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lundi, 11 septembre 2017

La malédiction de la valise

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Il y a quelques mois, je constatais qu’à l’approche de l’été, nous allions de nouveau en prendre pour notre grade, nous, les « femmes ordinaires ». Les magazines dits « féminins » ne sont jamais en reste. Quelle que soit la saison, tu DOIS être au top. En ce moment, les plus chanceuses d’entre nous reviennent de vacances, elles ont quand même tenté de pas être trop moches durant cet été en suivant les recommandations « bienveillantes » des rédactrices en chef. Une question me taraude mes sœurs: avez-vous été fière de votre valise ? Parce que pour ma part, j’ai un problème avec ça.

C’est toujours pareil dans ces articles, la barre est placée très haut, soit pour te motiver toujours plus, soit, au contraire, pour te remémorer à quel point tu es dans la « lose ». C’est toujours le sans-faute qui est visé, et ça me fatigue d’avance, cette dictature de la performance. Car il faut tout avoir: la jambe galbée mais fuselée, le corps gainé mais pulpeux, la peau exempte de tous poils mais les cheveux souples et doux malgré le soleil et les baignades, la peau des seins bien lisse mais bronzée (venez donc faire un tour sur les plages de Palavas et de Carnon, vous comprendrez que « poitrine bronzée et lisse », ça ne va pas ensemble, le soleil est l’ennemi de la peau si fine à cet endroit-là)…

La cerise sur le pompon dans tout ça, c’est quand les journalistes de magazines féminins te disent quoi mettre dans ta valise. Et même si je ne pars que rarement en voyage, je suis toujours fascinée par ces articles-là. Je n’ai jamais réussi à constituer la valise parfaite, que ce soit pour un week-end ou quinze jours, voire un mois de séjour loin de la maison. Serait-ce une malédiction? Est-ce parce que je ne sais pas synthétiser ma pensée et mes paroles, que je n’arrive pas à synthétiser ce que vont être mes vêtements sur un laps de temps donné?

Pas une seule fois je me dis que j’ai bien réussi mon coup, au moment où, après un temps de trajet variable, j’ouvre ma valise. Je suis toujours à côté de la plaque. Pourtant, je réfléchis longtemps avant de la constituer, je pose les vêtements sur mon lit, j’essaye d’optimiser (genre l’équation des fameux articles-tutos-valise): une chemise = trois tenues si tu sais bien t’y prendre. Mais non, je prends toujours le truc qui ne s’assortira à rien, la veste qui ne tient pas assez chaud, ou qui tient trop chaud, ou qui ne protège pas de la pluie, les chaussures qui vont me faire un mal de chien… Un truc sur lequel je ne me rate pas, c’est le pyjama. Ça j’y pense toujours.
C’est con mais au moment de m’habiller avec les vêtements de ma valise, je me mets la pression en pensant « voilà, tu ne seras venue qu’une fois ici, et regarde ton accoutrement pour fêter ça ». Et quand je rentre chez moi, j’ouvre mon placard et je me dis qu’en fait j’avais tout ce qu’il fallait pour me sentir à l’aise et quand même un peu stylée. Mais je n’ai pas réussi à le concevoir, avant de partir.

Je crois que les fringues agissent comme un doudou, quand je ne suis pas chez moi pour quelques temps. Elles me rassurent, elles sont mon seul repère dans cette terre inconnue (qui peut tout aussi bien être la ville d’à côté). C’est pour cela que dans ces moments-là, je n’aime pas emprunter un vêtement à une amie. Je me sens encore plus nue et déboussolée si c’est le cas.

Cela me rappelle une anecdote pas très joyeuse mais très parlante. Vers mes 18-19 ans, je suis partie en voyage en Tunisie, avec des membres de ma famille et leurs amis. Nous étions 3 ou 4 jeunes dans le groupe, que des filles. A l’époque, je n’étais que baggy, grand t-shirts, casquette et bandana, la manière la plus engagée pour moi de montrer mon amour de la culture hip hop, et de la danse en particulier. Je me prenais pour une b-girl. Dès la première journée j’ai compris que les regards des hommes seraient très insistants. Nous incarnions « la nouveauté » et « l’exotisme » dans cette petite ville portuaire du Cap Bon. Et là j’ai pensé que j’avais eu un coup de génie en constituant ma valise: mes baggys informes (j’avais aussi des shorts baggys), mes grands t-shirts, mes baskets et mes couvre-chefs allaient me protéger de ces regards que je trouvais particulièrement pesants! Et bien non, cela n’a pas fonctionné, à tel point que je me suis énervée du haut de mes 18 piges, sur un monsieur, qui m’a sifflée alors que j’avais un bandana sous une casquette et une « tenue de garçon », pour reprendre les termes de ma mère. J’étais complètement désarçonnée. Car les autres filles portaient, elles, des vêtements davantage « féminins », se faisaient des brushings et se maquillaient le soir, après la plage. Je ne comprenais pas que pour un homme « qu’importe l’enveloppe », alors que pour moi cette enveloppe était ma bouée de sauvetage à laquelle je m’accrochais et dont je ne doutais pas. Un soir de fête, il a fallu que je lâche mes frasques de b-girl, en déposant les armes face à ma mère qui me disait « allez quoi, mets donc une robe ». On m’a donc gracieusement prêté une robe et un collier de perles. Les chaussures étaient à moi, il s’agissait de sandales noires compensées (portées une ou deux fois en un an). Voilà j’étais prête pour aller « au bal ». J’étais surtout profondément perplexe car je ne me ressemblais pas du tout. J’étais désorientée.

Longtemps j’ai cru « avoir un problème avec ma féminité ». Et peut-être en avais-je un, peut-être l’ai-je toujours, moi qui ne suis pas capable de faire correctement une valise. Mais je commence à comprendre, petit à petit, que la féminité s’incarne autant de fois qu’il y a de femmes sur terre. Je suis triste de réaliser que les objectifs estivaux voire hivernaux, vantés par les magazines destinés aux femmes, soient en fait des objectifs dictés par ce que les hommes attendent d’une femme. Par une sorte de « dictature de la bonnasse » ou de « dictature du morceau de viande », pour les moins regardants.

Mathilde

Mathilde est née en 1990 et nous complique la vie en nous envoyant son objet préféré : LA BAIGNADE. C'EST PAS UN OBJET ÇA MATHILDE. Après avoir fait les Beaux Arts de Lyon et les Arts Déco de Paris, elle consacre dorénavant son temps à dessiner des blagues, même si elle rêve d'illustrer des choses sérieuses, COMME LA BAIGNADE, MATHILDE ? http://www.mathilderives.com/