Bonjour Linda,
Je me présente, je m’appelle Ann-Flore Rammant et j’aurais bientôt 26 ans. Comme toi, j’ai perdu mon père. Non, pas à 27 mais à 25 ans. C’est l’attentat du 13 novembre qui me l’a enlevé et depuis je ne suis plus la même.
Comme toi et assez rapidement, alors que j’errais dans les couloirs de l’hôpital Saint Antoine à Paris ; tout juste après avoir recueilli le récit de ma mère, présente au Bataclan le soir du massacre, son mari, mon père, mort dans ses bras ; et en proie à l’horreur absolue, quelque chose m’a frappé. Quelque chose est comme entré en moi. Un flux, une idée, un sentiment… Premièrement ce fut la sagesse, la sienne, qui me frappa de plein fouet et qui se mua progressivement en un désir et vent de liberté.
Aussi étrange que cela puisse paraître, comme toi la mort de notre être le plus cher, la mort de notre papa nous a rendu libres. Premièrement libres de toutes nos croyances, de toutes ces chaînes. Comme toi, j’ai en effet tout foutu en l’air. Mon ex alcoolique, mon job dans le cinéma pourtant si bien vu mais qui me rendait en fait tellement malheureuse. Puis mon appartement à Paris, cette ville qui m’avait trahi, un coup de couteau dans le dos. Moi qui l’avait pourtant cru si salvatrice pendant un temps, mais qui, comme toi, m’avait plongé dans la fête, la clope, l’alcool, sans plus finir… Obéissant au crédo Métro, Boulot, Dodo, Apéro qu’est le sien, je me suis laissée transformer progressivement, sans comprendre d’où venaient cette colère et cette haine qui grandissaient chaque jour un peu plus en moi. Un moi que je n’étais pas, que je n’avais encore d’ailleurs jamais incarné.
Cette mort, sa mort, m’a libéré car avec elle j’ai compris que j’avais le choix. Rien ne m’obligeait à être là, à être ça, à part moi. C’est alors que j’ai compris le sens de la véritable liberté : choisir. Choisir en étant exempt de toutes croyances, les miennes comme celles des autres.
Aujourd’hui, je t’écris alors depuis l’Islande. Comme toi, ce qui m’a poussé à partir et à venir ici, c’est la soif d’authentique, de nature. L’envie aussi, en tant qu’humain, d’être remis à sa place : petite entité au sein d’éléments incroyables, immenses et déchaînés parfois ; entité au cœur d’un grand tout.
Comme toi, ce pays m’a appelé. Et attirée de manière irrationnelle j’y suis simplement venue. C’est d’ailleurs cette même force qui m’a amené à ton livre. Mon regard errant sur les étagères de l’allée « récits de voyages » d’une librairie nantaise, j’ai retourné de nombreux livres avant que la quatrième de couverture du tien ne m’hypnotise et ne me fasse écho.
Le destin diront certains et j’ai envie d’y croire.
Alors merci, du fond du cœur. Tes mots m’ont touché. Ils m’ont fait pleurer, ils m’ont fait sourire, de ce sourire qui retrouve courage et espoir.
J’ai parfois pu découvrir en toi un miroir et j’ai le sentiment que tu ne m’es plus étrangère.
Belle route à toi et un de ces jours qui sait, car pour ma part maintenant l’aventure commence.
Ann-Flore
Linda Bortoletto, « Là où je continuerais d’être, l’appel des terres sauvages », Le Passeur