement le mec en parle de plus en plus. Je comprends, pour moi aussi c’est relou les capotes, le retrait et tout. J’avais peur de la malédiction et des changements physiques (légers hein mais bon désagréables). Ça a pas loupé : du moment où je décide de reprendre ma prescription, plus de mec. J’te jure. Tout ça pour ça. J’avais commencé, je décide de continuer me disant que tous ces changements d’hormones n’étaient pas très bon. Croyez le ou non pendant un an et demi, de nouveau rien du tout. Mais rien de chez rien. Même pas une vieille pelle en soirée. Finalement je couche avec un ex un soir de désespoir. Une des rares fois où la pilule a joué son rôle.

Quelques mois plus tard, je finis ma dernière plaquette. Des trucs chelou dans ma culotte. C’était quelques mois avant le scandale Diane 35 et les pilules troisième génération. Devant l’ampleur des révélations et le retrait du marché de Diane, je décide que je ne la reprendrai plus jamais. Trop d’inconvénients pour pas grand chose en fait. Je réalise pas encore que je piétine honteusement tout ce pour quoi ma grand-mère et sa génération se sont battues…

Sans mentir, alors que c’était la disette sexuelle avant, j’ai baisé pendant des mois. Sauf que après un an sans pilule, les boutons sont réapparus l’été dernier. Alors bon l’acné quand t’as 17 ans tu te dis que ça fait partie du contrat, t’acceptes mais à 27 ans tu le prends moins bien. J’allais au boulot à reculons, j’annulais des rendez-vous selon l’état de ma peau, je ne voulais voir personne. J’ai repris crèmes et antibiotiques, en répétant au dermato que non, je ne reprendrais plus jamais la pilule. Rien. Et j’ai su que mon CDD serait pas renouvelé et qu’il allait falloir passer des entretiens. À contre-coeur j’ai repris la pilule. Et pour la première fois, j’ai parlé à ma gynéco. Marie-Ange, une mamie vraiment chouette qui m’a fait le plus beau compliment du monde, celui de femme physiologiquement parfaite. Je lui ai confié mes peurs, mes exs, les rencontres que j’avais faites, mes peines de cœur, j’ai parlé de mes règles, de mes seins, de mon corps, de ce que je voulais et ce que je ne voulais plus. Et ça m’a fait un bien fou. Aujourd’hui, je prends une micropilule, Leeloo (qui décide des noms des pilules ?) Je le vis bien mais si je pouvais, je l’arrêterais. Les boutons ont presque tous disparu. J’espère maintenant échapper à la malédiction et ne pas devoir attendre un an avant ma prochaine relation sexuelle. C’est loin d’être gagné… Merde.

Je ne sais pas trop quoi penser de cette “crise” de la pilule. Elle fait partie de la vie de la moitié des femmes françaises entre 15 et 49 ans et on avalera dans notre vie environ 8 000 comprimés (Ined 2010). Alors ok tous les médicaments que l’on prend ont des effets secondaires plus ou moins graves et contraignants selon les personnes mais le fait est que sur tous les gynécos que j’ai consultés dans ma vie, aucun ne m’a expliqué clairement les risques que j’encourais ou m’a demandé si ça me convenait. Aucun ne m’a débriefé mes résultats sanguins, mes taux de cholestérol ou de glycémie. Ils se sont contentés de me faire des ordonnances sans me donner les raisons de leur choix, sans me dire parfois le nom de la pilule que j’allais prendre. Et le pire c’est que je n’ai jamais posé de questions. J’ai intégré pendant mon adolescence que “prendre la pilule” faisait partie des étapes naturelles et obligatoires en tant que femme, sans jamais remettre en question cet état de fait et sans me rendre compte que je ne connaissais pas grand-chose sur la pilule.

Prendre la pilule est devenu un passage obligé. En prescrire une est devenu automatique, presque aussi anodin que donner une aspirine. Je ne renie pas le combat de nos ainées. Reste que le débat autour des pilules troisième génération aura eu au moins l’avantage de rappeler à tous la place des contraceptifs dans la vie des femmes, la chance que nous avons de pouvoir y accéder librement. Surtout il nous a appris que nous avons le droit de nous poser des questions (parfois jusqu’à la psychose je l’accorde) sur ce que nous avalons. J’avais oublié que des femmes se sont battues pour se réapproprier leur corps et leur sexualité, oublié que j’étais maîtresse des miens grâce à elles. Aujourd’hui en 2013 on peut choisir sa contraception et elle ne passe pas forcément par la pilule, quelle que soit sa “génération”.

Outro :

Je suis passée sur les ratés de la pilule que toutes les filles connaissent. Celles qui sont parties directement dans le syphon du lavabo, celles qu’on a vomies et qui n’auront pas eu le temps de faire leur boulot, les enchaînements hasardeux de plaquettes pour zapper les règles, la pilule prise avec plus de 8 heures de retard, les oublis, les deux pilules avalées en une fois pour compenser, les calculs foireux pour rattraper le coup et les pages de forums Doctissimo. Je n’ai pas parlé non plus des frayeurs qu’on se fait, conséquences des approximations précédentes. Les tests de grossesse que tu fais fébrile avec tes copines (1) et les autres que tu fais toute seule le matin (le pipi du matin est plus concentré en … en quoi ? je sais pas en fait) avant d’aller au boulot la peur au ventre (2). Le soulagement de voir que t’es pas enceinte (3). Le test que tu gardes chez toi au cas où t’aies un coup de flip un dimanche ou un jour férié.

Message personnel

Plutôt que de zoner sur Doctissimo à la recherche de jeunes filles qui voudraient bien témoigner pour mon papier, je passe mon annonce ici. Si toi aussi tu as galéré avec ta pilule, si tu l’as arrêtée, changé de contraception ou simplement envie de témoigner sur le sujet, je suis à dispo, autour d’un café ou d’une bière. Merci pour ton aide !

Caroline

Caroline est née en 1985 et a toujours la petite pochette qu'il faut. Journaliste pour un site sur les têtes couronnées, elle est incollable sur les mariages et les potins princiers. Attention néanmoins aux clichés hein les poussins, c'est aussi la détentrice de la plus grande collection de photos mettant en scène des gens pas vraiment au top du hip-hop. Une archéologue de l'internet "EWWWW", si vous voulez notre avis.

Monna Satellite

Monna a 25 ans et une passion pour les documentaires musicaux. Après avoir terminé ses études d'illustrations médicales et scientifiques (GROSSE CLASSE) et ses cours de psychomotricité, elle est devenue tatoueuse et a vécu dans un squat (BAM ! CA C'EST UNE MEUF QUI A DES COUILLES). Aujourd'hui illustratrice et tatoueuse, son rêve est de s'installer au fin fond des Pyrenées pour profiter à la fois de la mer et de la montagne et de faire son métier dans son jardin, "'A la bien" comme dirait Soprano. C'est tout le mal qu'on lui souhaite.